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Agheata

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Défi
Agheata

 Il polissait cette petite pierre brillante et translucide avec une application toute particulière. Ses sourcils bruns et froncés disparaissaient presque dans la monture de ses lunettes épaisses, lunettes qu'il ne portait que lorsqu'il se livrait à cette activité. Il avait également remonté les manches de sa chemise blanche jusqu'à ses coudes, trahissant sans mal la concentration dont il avait besoin. On pouvait même remarquer une mince, et un peu disgracieuse, goutte de sueur sur sa tempe grisonnante. Son épaisse moustache dissimulait ses lèvres déjà bien fines, mais on apercevait tout de même l'effort, distinguant une moue concentrée. Ses doigts étaient toujours aussi efficaces qu'à ses vingts ans : minces et agiles, il tenait la pierre dans l'une de ses mains, tandis que l'autre la caressait, chérissant ses éclats précieux.
  Avec son œil professionnel, il releva un instant la tête, tendit le bras pour observer avec un peu de recul le fruit de son travail, le tournant entre ses doigts, l'exposant à la lumière pour admirer l'éclat qui en émanait. Sa moustache se releva sensiblement. Il déposa alors la pierre aussi pure que de l'eau claire sur un petit coussin de soie, et épongea son front du revers de son poignet en poussant un soupir profondément satisfait. Ses lunettes quittèrent son nez légèrement tordu, mais dont la finesse était admirable, pour rejoindre leur étui. Enfin il quitta le tabouret de son atelier, dégourdit ses jambes enfermées dans un élégant pantalon noir en les secouant de façon un peu ridicule, puis prit le petit coussin de soie et retourna dans sa boutique.
  Sylvain tenait depuis maintenant 15 ans cette bijouterie. Bien que ce ne fut pas une entreprise florissante, il devait admettre qu'elle tournait plutôt bien. Cela était peut-être du à son emplacement avantageux en centre-ville, et sa fierté adressait également son modeste succès à son talent et l'application qu'il avait dans la fabrication de ses bijoux.
  Il avait fêté ses 42 ans la veille, seul. Et il s'était couché tôt dans le seul but de venir tôt au travail pour affiner et redonner vie à la pierre qu'il avait acheté à un client la semaine précédente. Son travail était son seul compagnon, et sa seule occupation. Il ne jurait que par les objets précieux, les nommait, leur parlait. Il n'y avait qu'eux pour le comprendre, et il aimait à penser qu'il n'y avait que lui pour les comprendre. Ses seuls contacts se résumaient à ses clients, et sa vieille tante Harriet, atteinte de démence, qui l'avait élevé à la sueur de son front, et à qui il vouait un profond respect.
  Il arrangeait méticuleusement les bagues et les colliers dans le présentoir, et alors qu'il allait se saisir d'un chiffon délicatement imbibé de produit pour enlever la moindre trace sur les vitres, la clochette retentit. Un client. Très professionnel, il reposa vivement les produits, retendit les manches de sa chemise, redressa le menton, et adressa un sourire professionnel à la femme dont le chapeau couvrait encore le visage.
« Bonjour, dit-elle poliment en desserrant le léger foulard qui ornait son cou.
-Bonjour Madame, répondit-il de ce ton clair et publicitaire. »
  Elle enleva son chapeau et fit tomber une cascade de cheveux ambrés sur ses épaules, qu'elle remit en place dans son dos d'un habile coup de tête. Le soleil qui s'engageait dans la boutique grâce à la grande baie vitrée se reflétait sur l'ambre de sa chevelure, donnant l'impression que l'on pouvait caresser l'or. Sylvain resta un instant captivé par cet éclat lui rappelant ces pierres précieuses qu'il aimait tant. La femme portait un tailleur immaculé, et sa stature droite et inflexible laissait transparaître la rigueur que lui demandait son métier. Entre deux âges, elle était parfaitement envoûtante et semblait invoquer un profond respect à ceux qui la regardaient. Elle s'avança doucement vers le présentoir des colliers et autres parures, délicates ou voyantes. Ses sourcils très légèrement maquillés étaient froncés, et les longs cils noirs qui encadraient ses yeux noisettes battaient lentement, comme pour lui donner tout le loisir d'examiner les bijoux.
