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Leslie Riebel

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œuvres
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défis réussis
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Œuvres

Leslie Riebel

Il fait soleil ce matin mais aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres.
Marthe est assise dans son rocking-chair et essaie de maîtriser sa respiration. Son cœur bat beaucoup trop vite. Elle a posé ses mains sur ses genoux.. Regarde les veines bleues pulser à ses poignets, les étoiles rousses en semis sur la peau de papier, les doigts tordus.
Ils viennent de partir et jamais elle ne s’est sentie aussi vieille.
Bien sûr, elle sait qu’elle l’est. Ses mains le lui disent depuis longtemps et certains jours plus que d’autres quand l’arthrose les transforme en griffes de douleur.
« - Mais j’ai seulement 80 ans … » a-t’elle crié à son fils Pierre.
« - Ca n’a aucun sens de dire ça, maman. »
« - Mais pour moi, si ! Ma mère est morte à 94 ans, mon père à 92. Dans ma famille, 80 ans, c’est encore jeune. »
Pierre l’a appelée la semaine dernière pour lui annoncer leur venue aux environ de dix heures. Ils ne passent pas souvent chez elle. Elle a été surprise, puis ravie, et comme à chaque fois, pleine d’espoir au sujet de Louise. Louise est toujours tellement mielleuse : « Vous êtes sûre que vous vous sentez bien, mémé Marthe ? » Son air pincé, sa moue réprobatrice crispent les nerfs de Marthe, mais c’est la femme de son fils, et à chaque fois, elle se dit que Louise n’aura pas son petit air méprisant et que leur visite se passera au mieux.
Elle s’est levée tôt. Ses mains se taisent aujourd’hui mais la préparation du thé est longue et fastidieuse.
Elle se demande comment ils auraient abordé la question si elle n’avait pas fait tomber la théière au moment de la poser sur la table. Un brusque éclair de douleur a mordu ses mains qui se sont ouvertes. Explosion, fracas, feu d’artifice de liquide brûlant et de morceaux de porcelaine.
Pour le bouquet final, il a fallu attendre…
Après un bref instant de panique qui laisse Marthe tremblante et paralysée, Louise s’occupe de tout. Les dents serrées, elle fait asseoir Marthe, et ramasse, éponge avec de grands gestes efficaces. Pierre, en retrait, regarde prudemment par la fenêtre.
« Bon, dit Louise en s’asseyant face à Marthe. On était justement venus pour vous en parler… »
Marthe se redresse, le souffle soudain court et regarde Louise fouiller dans son sac et en retirer comme de grandes cartes colorées. « Jetez donc un coup d’œil sur ces brochures, mémé Marthe. »
Marthe baisse les yeux et serre les doigts pour les empêcher de trembler. La douleur hurle maintenant en s’insinuant partout, jusque dans ses coudes. Malgré ses lunettes, elle a du mal à voir les grandes lettres qui dansent puis s’immobilisent. « Résidence pour personnes du troisième âge », lit-elle.
Ils sont partis maintenant et Marthe regarde ses mains. La scène qui a suivi reste embrouillée dans sa tête, elle sait qu’elle s’est levée, qu’elle a crié, qu’elle a jeté les brochures par terre. Pierre a tenté de la calmer mais Louise, furieuse, s’est mise à crier aussi. Marthe n’arrive pas à se souvenir des mots échangés. Elle les voit prendre leurs manteaux et partir, elle voit Louise se retourner, les lèvres serrées, le regard dur. « Nous reviendrons » a t’elle jeté avant de claquer la porte.
Marthe coule un regard vers les brochures, le détourne aussitôt. Elle ne partira pas d’ici. Elle aime cet appartement. Elle se souvient du rire de Raymond la première fois. « L’envolée, quel drôle de nom pour un immeuble » avait il dit.
Marthe se lève et va chercher dans l’armoire son album de photos. Elle caresse un moment la douceur du vieux cuir qui apaise les ruades de son cœur. Elle ouvre l’album, et retient sa respiration, comme si elle plongeait…
…Marthe, 16 ans, lit dans le jardin de ses parents. Le soleil ruisselle sur ses cheveux dénoués, ses bras nus. Surprise par l’objectif, elle a levé les yeux, un demi-sourire sur ses lèvres entrouvertes.
…Marthe, 20 ans, en robe blanche, est aux côtés de Raymond. Son cœur bat dans ses tempes, les grains de riz crépitent autour d’eux.
…Marthe, 25 ans, est assise sur le sable, et serre le petit Pierre contre elle, sa bouche enfouie dans les cheveux fins du bébé, le regard vers l’horizon.

