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Silk

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œuvres
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Œuvres

Défi
Silk

Chère Wiem,
 En errant sans but d'une chaîne à l'autre, je suis tombé sur un vieux film tournant autour de la phrase suivante "La mesure de l'amour est ce que l'on consent à donner en échange". Cette phrase tourne en boucle dans ma tête depuis lors et m'inspire les mots que je devais te destiner.
 Toute mon enfance et une bonne partie de mon adolescence, je les ai passées à nier jusqu'à l'existence de l'amour, ou à le moquer, selon mon bon plaisir. Puis en rencontrant des gens qui firent pencher dangereusement la balance de mon affection, la surprise me prit, suivie d'une intense déception. Était-ce donc ça l'amour ? Celui que l'on écrit, que l'on chante, que l'on hurle depuis la nuit des temps ? Rien de si extraordinnaire, rien qui vaille la peine de donner quoique ce soit. Ainsi, du mépris suis-je passé à l'agacement.
 Puis je t'ai rencontrée, toi. Dieu que ces mots sont banales et, pourtant, je les ressens avec la force de mille des poèmes auxquels j'ai su m'ouvrir après t'avoir laissé entrer dans ma vie et dans mon coeur. Quelques mois t'ont suffi à me convaincre qu'il ne pouvait exister en ce monde plus belle personne que toi et chacun de nos échanges - fut-il de mots, de rires ou simplement de regards - m'a conforté dans cette certitude.
 Je me suis souvent pris à imaginer ce qu'aurait pu être ma vie sans les multiples erreurs que j'y ai commises. J'en suis arrivé à la conclusion qu'elle aurait été bien meilleure et qu'à présent, je serais heureux, mais l'idée demeure toujours insupportable, car c'est bien cette mauvaise voie qui m'a conduit à te rencontrer et, pour cela, je retracerais le même chemin encore et encore. La mesure de l'amour est ce que l'on consent à donner en échange. S'il va de soi que je donnerais ma vie pour cet amour, il apparaît que j'offrirais également tout le champ de mes possibles.
 Néanmoins, si l'expérience léguée par les millions d'artistes qui nous précédèrent m'a bien appris une chose, c'est que la différence est conséquente entre être heureux et être amoureux. Ce n'est donc pas une déclaration d'amour que je te fais dans cette lettre, mais bel et bien un adieu.
 J'ai passé ces deux dernières années à chérir l'amitié que tu eus la délicatesse de m'offrir et je puis à présent, sans trop m'avancer, prétendre te connaître suffisamment pour savoir que jamais ce que je ressens ne seras réciproque. Mon premier chagrin d'amour, je l'ai vécu à l'instant même où j'ai compris que je t'aimais, jamais des larmes de joie ne furent plus amère que celles que je versai à cette instant précis.
 Ce n'est pas le bonheur que je vise, mais simplement la paix et, si je dois te dire adieu, c'est pour survivre. Car derrière chacun des mots que je t'adresse s'en dissimulent, toujours plus maladroitement, trois autres que je refuse de voir arriver jusqu'à toi. Je ne veux pas connaître ta réaction, je les ai toutes imaginées cent fois et aucune ne me paraît même seulement supportable. Mieux vaut la douleur de tout briser à la tristesse de tout perdre. Alors en te révélant cette vérité, je t'annonce que je ne saurai jamais ce qu'elle t'inspire puisque je coupe ici les ponts avec tout ce qui me connectait à toi. Je te souhaite la meilleure vie possible, car à mes yeux tout du moins, personne n'en mérite une aussi grandiose. Merci de m'avoir fait grandir et d'avoir ouvert mes yeux à toutes les choses que je négligeais par fierté.
 La mesure de l'amour est ce que l'on consent à donner en retour. Je n'ai plus rien à lui donner, il m'a déjà tout pris.
Adieu, mon premier amour.
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Défi
Silk

 Le réveil retentit à 7h00 pile, éteignant jusqu’aux souvenirs des rêves d’Angus. Il ne leur prêtait plus depuis longtemps suffisamment d’attention pour que son esprit essaie seulement de les graver. Tandis qu’une pression sur l’interrupteur illumina la pièce de rayons froids et blafards, un nouveau voile s’abattit sur lui. L’asphyxie était trop intense ce matin pour laisser son bras atteindre l’étagère du petit déjeuner sans lui faire rendre le dîner qu’il avait repoussé la veille. Alors la suite simple des gestes mécaniques qu’il exécutait maintenant en dépit de toute volonté se mit en marche, prenant le relais d’un esprit embrumé par plus que l’heure matinal.
 Quand son manteau trop grand sur le dos il ouvrit la porte et que le vent glacé de l’hiver vint frapper son visage, cependant, la machine s’arrêta, comme sous l’effet d’une brusque panne. Un engrenage s’était perdu. Désemparé, Angus s’arrêta un instant, paralysé par l’impression d’un manque inconnu. L’air était différent. Non… Il n’arrivait tout simplement plus à lui. Normalement, l’asphyxie partait quand le souffle gelé qui l’attendait fidèlement derrière sa porte chaque matin contournait toutes ses protections pour venir mordre sa chair et gonfler ses poumons. Mais aujourd’hui, le voile était trop épais. Il ferma la porte, tomba et pleura, recroquevillé au sol par une douleur intense et invisible.