  Sylvain restait à son poste, prêt à intervenir à la moindre question, à la moindre demande ou réclamation. Cependant, il peinait à garder sa concentration et son professionnalisme intacte : la lumière qui jouait gaiement dans les cheveux de la femme l'hypnotisait plus que de raison. Il se souvenait d'une pierre d'un rare ambré, rouge, qu'il avait un jour tenu entre ses doigts, il se souvenait l'avoir observé durant des heures. Même pure et non polie, cette pierre précieuse était sans doute la chose la plus magnifique qu'il ait jamais vu. Il avait l'impression de se retrouver de nouveau dans cette situation. Son cœur se montrait plus fébrile, et il sentait une espèce d'excitation naître dans son corps. D'abord un léger fourmillement, puis de petites décharges d'adrénaline incompréhensibles se répandaient dans son être.
« Excusez-moi, dit doucement la femme en interrompant ses pensées soudainement, la rivière de perles, à combien est-elle ? Je vois mal son prix. »
  Sylvain, comme s'il venait de se réveiller, sembla d'abord un peu hagard avant de se reprendre. La rejoignant d'un pas vif, il se saisit précautionneusement du présentoir de ladite rivière de perles. Il était fier que son intérêt se soit porté sur celui-ci, il se souvenait de la précision dont il avait du faire preuve pour assembler ces perles d'un sublime noir aux reflets turquoise. Déposant le petit présentoir sur la vitre, il lui répondit avec plus d'engouement que ce qu'il voulait :
« Cette magnifique rivière coûte 115 euros. Regardez ces perles, elles font certainement parties des plus magnifiques au monde, et elles sont encore très peu exploitées dans la confection de bijoux, ça en fait une pièce presque rare. »
  La femme souriait, examinant d'un œil intéressé le collier aux éclats irisés. Elle hochait doucement la tête pour approuver silencieusement les paroles enjouées du bijoutier, qui s'étendait sur la beauté et la rareté de ces perles. Mais ce qu'elle ne distinguait pas en revanche, c'était l'éclat étrange qui s'était allumé dans son regard gris. Il voulait acquérir une nouvelle pierre précieuse, la plus rare, la plus unique, et certainement celle qui lui demanderait le plus de travail.
« Bien, monsieur, je dois dire que vous m'avez convaincu ! Rit-elle doucement en se redressant, je vous l'achète, ce collier sera parfait.
-Oh, je ne peux qu'acquiescer Madame, sourit-il, désespérément professionnel, dois-je l'emballer ?
-Oui s'il vous plaît. »
  Il hocha la tête, et fouilla dans le placard sous la vitrine pour en sortir une élégante boite noire. Il l'ouvrit avec soin, se saisit de quelques feuilles de papiers de soie pour emballer le sublime collier avant de le déposer avec sa délicatesse caractéristique sur le coussin de l'écrin. Refermant la boite, il prit du ruban, et dans un emballage complexe mais tout à fait charmant, il scella la boite, et ajouta une petite étiquette avec le nom de son entreprise. Il se dirigea vers son ordinateur pour enregistrer l'achat qui venait d'être fait. Le voyant faire, la femme s'approcha à son tour, et chercha un instant dans son sac à main pour régler la somme.
« Comment souhaitez-vous régler Madame ? »
  Se détachant un instant de l'écran de son ordinateur, il la regarda, poliment, sans vraiment se rendre compte de l'émotion qui dansait dans ses yeux, et qui mit un instant la femme mal à l'aise. Mais elle se reprit bien vite, offrit un sourire sans saveur mais urbain.
« Ce sera par chèque.
-Très bien. »
  Cochant quelque chose sur son ordinateur, il lui tendit un stylo pour qu'elle puisse remplir les quelques lignes. Ce qu'elle fit bien évidemment, avant de lui tendre le chèque.
« Parfait, j'aurais besoin d'une pièce d'identité Madame.
-Oui, bien sûr, marmonna-t-elle presque en cherchant de nouveau de son sac, avant de tirer la petite carte de son portefeuille. »
  Elle lui présenta, il s'en saisit, comme il aurait saisi une grande opportunité, et l'inspecta longuement, attentivement. Madame Elsa Emmanuelle Maynard. Il s'attarda également attentivement sur son adresse. Elle habitait non loin de sa boutique, quelques rues plus loin seulement. Comme s'il prenait soudainement conscience de sa présence, il hocha la tête et lui rendit sa carte avec un sourire un peu moins professionnel et plus sincère. Pendant qu'elle rangeait ses quelques affaires, il s'occupait de glisser la petite boite joliment emballée dans un sac plus grand décoré par l'insigne de sa boutique, glissa le ticket de caisse à l'intérieur et il lui tendit.
« Merci beaucoup de votre achat Madame, j'espère qu'il vous plaira autant lorsque vous le porterez ! Dit-il joyeusement, surtout, si vous avez la moindre question, ou le moindre problème avec le bijou, n'hésitez pas à revenir, je suis à votre disposition.
