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Héloïse O.
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de toujours
Je me suis toujours demandé ce que ma mère cachait dans le tiroir de sa table de chevet. Parfois en passant devant sa chambre, je la voyais le refermer précautionneusement comme s’il contenait un trésor, regardant autour d’elle pour être sûre que personne ne découvre ce qu’elle y mettait. Elle le tenait toujours fermé à clé, d’une petite clé un peu rouillée qu’elle portait autour de son cou.
Ma mère n’a pourtant jamais été une grande cachotière. C’était plutôt un livre ouvert : elle partageait de bon cœur les recettes de ses petits plats, n’hésitait pas à exprimer ses sentiments – les bons comme les mauvais – nous racontait sans détour ses expériences de jeunesse mais aussi ses rêves les plus fous…Son seul secret, quel qu’il fût se trouvait dans cette table de chevet. Son jardin secret, sa touche de mystère se trouvait enfermée dans ce petit tiroir comme le génie dans sa lampe.
Un jour, entre deux tartines au goûter, j’osai lui demander ce qu’elle y dissimulait. Elle me regarda d’un air malicieux et me dit ceci :
— Je pourrais te le dire mais ce ne serait pas amusant…Je préfère stimuler ton imagination. Fais-moi des propositions. Si un jour tu trouves ce qu’il renferme, je te le donnerai, ce sera à toi.
Au fil des années, j’y allais de mes idées les plus évidentes aux plus farfelues : des bonbons ou du chocolat, un journal intime, un livre, une lampe torche, des bijoux de famille, des lettres d’un ancien amant, un sex toy, des photos olé olé avec mon père, un couteau pour se défendre d’éventuels agresseurs nocturnes, de la drogue issue d’une jeunesse enflammée ? J’envisageais même des choses plus mystérieuses : un tarot, une poupée vaudou, quelques formules magiques griffonnées dans un grimoire ou encore une identité secrète. La réponse était toujours non.
Cette devinette était devenue un jeu entre ma mère et moi. Dès qu’une nouvelle idée pointait le bout de son nez, je la lui soumettais, toujours en vain. J’essayais donc de la surprendre en train d’ouvrir son tiroir, de sortir ou de ranger ce qu’elle y entreposait mais sans jamais y parvenir. Tantôt elle riait lorsqu’elle me surprenait en train de l’épier, tantôt elle me disputait et m’envoyait ranger ma chambre.
Avec le temps, le nombre de propositions diminua, cela ne m’amusait plus autant et j’en venais même à douter que ma mère veuille un jour partager son seul secret avec moi. Peut-être qu’elle n’avouerait jamais ce que ce tiroir renfermait.
Un été, des années plus tard, alors que je flânais dans les rues moites de ma ville, je tombai sur une table de chevet ancienne déposée au pied d’un immeuble. Elle ressemblait beaucoup à celle de ma mère. Avec le même tiroir fermé à clé. Sauf que la clé de celle-ci devait être perdue. Je souris. Cela faisait une éternité que je n’avais pas pensé à cette table de chevet et à son contenu. Je décidai de la ramener chez moi. Si j’arrivais à l’ouvrir, je pourrais percer à jour le secret de son contenu et par là même, peut-être, découvrir celui de ma mère.
Une fois chez moi, je tentai de regarder par le trou de la serrure. Même avec une lampe torche, impossible d’y distinguer quoi que ce soit. La MacGyver en moi s’était réveillée, il fallait que je trouve un moyen d’ouvrir ce tiroir. Je tapai sur Google « comment crocheter une serrure » : épingles à cheveux, fil de fer, trombone, lame de couteau, tournevis… J’essayai toutes les méthodes. Au final, je décidai d’y aller franco avec une perceuse. La patience n’avait jamais été mon fort. Enfin le tiroir céda. Comme un pirate qui découvrait un trésor depuis longtemps perdu, je jubilai.
J’ouvris le tiroir lentement, savourant chaque seconde de cette découverte. Ce jour serait à marquer d’une pierre blanche. Un papier jauni plié en quatre pour seule pépite. Peut-être la carte vers un gisement de pierres précieuses ou bien la lettre d’un amant mort à la guerre. Mon imagination m’emmenait au cœur d’aventures palpitantes. Autant redescendre sur terre, il y avait probablement sur ce papier une liste de courses oubliée. Je lus : « On ne voit bien qu’avec le cœur », une citation d’Antoine de Saint-Exupéry. Étrange de garder cela dans un tiroir de table de chevet mais pourquoi pas. Sans doute un rappel à lire chaque soir avant de dormir, comme une prière. J’étais un peu déçue.