 L’immobilité ne laissait plus de place qu’à l’introspection. Angus se demanda alors quand s’était installé ce boulet dans sa poitrine. Il était sans aucun doute plus léger à l’époque, mais sa naissance datait environ de son entrée au collège. Le mal-être s’était alors insinué dans son cœur de petit garçon encore joyeux et l’avait de plus en plus coupé d’un monde qui trouvait malgré tout le moyen de l’oppresser.
 Angus avait dès lors toujours été seul, contraignant difficilement son regard à afficher une indifférence censée dissimuler la tristesse qui perçait parfois le masque, à la recherche d’un regard pour croiser le sien. Assis au fond de toutes les classes qu’il avait hantées, il ne parlait pas et baissait les yeux, de peur de rencontrer ceux des autres, même lorsqu’étrangement ils s’adressaient à lui. Au long des journées passées au collège, puis au lycée, il s’était habitué à n’émettre aucun son, même lorsqu’il y passait dix heures, au point où lorsque l’obligation d’une politesse se faisait entendre, sa voix s’éraillait misérablement en la manifestant. Une mécanique dont il ignorait tout avait progressivement créé cette attitude chez lui et en avait fait la seule qu’il soit même capable d’adopter. Mais s’il ne l’avait pas choisie, il espérait aussi, au fond de lui, qu’elle susciterait une main tendue pour le sortir de la tourbe dans laquelle un mal insensé l’avait enfoncé. Il avait entendu de nombreux adultes développer, sûrs d’eux, le piètre raisonnement – dont ils sous-estimaient la banalité – selon lequel ceux qui souffrent sont ceux qui se taisent et que, par conséquent, ceux qui se plaignent ne souffrent pas vraiment. Si ce genre de discours sonnait davantage à son oreille comme une excuse pour ignorer les appels à l’aide, ils l’avaient malgré lui laissé espérer que ses suppliques silencieuses parviendraient peut-être aux oreilles de ces bonnes gens.
 Mais personne n’était jamais venu. Et, maintenant, il était trop tard. Il le savait. Les quelques éducateurs qui acceptaient l’idée d’une quelconque responsabilité auprès des jeunes n’en reconnaissaient plus la légitimité dès lors qu’ils atteignaient la limite de leur dix-huitième anniversaire. Au-delà, il était bien normal de n’avoir cure de leur sort et de laisser l’entièreté de leur douleur à leur propre responsabilité. Alors c’était fini, il n’avait plus d’espoir. Angus savait qu’il ne se relèverait jamais seul et que plus personne à présent ne lui tendrait la main, parce que ça n’avait pas d’importance. Les beaux discours, les valeurs, les bons sentiments… Peut-être ne s’appliquaient-ils juste pas à lui, ou peut-être que tout ça n’était que mensonge. Quoiqu’il en soit, tout ce qu’il lui restait à présent, c’était la colère.
 Il ne se souvenait pas comment est-ce qu’il était arrivé jusqu’à sa voiture, pas plus qu’il ne se souvint du chemin qui l’avait conduit jusqu’à ce lycée, qu’il pensait avoir laissé pour de bon derrière lui six mois plus tôt. L’endroit qu’il avait quitté ne l’avait jamais quitté.
 Sa main serrait une arme qu’il ne se souvenait pas s’être procurée. Son canon était pointé vers les visages qu’il avait maudits autant qu’il les avait suppliés. Les larmes aux yeux, il hurlait les mots que sa bouche perpétuellement fermée avait autrefois gravés sous sa chair.
 « Vous ne m’avez pas juste laissé à mon désespoir, vous m’y avez enfoncé ! Je parie que vous ne vous rappelez même pas de moi ! Mes yeux, toujours baissés, vous ont fait rire. Ma voix faible et hésitante vous faisait lever les yeux ciel. Les larmes que je retenais vous faisaient perdre patience. Comment peut-on oublier aussi vite une personne qu’on a laissé se noyer ?! »
 Devant un silence plein d’effroi qui n’était pas une réponse, il commença à les viser un par un. « Vous ! Je ne parlais jamais, pas même pour dire « Bonjour » ou « Au revoir », alors vous avez ajouté à mon bulletin la mention « insolent ». Ce devait être écrit sur mon visage, pourquoi auriez-vous pris la peine d’envisager une autre explication ?! ». Le canon se décala de quelques centimètres. « Et vous ! Quand vous présentiez tour à tour chaque élève de la classe à la nouvelle élève, je m’en rappelle très bien, vous avez dit « Ça c’est Angus, il ne nous parle pas, il ne nous regarde pas, il reste dans son coin au fond de la casse. » Très finement observé ! Dommage que vos brillantes observations ne vous aient servi qu’à me tourner en dérision devant tous mes camarades. »
 Les sanglots rendaient à présent sa voix aussi balbutiante qu’autrefois. « J’entends d’ici l’évidence de la déduction : « Se sent-il mal ? Est-il triste ? Non, l’autre l’a dit, ce doit être de l’insolence. » Le silence et la mine dans le vague en sont bien les manifestations les plus courantes n’est-ce pas ?! ». Le canon tremblota vers une troisième cible, toute aussi terrorisée que les deux premières.