-Je vous remercie, et je n'oublierai pas, répondit-elle en attrapant le sac, bonne journée Monsieur.
-A vous aussi. »
  La clochette tinta lorsqu'elle passa la porte pour sortir, et Sylvain se décala pour suivre du regard l'éclat précieux et unique de ses cheveux, une lumière avide ondulant dans ses yeux.


 Il était 19h32, sa boutique, pendant les périodes estivales, restait ouverte jusqu'à 19h30, il était donc en train de ranger, nettoyer, et de peaufiner chaque petit détail pour que son travail de demain commence dans les meilleures conditions. Depuis la visite de Madame Elsa Emmanuelle Maynard en début d'après-midi, il n'avait de cesse de se rejouer la vision de ses cheveux aux allures de pierres précieuses douces et souples. Il était persuadé que la fibre de ses cheveux était constituée d'un matériau unique dont il n'avait pas encore connaissance. Mais il désirait ardemment connaître. Tout ce qui rapprochait de l'éclat d'un bijou devenait pour lui une source inépuisable de savoir, et de désir. Il avait résisté difficilement à l'envie de toucher ses cheveux d'ambre doré, de vérifier l'éclat, la texture... Il ne savait pas encore comment il devait travailler ce matériau, mais il se doutait bien que la plus grande douceur et précision seraient nécessaires. C'était bien trop précieux.
  Alors qu'il astiquait consciencieusement mais d'un air un peu absent la vitrine des bagues, il réfléchissait aux bijoux qu'il pourrait confectionner avec quelque chose d'aussi précieux que cela. Et son esprit avide s'imaginait milles et une façon de rendre hommage à cette matière qu'il savait unique sans même l'avoir touché.
  Se rendant dans son atelier en arrière-boutique, il arrangea et nettoya les outils qu'il avait utilisé aujourd'hui pour polir ce petit diamant, toujours légèrement distrait et perdu dans ses songeries. Il souriait, cela se voyait aux coins relevés de sa moustache. Madame Elsa Emmanuelle Maynar, la femme aux cheveux précieux. Il sentait en lui les picotements produits par l'adrénaline qui excitaient son cœur. Il était curieux de travailler une nouvelle matière. Depuis des années, il travaillait avec le soin et le respect nécessaires pour rendre hommage à ces pierres plus ou moins précieuses, il connaissait par cœur les soins qu'il devait leur prodiguer, tel un médecin du raffinement. Alors la simple idée, et découverte, de quelque chose d'aussi unique et jamais tenté suffisait à réveiller en lui un sentiment intrépide. Mais il savait qu'il ne pourrait pas se lancer dans une telle œuvre sans préparation, sinon, il gâcherait et bâclerait un travail qui pourrait être son chef d’œuvre.
  Il était l'heure de définitivement fermer boutique, et de rentrer chez lui. Habitant juste à côté de son travail, il rentra à pied, dans l'air doux de cette soirée de printemps. Son appartement n'était pas grand, mais suffisant pour un homme seul. De nature très organisé, rien ne traînait, et la décoration se résumait au strict minimum. Fonctionnel, et épuré. Par habitude, et vue l'heure, il se dirigea mécaniquement vers sa cuisine. Mais ce soir, sa démarche était plus légère. Il avait un nouveau but, un nouveau travail, quelque chose à apprendre, et à expérimenter. Il se mit à siffloter gaiement en mettant l'eau à bouillir.
  Il avait mis sa télévision sur une émission d'histoire un peu quelconque. Il n'avait en réalité besoin que d'un bruit de fond pendant qu'il appliquait chacune de ses idées sur papier, méticuleusement. Il dessinait les prototypes des bijoux qu'il avait en tête, chacun réalisé avec ce matériau si unique. Il n'en avait jamais vu de pareil. Cela avait fait renaître son désir profond de création. Il s'acharnait sur son carnet de croquis, les doigts noircis par le crayon qu'il estompait pour créer des ombres, des reliefs. En même temps que les lignes prenaient vie sur sa feuille de qualité, il échafaudait un plan pour se procurer le plus vite possible ce matériau si magnifiquement brillant. Un petite goutte de sueur commençait à perler sur sa tempe grisonnante. L'excitation réveillée en lui ne parvenait à s'éteindre. Il devait mettre à exécution son projet.