Ce soir-là, je dormis d’un sommeil troublé. Un renard tenant une rose sortit du tiroir de ma table de chevet et me regarda d’un air triste, des larmes roulaient sur son pelage doré comme des diamants brillant au clair de lune. Je ne compris pas ce qu’il semblait vouloir me dire. Il esquissa un sourire et j’eus l’impression de reconnaître ma mère dans ses yeux malicieux. Le renard me laissa la fleur en présent et s’enfuit par-delà les collines verdoyantes.
Au réveil, je décidai de me rendre chez ma mère que je n’avais pas vue depuis des lustres. En tous cas, c’est ce qu’elle dirait en me voyant, j’en étais sûre. Une mère trouve toujours qu’elle ne voit pas assez ses enfants.
Elle m’accueillit avec un grand sourire et sa fameuse tarte aux figues :
— Ma fille, ça fait des lustres que je ne t’ai pas vue ! Embrasse ta mère !
Je levai les yeux au ciel en m’approchant pour la prendre dans mes bras.
— Qu’est-ce qui t’amène ?
— Rien, j’avais envie de te voir, c’est tout.
Elle me regarda d’un air suspect et me servit une part de tarte et une tasse de thé. Nous ne dîmes mot pendant un moment. Il faisait bon, un petit vent doux et chaud me caressait les épaules. Je profitais de l’instant. La tarte de ma mère était toujours aussi bonne, comme dans mes souvenirs, c’était ma madeleine à moi.
Je repensai à mon rêve abracadabrant de la nuit précédente. La suite de la citation de St-Exupéry me revint alors en tête : « L’essentiel est invisible pour les yeux ». Je dus le dire à voix haute car ma mère me regarda d’un air interrogateur. Je lui racontai la table de chevet trouvée, le papier avec la citation. Elle resta silencieuse. Alors que je finis de lui raconter mon rêve, une idée germa en moi. Les mots « L’essentiel est invisible pour les yeux » ne cessaient de résonner dans ma tête. Un message était caché dans ces lettres, je l’avais sur le bout de la langue mais il semblait m’échapper à chaque fois que je m’apprêtais à le saisir.
Et soudain j’eus une épiphanie. Je regardai ma mère d'un œil nouveau. Pendant toutes ces années, j’avais cherché son secret. Elle qui n’en avait aucun, cachait quelque chose dans le tiroir de sa table de chevet ? Cela n’avait jamais eu de sens. Elle lut dans mon regard que j’avais enfin compris. Elle me sourit d’un air serein :
— Tu en auras mis du temps !
Je me mis à rire et son rire se mêla au mien pendant quelques minutes.
— Et dire que j’avais envisagé toutes les possibilités les plus improbables, sans jamais envisager la bonne, la plus simple en fait…
— Tu ne diras pas à ton père que tu as trouvé ce que j’y cache, c’est un secret qui se transmet de mère en fille...Il faut bien garder une part de mystère pour entretenir la flamme…
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Défi
Au pied d'un arbre un triste étang argenté.
Autrefois soyeuse et dorée, la chevelure n'est plus ce qu'elle était.
L'éclat des yeux émoussé, la peau plissée.
Même la plus belle fleur du jardin finit par faner.
Oubliée, elle dort d'une nuit sans rêves.
Un jour le printemps reviendra,
et d'autres fleurs plus jolies encore qu'elle ne l'a jamais été,
raviront des coeurs prompts à les délaisser.
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Défi
Elsa venait de se réveiller. La nuit avait été courte, en témoignaient les poches sous ses yeux. Plissant les paupières pour essayer d’ajuster le flou qui l’entourait, elle tâtonnait sur sa table de chevet à la recherche de ses lunettes, telle une archéologue à la recherche d’un trésor enfoui. Ses pupilles se resserrèrent face au jour qui se levait à l’horizon.