 « Et vous monsieur ?! Taxez-vous toujours les élèves incapables de répondre à vos questions de fainéantise et de provocation ? Ou bien était-ce mon privilège de fantomatique insolent ?! Mes notes ne pouvaient pas être dues à l’incompréhension, je ne pouvais que faire exprès d’être aussi mauvais ! ». Il chuchota presque « J’ai eu de l’espoir, vous savez, quand, avec une indifférence pourtant évidente, vous m’avez demandé sans même me regarder quel était le problème. J’ai vraiment espéré. Mais vous m’avez laissé articuler en tout et pour tout trois mots avant de me qualifier de « gosse immature » et de me conseiller de me secouer. »
 Il essuya d’un revers de sa manche les larmes qui brouillaient sa vision. Quelle que soit la suite des évènements, il ne voulait pas rater son coup. Il respira et reprit sur un ton calme et plus assuré que jamais, comme ceint de l’indifférence qu’il n’avait jamais que prétendu porter. « Je vous emmerde. Tous. Et surtout je vous hais. D’abord j’ai espéré après vous et d’autres personnes dans votre genre. J’ai cru en le beau rôle que vous vous donnez tous. Puis j’ai cessé d’y croire et j’ai commencé à vous haïr. J’ai rêvé du moment où je vous dirais tout ça et où vous seriez contraints de m’écouter mais, même maintenant, vous me décevez. Je ne veux pas vous voir terrorisés, jonchant le sol de vos pauvres larmes. J’ai l’impression de me voir moi face à vous. Je ne sais pas ce que j’espérais, mais ça c’est pire que tout. Maintenant que je parle enfin, vous ne m’écoutez même pas. À votre tour, vous êtes dans votre monde à vous. Un monde où un cinglé dont Dieu lui-même ne saurait expliquer les actes vous menace avec un flingue et où vous priez pour être encore en vie quand les secours arriveront pour me loger une balle dans le crâne ». Son index ne tremblait plus sur la gâchette. « Même ça, ce n’est pas à la hauteur. »
 Un coup de feu se fit entendre.
J’ai toujours su que je ne quitterai jamais cet endroit.
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Défi
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 Nous y voilà rendus, mes derniers mots. J’ignore ce que vous en attendez et ne peux par conséquent pas vous promettre que vous le trouverez ici. Ce que je peux vous promettre en revanche, c’est qu’il n’y aura ni humour, car je me suis promis de ne pas prendre ma mort à la légère, ni raison, parce qu’il n’y en a pas. Il n’y en a jamais.
 Ce texte, c’est ma manière de réunir tous ceux qui ont compté pour moi ces dernières années. Vous finirez par tomber, d’une manière ou d’une autre, sur un message qui vous est individuellement destiné. Si ce n’est pas le cas, c'est que vous ne comptiez pas, ou plus, et j’en suis désolé, quoique vous ne puissiez pas encore le savoir. Mes mots vous paraîtront peut-être durs, peut-être même qu’ils vous blesseront, mais ils valent mieux qu’un mensonge ou qu’un silence entretenant le doute.
 Ne cherchez pas ces messages, ils viendront à vous, chacun à un moment différent, quand vous ne vous y attendrez pas. Si j’avais pour vous un dixième de l’importance que vous avez pour moi, alors ils vous saisiront à la gorge, serreront votre cœur et poseront un voile lourd et épais sur votre journée. C’est ainsi que vivent les vraies émotions et si je ne devais vous laisser qu’une seule chose, ce serait ça. Ne les rejetez pas, ne les étouffez pas, laissez-les exister, c’est ainsi que l’on se sent vivant, ainsi que l’on évite le vide, la vraie mort.
 Je vous aime, voilà le seul message qui en vaut la peine. Ce n’est pas banal, ce n’est pas poli, ce n’est pas gentil, c’est tout simplement ma vérité. J’ai mis un point d’honneur à garder séparés mes « mondes », raison pour laquelle beaucoup d’entre vous ne se connaissent pas. La seule chose que vous ayez tous en commun, c’est mon attachement à votre égard et tout ce que je regrette, c’est de n’être pas là pour voir s’il était réciproque. J’ai cherché toute ma vie des gens capables de me rendre ce que je leur donnais sans limite. Je suis désolé de n’avoir jamais vraiment su si c’était votre cas et plus désolé encore de n’avoir jamais su rendre évident et moins encore vous dire l’importance que vous revêtiez à mes yeux.
 Alors même que je suis encore là, il m’est difficile de vous dire adieu, mais la douleur que m’arrachent ces mots est la meilleure qui soit. Je vous remercie d’être si difficiles à laisser derrière moi.
 Enfin, je suis désolé si précipiter tous ces gens dans ma propre tombe a changé la vision que vous aviez de moi. Mais, croyez-moi, ils le méritaient tous.
Passez une bonne journée.
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