 Sylvain ferma la boutique. C'était la fin de la semaine, et il était terriblement fébrile. Malgré sa folle excitation du début de semaine, il avait essayé de prendre son mal en patience, il voulait être bien préparé. Et ce soir, il était bien plus que prêt. Son cœur courait sous sa cage thoracique, à tel point qu'il avait l'impression d'avoir de la fièvre. Ses yeux d'acier brillaient d'une façon si excités que cela en devenait dérangeant, malsain. Il était prêt.
  Chaque soir avant d'aller se coucher, il répétait son petit plan, avec un sourire qu'il ne prenait pas la peine de réprimer. C'est donc naturellement qu'il enfila sa petite veste en lin, ses gants en cuir parfaitement cirés, et qu'il sortit de sa boutique en prenant soin de fermer derrière lui. D'un pas presque guilleret, il contourna sa boutique pour rejoindre la porte de son atelier à l'arrière, et déverrouilla la porte. Cela sera bien plus facile pour rentrer précipitamment lorsque tout sera accompli. Le soleil tombait à peine lorsqu'il ressortit, et le ciel ressemblait à un jaune d’œuf joliment éclaté. Un mince sourire relevait le coin de ses moustaches alors que d'une main assurée, il passa le petit sac à dos contenant son matériel sur son dos, évidemment. Il était prêt.
  Sa démarche était parfaitement posée, calme et régulière, seuls ses doigts qui pianotaient dans les airs traduisaient une certaine excitation. Le mouvement rapide de ses yeux étaient également révélateur ; ses yeux papillonnaient d'un numéro de maison à un autre, guettant les noms sur les boites aux lettres, le nom de la rue... Son cœur, avec sa petite danse excitée, envoyait dans son corps de délicieuses décharges d'adrénaline. La décharge fut plus délicieuse encore lorsqu'il arriva enfin devant la charmante petite demeure portant le numéro de l'adresse qu'il avait apprise par cœur. Sur la boîte aux lettres, le nom de Madame Elsa Emmanuelle Maynard était calligraphié délicatement. Il souriait vraiment, ses lèvres minces apparaissaient sous sa moustache désormais relevée. Il ouvrit le petit portillon et se faufila jusqu'à la porte d'entrée. Il ne prit pas la peine de sonner. Ayant observé ses habitudes durant toute la semaine, il savait que la femme aux cheveux précieux ne fermait sa maison à clef qu'une fois qu'elle allait se coucher, donc vers environ 23 heures. Il avait également constaté qu'elle vivait seule dans cette jolie maison à l'allée fleurie.
  C'était le cœur léger qu'il posa la main sur la poignée, et ouvrit la porte d'entrée. La porte ne grinça pas, et il en fut heureux. Son cœur tambourinait, il dansait très probablement un tango endiablée, mais malgré cela, tout son corps agissait avec un calme olympique. Dans ses yeux, une flamme ardente et malsaine brûlait plus fort encore que lors de sa première rencontre avec cette femme. Il avançait avec précaution dans le couloir de l'entrée, et tendait l'oreille, à la recherche du moindre bruit qui lui indiquerait où elle pouvait bien se trouver. Ce fut le bruit de couvert que l'on posait négligemment dans l'évier qui lui répondit. S'il avait pu rire d'excitation, il l'aurait fait.
  Sans prendre plus de précaution, il s'avança jusque devant la porte de la cuisine. Cependant, il ne rentra pas immédiatement. Non, il devait d'abord se préparer, chercher le bon outil, chercher le meilleur moyen d'empêcher la femme de crier, et surtout pour enfin récupérer le fruit de ses désirs.
 Dans la cuisine, il entendait des bruits de vaisselle, et la femme qui chantonnait. Il en profita donc pour ouvrir son sac et chercher l'outil le plus propice à tout de suite éteindre la voix de la femme sans gâcher le matériau qui le rendait si fébrile d'excitation. Il examina un à un les marteaux, pinces et autres aiguilles plus ou moins fines pour finalement se saisir d'un scalpel furieusement aiguisé. Cela lui sembla être le meilleur outil pour approcher la femme, la maîtriser. Il craignait un instant que cela abîmât l'ambre pure et sauvage de ses cheveux. Il devait agir avec précaution.
  Il déposa son sac contre le mur, et serra entre ses doigts gantés le scalpel resplendissant. De son autre main, il ajusta sa veste en lin, recoiffa ses cheveux pour empêcher des mèches égarés de le déranger, et enfin, il poussa la porte de la cuisine qui était entrebâillée. Elle était de dos, et elle avait fait le sacrilège de contenir ses cheveux d'agatite dans un chignon. Il fronça les sourcils. Elle risquait de les abîmer ainsi. Il sentait une colère sourde s'éveiller dans ses veines et tenir compagnie à son excitation. Il ne voyait qu'un avantage à cela : peu importe son geste, et l'endroit où il décide de la faire taire, il n'abîmerait pas le matériau.