La lumière estivale venait enrober le paysage d’une couche de miel, s’accrochant sur l'arête des montagnes en arrière-plan. La fenêtre de sa chambre était comme un tableau, toujours changeant, qu’elle admirait et étudiait chaque matin avec le même soin que l'œuvre d’un grand maître. Après tout, quel maître était plus grand que la Nature ?
Au loin, on distinguait à peine la petite chapelle abandonnée, où elle retrouvait Martin pour leurs rendez-vous secrets. C’était leur refuge, le seul endroit où ils se sentaient bien, leur amour invisible au regard des autres, avec l’impression que rien ne pourrait jamais les séparer.
D’un coup d'œil rapide elle sut qu’elle était en retard, l’horloge affichait déjà 7h30. Encore une bonne journée qui se profilait ! Et dire qu’elle s’était promis de ne plus remettre ça. Déposant les cadavres de bière à côté de la poubelle, elle se dirigea vers la douche, détaillant mentalement le plan de sa journée. Répondre au mail de monsieur Duperret pour la réservation de ses billets d’avion, passer à la pharmacie récupérer les médicaments de mamie, faire deux-trois courses pour le repas de ce soir. Elle oubliait quelque chose sur sa liste mais elle ne retrouvait plus quoi. Cela lui reviendrait sûrement plus tard.
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Défi
Tous les matins, je vois son visage. C'est mon moment préféré de la journée. Une tête pouponne, aux joues rouges, qui ne sait pas encore parler.
Lorsque que je m'ennuie et que je tourne en rond, je regarde par la fenêtre et je le vois s'amuser. Parfois il ne semble pas de bonne humeur. Il crie et jette ses jouets par terre. C'est toujours divertissant en tous cas.
Pendant des heures, je suis seul à buller dans le calme le plus absolu, puis il revient devant mon hublot. Je l'entends arriver de loin. Il me fait coucou et me fait la conversation pendant un moment. Je l'écoute sans dire un mot. Puis il disparait de nouveau. Jusqu'au matin. C'est mon moment préféré de la journée.
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Défi
James se marie dans deux heures mais Juliette ne l'entends pas de cette oreille. Elle a deux heures pour reconquérir l'homme de sa vie, ou au moins comprendre pourquoi ce n'est pas elle qu'il épouse...Juliette aura-t-elle son happy end de Noël ?
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Kali n’avait encore jamais affronté la mort. Elle n’avait jamais combattu ces créatures redoutées par tous, qui avaient envahi leur territoire et les avaient forcés à se retrancher dans l’ancienne cité minière. À vivre terrés comme des rats. Elle n’avait jamais goûté au sang de l’ennemi, ni vu ses proches tomber sous leurs lames courbées. Elle n’avait pas connu l’ancien monde ; seulement les interminables couloirs d’Uruk. Pourtant, depuis une semaine, ses nuits étaient hantées par les images d’une sanglante bataille. Encore et toujours le même rêve, comme le disque rayé d’un mauvais présage.
— T’as une sale tête, dit Azi en la voyant arriver.
Comme tous les matins, le bras droit de son père l’attendait à la sortie du temple pour leur tour de garde.
— Bien le bonjour à toi aussi, répondit Kali.
Azi s’engagea sur le chemin qui menait à la rivière souterraine.
— Pas trop la pression pour ce soir ? demanda Azi.
Kali fit mine de ne pas entendre.
— Tout se passera bien, continua-t-il.
— Tu n’en sais rien. Personne n’est à l’abri d’un échec. L’issue de l’Épreuve est si imprévisible...
Azi ricana.
— Si tu n’es pas prise, alors personne ne le sera...
— Mon père sera furieux si j’échoue.
— Alors, n’échoue pas, dit Azi, taquin.
Le pont du Borgne marquait la limite nord de la ville. Un homme en armure, sculpté à même la roche, en soutenait la voûte. Avec le temps, une partie de son visage s’était effritée et les habitants d’Uruk l’avaient baptisé ainsi. La rivière lui murmurait des secrets que lui seul pouvait comprendre, puis elle descendait vers le sud jusqu’à disparaître entre les roches.
— Une petite baignade ? demanda Azi. Ça te détendrait peut-être un peu.
— Je te rappelle que nous sommes en service.
— Heureusement que tu as des amis bien placés, dit Azi avec un clin d’œil. Allez, l’eau est calme aujourd’hui, tu n’as rien à craindre.
