C'était un gros bloc de savon rose, acheté dans un marché de Provence. Il sentait bon la lavande et la propreté. Il était passé des mains de la vendeuse à celles de l'acheteur, qui l'avait fourré dans son sac, et basta jusqu'à la maison. Le bloc fut introduit en salle de bain et présenté au shampoing. De mèche avec la mousse à raser, ils firent bloc contre le bloc de savon qui décida de s'isoler dans un coin.
Il ouvrit les yeux pour la première fois lors de la première douche. Savez-vous ce que ressent un savon quand il est utilisé ? Grisante sensation: le savon se sent glisser, rouler sur le corps, coulant et dégoulinant de plaisir. Pour sa première glissade, le savon était satisfait: il se sentait plus léger, plus affable.
Il l'ignorait complètement, mais il était en train de s'humaniser.
L'homme, après une rude journée pleine d'arnaques et d'escroquerie (sûrement un ministre, mais le savon ne se souciait guère de politique), filait toujours droit à la douche. Il se lavait alors consciencieusement chaque centimètre carré de sa peau, comme pour enlever la moindre marque crasse collant à l'épiderme. Seulement, il ne s'agissait que de saleté de surfaces, et notre savon en voulait plus : lorsqu'il venait nettoyer du corps de son propriétaire les particules de saletés, il lui aspirait aussi bien volontiers son humanité.
Ainsi, a chaque lavage, le savon gagnait en gentillesse, générosité, altruisme et tutti et quanti, tandis que son propriétaire devenait de plus en plus sale de l'intérieur.
A force de devenir le savon idéal, notre bloc préféré décida un jour de quitter le logis : il ressentait au fond de lui le besoin d'aider les autres. Alors d'un coup de savonnette, il passa par la fenêtre et s'élança dans la jungle urbaine.
La légende ne dit pas ce qu'il est devenu, mais en interrogeant le shampoing, on peut se rendre compte que le savon a eu une vie bien mouvementée, devenant leader de plusieurs grandes causes ou luttant dans l'ombre contre l'injustice. Toujours est-il qu'à force de s'user à nettoyer les pires vilénies de ce monde, notre pauvre savon se sentait bien diminué, si bien qu'à force d'enlever les pires crasses, il finit par disparaître entièrement.
Comme quoi, ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier.

C'est un homme en chocolat
Las, il s'ennuie ferme dans son trou
Trouvant l'idée fort excitante,
Tente de partir à l'aventure.
Turbo, moteur, sa caisse démarre,
Marre de rouler, sa voiture cale.
Caliméro, l'homme se plaint,
Plein dans la jungle il s'est perdu !
Du haut d'un arbre il examine
Minutieusement les alentours,
Tournant du cou, il aperçoit
Soit un village, soit un abri
"Brillante idée d'm'y diriger !
J'ai envie de me sustenter !"
Terrible erreur que d'avancer
Séant sans regarder ses pas,
Passé au travers d'un feuillage,
A genoux, il tombe droit dans l'eau
L'horrible flux l'cueille aussitôt
Tonnant, il veux qu'on vienne l'aider
Des piranhas attirés par sa voix,
Voilà le bonhomme tout cassé.

Je sais, j'ai perdu le défi, mais l'occasion était trop tentante. Au mois vous aurez lu ces quelques lignes ! Et finalement, si vous les lisez, c'est que vous avez fait autre chose que de sortir prendre l'air. A ma façon, je vous aurais fait perdre le défi moi aussi. Petit plaisir coupable je dois l'avouer.