  Il avançait, donc. Ses pas étaient naturellement silencieux, et sa discrétion toute maîtrisée. Cependant, son souffle trahissait les deux compagnes qui chauffaient son corps, et un instant, durant un seul court instant, Elsa Emmanuelle Maynard s'immobilisa. Ses yeux restaient fixés sur le verre qu'elle était en train de laver, mais si elle avait été un chat, on aurait pu voir ses oreilles se tourner vers l'arrière, guettant le moindre bruit provenant de son dos. Ce fut son erreur.
  Sylvain était si proche d'elle qu'il pouvait humer son parfum ressemblant agréablement à celle d'une pomme d'amour sucrée à souhait, et cette immobilisation lui permit de lever son scalpel très précis, et de venir caresser la gorge blanche et offerte. Elle n'eût pas le temps de se tourner, mais un affreux gargouillement franchit ses lèvres déjà rouges. Elle ne put crier, elle ne put tenir debout et Sylvain la rattrapa juste à temps. Il la tenait entre ses bras fermes, et regardait avec fascination le sang d'un sombre écarlate, lui rappelant sans conteste la couleur du grenat, qui s'épanchait en gerbes qu'il trouvait magnifique. Il regardait ce précieux liquide, bien qu'épais, tâcher et contraster avec la pâleur d'albâtre de la femme. Ses yeux noisettes ne possédaient déjà plus aucun éclat, mais le gargouillis se poursuivait, indélicat. Sylvain attendit patiemment que le liquide grenat se tarît avant d'entreprendre ce pourquoi il était venu. Si proche de son but, il sentit les larmes poindre sous ses cils, les ourlant de ces petites billes claires et limpides. Mais il se reprit en constatant qu'il n'y avait plus que quelques gouttes qui s'échappaient de la blessure fine, précise, et fatalement profonde. Le corps éteint pesait un poids de plus en plus difficile à supporter, il l'allongea alors au sol, loin des flaques de grenat pour éviter de tâcher sa convoitise. Il était temps de se mettre à l'ouvrage.

 Sylvain travaillait d'arrache-pied. La sueur de l'effort et de la concentration faisait luire son front étrangement. Ses lèvres étaient pincées mais heureusement dissimulées par sa moustache entretenue. Il avait ôté ses gants en cuir, préférant travailler les mains nues, ainsi il pouvait ressentir toute la texture forte et fine de ce matériau précieux et flamboyant incontestablement d'un ambre encore vivant. Sur les manches de sa veste en lin, quelques tâches désormais presque brunes restaient, mais il ne s'en préoccupait pas. Il était bien trop concentré sur le travail qu'il considérait comme le chef d’œuvre de sa vie. Il polissait, il attachait, il consolidait... Il préservait avec un talent maîtrisé et soigné l'éclat mouvant, tantôt rouge, tantôt doré, tantôt ambré. Dans un coin de son atelier reposait maladroitement un corps taché de rouge sombre. Les yeux éteints ressemblaient à s'y méprendre à ceux des mannequins en vitrine. Son crâne était à vif, laissant apercevoir l'os d'un ivoire maculé et strié de grenat. Quelques gouttes de sang aussi claires que le rubis venaient retracer les traits qui avaient été délicatement vivants. Elle semblait pleurer des perles rouges. Sylvain n'y prêtait plus aucune attention, tout concentré qu'il était. Il attachait, consolidait, coupait, formait, il polissait, mais surtout, il chérissait. Peu importe le prix, peu importe le moyen, rien ne lui provoquait plus de plaisir que de découvrir quelque chose de précieux, et de le chérir avec tout le soin et la dextérité de ses doigts.
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Agheata
Voici une première nouvelle, très courte (pléonasme ?), intitulée "Ombres". A mi-chemin entre mythologie, science-fiction, thriller et fantastique, je me suis essayée à un style différent de celui qui me vient d'habitude. Sans en dire plus, je vous laisse découvrir.
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Agheata
Et si la Lune était douée de conscience, que penserait-elle d'une danseuse qui chaque nuit s'exerçait sous ses rayons d'argent ?
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Défi
Agheata
J'ai choisi de relever ce défi autobiographique sous la forme d'un sonnet, ma structure poétique préférée.
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Défi
Agheata
Voici ma participation au charmant défi "Haïku".