— Je n’ai pas peur. Mais les bains glacés, très peu pour moi.
Azi commença à enlever ses bottes.
— Tu ne m’en voudras pas si je fais un plongeon rapide, n’est-ce pas ?
— Comment blâmer le grand capitaine de la Garde ? railla Kali.
Azi ignora la remarque et finit de se déshabiller pour se mettre à l’eau. Kali détourna le regard.
— Tu peux regarder, tu sais, ça ne me gêne pas.
Elle leva les yeux au ciel, et s’assit sur le rocher le plus éloigné de la berge.
— Tu dois me confondre avec une de tes groupies. Dépêche-toi un peu, tu veux. On vient à peine de commencer que...
— Relax, c’est pas comme si on était sur le point de subir une attaque de démons...
— Tu aurais bonne mine, tiens, à te battre en caleçon...
— Peu importe la tenue, ils n’auraient aucune chance contre moi.
Kali secoua la tête devant tant d’assurance. Lui non plus n’avait jamais croisé le fer avec quiconque en dehors de la salle d’entraînement.
— Tu penses encore à ton rêve ? demanda Azi. Écoute, personne n’a vu le moindre démon depuis des dizaines d’années. Ces patrouilles, c’est plus par habitude que par réelle inquiétude pour la sécurité de notre peuple.
— Dans ce cas, pourquoi ne pas quitter Uruk ? Si nos ennemis ont disparu, on devrait être libres d’aller et venir comme bon nous semble, non ?
— Ton père est prudent, c’est tout. Mais je suis certain que les choses changeront très bientôt. Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère. Je le sens.
Kali haussa les épaules. Les plans sur la comète, ce n’était pas son genre.
— Peut-être, mais en attendant on a une ronde à terminer. Alors, on peut y aller ?
Uruk s’étendait sur des kilomètres de galeries vieilles de plusieurs milliers d’années. Ceux qui avaient vécu là avant eux avaient tout prévu pour survivre sous terre : des maisons, aux temples pour honorer leurs divinités. Des puits d’eau et d’aération avaient été aménagés ainsi que des espaces pour garder le bétail. De plus, un ingénieux système de miroirs permettait de capter et de redistribuer la lumière du soleil à travers la ville.
Au détour d’un chemin, Azi s’arrêta si brusquement que Kali le percuta.
— Qu’est-ce que tu...
Le capitaine de la Garde apposa son index sur ses lèvres pour la faire taire, et lui fit signe d’écouter. La main sur la fusée de son épée, Kali redoutait le pire.
— Je n’entends rien, murmura-t-elle.
— Exactement, dit Azi en riant. Encore une journée parfaitement calme.
Kali lui donna un coup de coude dans les côtes.
— Abruti, dit-elle en essayant de retenir un sourire.
De retour au temple, ils tombèrent nez à nez avec Asmoth et Élanor, les parents de Kali.
— J’ai fait déposer une tenue dans votre chambre pour la cérémonie de ce soir, dit Élanor.
— Je vous remercie, répondit Kali, mais...
— Il n’y a pas de mais, coupa-t-elle. Azi, toujours aussi... en forme, ajouta-t-elle en lui adressant un sourire.
Il inclina la tête, acceptant le compliment avant de s’éclipser. Kali s’apprêtait à le suivre, lorsque son père la retint par le bras.
— J’ai de grands espoirs pour vous, ma fille, dit Asmoth. Ne me décevez pas.
Puis il sortit du temple, tandis qu’Élanor s’en retournait dans ses quartiers. Kali resta seule dans la salle des statues et il lui sembla qu’elles la toisaient du regard, la jugeant incapable avant même qu’elle n’ait fait ses preuves.
Lorsqu’elle arriva dans sa chambre, Kali trouva sur son lit une magnifique robe en soie couleur grenat. Huh, jamais de la vie. Kali enfila son armure. Il n’était pas question de se travestir pour affronter son destin. N’en déplaise à sa mère.
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Ce roman qui a démarré sur cette plateforme, est désormais disponible sur Amazon :
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Les premières chroniques sont déjà postées sur Babelio : https://www.babelio.com/livres/Outtier-Les-Sept-Sceaux/1514823
Merci à tous ceux qui m'ont lu à l'époque du premier jet !
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