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Défi
Agheata
Récemment diagnostiquée autiste, j'ai mieux compris ces moments -trop souvent récurrents- où tout est trop autour de moi, et je n'arrive plus à être et alors j'implose, je me ferme, je me ferme, je me fais toute petite puis mon corps se libère... Mes mains s'agitent, je me balance de façon incontrôlable, j'ai une musique en tête, je n'ai plus que ça et ce balancier que devient mon être. Et ça fait du bien. Ca me fait du bien, je n'existe plus que pour ça, je reviens à moi, je reviens en moi.
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Agheata
Voici un simple petit texte sur le bonheur du quotidien, le bonheur de l'amour.
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Agheata
Voici ma participation au défi "page blanche" !
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Agheata
Il y a de ces gens qui nous marquent dans la vie, qu'on ne les croise qu'une fois, ou qu'ils fassent partis de notre quotidien. Un trait de caractère, une particularité, une émotion qui les caractérise... Ils sont de ces êtres singuliers qui donnent envie d'écrire, de créer. J'ai eu envie de recueillir ces aspects uniques, extraordinaires et de les immortaliser d'une certaine façon, de peindre des êtres fantastiques. Peut-être que vous reconnaîtrez vos proches, peut-être que vous vous y reconnaîtrez aussi. Ces portraits sont autant celui de plusieurs personnes que les différentes facettes d'une personne... Dans tous les cas, ouvrez l’œil.
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Défi
Agheata
Voici ma participation au défi "Récit d'une personne traumatisée", en partie autobiographique, l'histoire raconte un souvenir d'Helena, une petite fille de 9 ans.
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Agheata
Une courte nouvelle sur la recherche de l'inspiration, la recherche des rêves perdus et de ces mondes joliment imaginaires que l'on oublie parfois.
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Défi
Agheata

 Il reposa son verre dans un claquement sec puis se laissa retomber mollement contre le dossier de son canapé drapé de velours. Un sourire cruel ornait ses lèvres craquelées découvrant des dents d'un blanc effrayant. Il était grisé pour l'instant, mais dans quelques secondes, il serait de nouveau assoiffé. Cependant, groggy, il n'y songea pas, et rejeta la tête en arrière en recouvrant ses yeux brun clair de ses paupières fardées. Il se lécha les lèvres, espérant récupérer une infime goutte de cette liqueur qu'il appréciait d'une façon parfaitement indécente. Son cœur entamait une course dans sa poitrine amaigrie, si bien que ses battements résonnaient dans tout son être. Il aimait plus que de raison ce sentiment de plénitude.
  Malheureusement, cette sensation incroyable de bien-être prit fin. Il grogna, mécontent et redressa sa nuque courbaturée. Dès que cela se terminait, il sentait les palpitations de son cœur s'éteindre et ce dernier retournait à son état originel. Mort. Avec un geste rageusement désespéré, il s'empara du verre encore un peu tâché, puis il entreprit de le nettoyer de son index. Quelques gouttes vinrent se poser sur la pulpe de son doigt qu'il s'empressa de lécher. Mais les quelques décharges électriques ne firent qu'accentuer sa frustration. D'ancestrales douleurs articulaires se réveillèrent dans son corps bien plus âgé que son apparence -pourtant déjà spectaculairement décharnée- pouvait laisser croire. Le temps ne cessait de l'agresser quand il se pensait à nouveau immunisé.
  Cette dernière décennie, il était persuadé que la Nature voulait essayer de reprendre ses droits. Ce n'était que légitime, après tout, il était une anomalie dans le cours de la vie, mais cela lui déplaisait quand même. Il souffrait de plus en plus ; les siècles qu'il avait passé à arpenter le monde semblaient s'abattre un à un sur le squelette qui saillait sous sa peau. L'autre jour, une mèche de ses cheveux bruns s'était détachée de son crâne. Une mèche entière ! Il ne savait que faire, et peu importe la quantité du précieux liquide qu'il buvait, dès que ses effets s'estompaient, tout recommençait encore. Caïn était épuisé.
  La nuit était tombée depuis bien longtemps déjà, et il ne savait comment l'occuper. Dès que ses problèmes avaient commencé, un certain désespoir avait décidé de s'emparer de lui, et il ne trouvait plus goût à rien. Il ne retrouvait d'exaltation nul part. Ce n'était pas faute de diversifier ses activités, de se confronter aux dangers de l'existence qui, au final, n'étaient pas si dangereux pour un être immortel. Néanmoins, depuis la perte de cette fameuse mèche de cheveux, Caïn craignait quelque peu l'exaltation. Il craignait pour une vie qui l'avait délaissé depuis déjà... Déjà... Il était incapable de se souvenir de la date de sa mort. Enfin, presque mort. Quoique pouvait-on appeler vie l'état dans lequel il se trouvait depuis si longtemps ? Selon les dernières définitions scientifiques, Caïn n'était pas en vie, mais il n'était pas non plus mort. Il défiait les sciences, et il était un véritable affront à la Nature. Le sourire sardonique qu'il arborait habituellement lorsqu'il se faisait ce genre de réflexion ne parvint pas à se faire une place sur son visage cireux. Lui qui aimait tant se retrouver sur ce fil mince, singulier, réalisant dessus quelques arabesques pour se jouer de la vie comme de la mort, lui avait désormais peur.
  A l'eldorado de sa jeunesse -eldorado qui avait tout de même duré quelques longs millénaires, il faut le reconnaître- il jouait de son charme qui était indéniable ; sa peau hâlée, d'un brun élégant s'harmonisait avec ses yeux d'une jolie couleur noisette aux éclats dorés, ces mêmes éclats étaient rehaussés par le brun presque noir de ses cheveux bouclés qu'il aimait porter longs. Tout cela allait de pair avec un visage aux traits fins -dont Michelangelo s'était inspiré pour ses sculptures-, et un corps long aux muscles dessinés avec parcimonie.
  Mais cette beauté éternelle avait fini par se faner. Était-ce les abus trop nombreux ? Ou le temps trop long ? Un savant mélange des deux ? Était-ce son régime alimentaire drastiquement restreint ? Peu importait la réponse, les faits étaient présents. Son teint s'était affadi, faisant que ce savoureux brun était devenu poussiéreux, l'éclat doré de ses yeux n'existait plus et le noisette était d'un banal marron clair ; ses boucles tombaient mollement, tristement, et quelques mèches semblaient même se décolorer. Ses lèvres jadis pulpeuses se craquelaient au moindre sourire, et son corps d'adonis n'avait plus que les os pour dessiner des courbes, ou plutôt des angles, sous la peau desséchée. En deux mots comme en cent, Caïn dépérissait.
  Durant les premières années de sa vie éternelle, il craignait le soleil. Symbole de la vie même, il appréhendait d'être tué sur le champ par ses rayons. Dans sa religion antique, cousine de celle des Phéniciens, les rayons du Soleil étaient transportés sur un char tiré par quatre chevaux étincelants et ils parcouraient le monde pour l'éclairer, donnant la lumière aux divers peuples, permettant aux plantations de pousser pour ainsi nourrir les Hommes... En s'étant ainsi opposé à la vie telle que les Dieux l'avait créée, il redoutait donc leur colère. Caïn, bien que fatalement orgueilleux, était encore naïf. Il lui avait fallu un siècle entier pour se rendre compte que le soleil ne faisait que l’incommoder sans vouloir sa mort immédiate. Dès lors, sa naïveté enfin envolée, il s'évertua à faire de ses nuits et de ses jours des plaisirs sans fin.
  Il repensait à ces choses-là en se levant enfin de son canapé vieux mais bien entretenu. Les jours et les nuits de plaisir étaient terminées. Ses articulations lui faisaient trop mal, et sa souplesse semblait l'avoir définitivement quitté. Oh, il avait bien essayé de mettre fin à ses jours ces dernières années, mais rien n'aboutissait ; il ne faisait que blesser son corps déjà mort et douloureux. On pouvait d'ailleurs voir à sa gorge fripée un étrange pli, absolument pas naturel -quoi que l'existence actuelle de Caïn était bien loin du naturel- ; c'était le résultat d'une pendaison qui n'a jamais eu l'effet escompté. Il avait oublié que le sang ne circulait plus dans son corps, ainsi le fait que respirer lui était inutile. Parfois, il ne se souvenait plus qu'il était immortel.
  Il se tenait debout, face à sa fenêtre, l'échine courbée par le temps, et il contemplait la nuit constellée des lumières de la ville au loin. Durant tout ces millénaires, il avait eu le temps nécessaire pour accumuler une masse gargantuesque de cet argent dont raffole l'Homme, il possédait donc plusieurs résidences dans le monde. Aujourd'hui, il siégeait à Londres, dans un quartier tranquille et à l'écart de tout. Cette ville lui plaisait, mais dorénavant, il ne saurait dire pourquoi. Ça aussi, il avait oublié. Il fouillait dans sa mémoire, il cherchait ce qu'il avait pu vivre dans cette métropole britannique qui lui avait fait tant aimé cet endroit. C'était tout de même cocasse ! Il était un des seuls hommes, si ce n'était le seul, à avoir eu la chance de vivre les histoires et Histoires du monde, et il oubliait. Il tapa rageusement dans la vitre qui ne se brisa pas. Non, ce ne fut pas la vitre mais sa main qui produisit un craquement particulièrement ignoble et lui arracha un cri de pure douleur. Il recula en titubant et s'adossa à son canapé en jurant dans sa langue natale désormais oubliée.
  Caïn se fit un bandage de fortune pour immobiliser ses longs doigts tordus et sa main enflée. A chaque mouvement, il grimaçait. Voilà que maintenant la douleur persistait. Autrefois, durant ses premières années d'immortel, il ne ressentait plus la douleur, il avait oublié ce que cela faisait. Il avait oublié.
  La rage ne faisait qu'enfler dans sa cage thoracique en même temps que le sentiment de la Mortalité renaissait en lui avec sa compagne, l'Impuissance. Il avait choisi une immortalité qui maintenant le piégeait et le faisait se sentir plus vulnérable que jamais. Il avait oublié ce que cela faisait de se sentir si faible. Mais c'était une chose qu'il ne pouvait se résoudre à accepter. Il pouvait être magnanime envers les sentiments qui l'assaillaient, mais la faiblesse lui était insupportable. Enfin, cela lui était devenu insupportable parce qu'il s'était cru invincible, puis il ne parvenait pas à se souvenir de la dernière fois où il s'était senti si petit. Il sentait pourtant que c'était un instant crucial de son existence d'autrefois. Mais voilà encore une chose qu'il avait oublié. Il s'éloigna de sa fenêtre et du paysage qu'elle laissait observer. Il vacillait. Le poids de l'oubli semblait trop lourd pour un squelette si mince.
  Caïn avait désormais le sentiment de ne plus s'appartenir. Au fond, peut-être que cela était vrai. Il n'appartenait à rien, ni aux vivants, ni aux morts, cela était donc une suite logique. Il ne s'appartenait plus depuis le jour où... Depuis le jour où... Depuis ce jour où... Il ne parvenait plus à ce souvenir de ce fameux jour où il s'était abandonné. La frustration lui arracha un cri qui ressemblait fort à une chaise grinçant sur un sol rêche. D'ailleurs, pour quoi s'était-il abandonné ? Son esprit lui refusa de nouveau une réponse qu'il était pourtant sûr de connaître. Il se laissa tomber dans son lit immaculé, grelottant, frêle. Il eût l'impression que ses vieux os s'entrechoquaient, tels un instrument assez original. Tout son être était torturé par une force qui le dépassait. Lui qui pensait avoir dépassé toute l'existence. Son orgueil avait régné en maître trop longtemps, et le voilà qui en payait les frais les plus douloureux.
  Il essayait de toutes ses forces de se souvenir. Mais il ne parvenait même plus à savoir ce dont il voulait se rappeler exactement. Alors une tristesse ineffable s'empara de lui. Il aurait voulu pleurer, mais ses yeux jaunis à l'iris dorénavant blanchâtre le brûlaient, il avait l'impression de verser des larmes de poussière. Ce n'était après tout peut-être pas une impression. Il sanglotait atrocement, et son corps était un grelot étrange qui se secouait par spasmes. Il voulait se souvenir, il le voulait de tout son être, même s'il ne savait plus si ce dernier était éternel ou éphémère.
  Son corps mincissait à vue d’œil, et il pleurait la poussière de ces derniers millénaires. Il disparaissait. Est-ce sa progressive disparition qui provoquait son oubli ou est-ce parce qu'il oubliait qu'il disparaissait ? Les deux hypothèses lui semblèrent chacune valable, mais il oubliait à chaque poussière qui se défaisait de son corps à demi-effacé maintenant. Il avait été le témoin de l'existence et de ses nombreuses autres vies. Il réalisa alors que personne n'avait été témoin de son existence. Peut-être est-ce cela qui engendra sa disparition. Ah, qu'il avait été orgueilleux. En voulant se souvenir de tout, survivre à tout, personne n'allait pouvoir se souvenir de lui et encore moins lui survivre. Sa naïveté avait été mère de son orgueil. A présent, il ne pouvait plus choisir cette mort qu'il avait réussi à déjouer, il en était la victime, et la vie semblait rire de son pitoyable état.
  Il pleura les quelques dernières poussières de son existence et ne devint plus qu'une ombre étrange sur un lit désormais maculé par des millénaires oubliés. Ah, qu'il avait été orgueilleux. Mais cela aussi, il l'avait maintenant oublié.
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