...Marthe, 80 ans, est de nouveau heureuse.

La mer et le ciel se mêlent dans une blondeur rousse, qui envahit tout, et le monde devient sépia.


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Défi
Leslie Riebel


Agathe,
Après toutes ces échauffourées, ces mots (pensés ?) jetés entre nous deux, je prends le taureau par les cornes en t’envoyant cette lettre. J'espère que tu pourras comprendre. Je ne veux pas te parler face à face, peur d'être stoppé par tes remarques et ton étonnement avant même de commencer.
Tu vas être déçue, étonnée, en colère. Tu ne vas pas comprendre, tu vas me détester.
Mon cœur est lourd de ton amertume future.
Je pense que nous avons eu tort de nous mettre ensemble peu de temps après notre rencontre. Cela a tout changé. Au début, tu t’es montrée amoureuse, débordante, prête à tout pour nous deux, créant à chaque rencontre des espaces nouveaux, tu m’as secoué, éjecté de ma zone de confort d’éternel jeune homme sans attaches, poussé dans mes retranchements et j’avoue que ça ne m’a pas déplu.
Au début, ce fut l’extase, à en perdre jugeote et sagesse. On a été fous, exaltés, perchés au-dessus de nos nuages d’amour. Ça a été enchanteur et surnaturel. On a voulu que ça dure, que ça dure et on a cherché un appartement pour ne plus être séparés.
Seulement, dès qu’on s’est calés ensemble dans notre refuge d’amour, la vapeur s’est renversée ! Nos cœurs tout à coup se sont calmés. Etrange phénomène. Tu es devenue plus douce et plus ennuyeuse… Tu as perdu tes accès de fougue, d’ardeur …. Et au fur et à mesure de ces jours à deux, tout est devenu pesant.
J'étouffe.
Les flammes ne sont plus que des cendres.
On a été trop pressés, on y a cru, former un couple nous a semblé couler de source. Les moments de grâce des débuts, le cœur battant, l’âme exaltée, dans les parcs et dans les cafés, nos balades sans but dans les rues nous ont semblé éternels.
Alors, rassembler nos âmes dans le même foyer n’a soulevé aucun doute pour nous deux.
Ce que je peux te révéler et t’avouer, c'est que durant ton absence de quelques jours, le soulagement et le bonheur retrouvé comme des fenêtres ouvertes sur ma légèreté d’avant ont conforté les murmures de mon cœur. D’abord un fort étonnement accompagné de doute (ma tête ne tourne plus rond ?) et tout à coup, une grande clarté sans appel.
Je ne peux pas passer à côté de ce que j’éprouve.
Je ne veux plus m’ennuyer à tes côtés.
Je ne peux que m’envoler.
Mes fenêtres sont ouvertes de nouveau.

Jean
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Défi
Leslie Riebel



Elle jette un dernier regard autour d’elle avant d’entrer dans le sas. Personne n’avait cru qu’elle oserait. Elle qui a peur de tout. Elle boit des yeux cet espace si connu, si rassurant. Elle pense qu’elle ne le reverra jamais et entre.

Le sas est une étoile à dix branches, chaque branche une coque de satin d’un bleu qui lui donne envie de dormir. Elle s’allonge dans l’une d’elle et oublie tout.

Elle n’a pas l’impression de se réveiller. Les sensations sont si étranges. Ce bleu qui lui a donné sommeil fait maintenant partie d’un tout.

Le sas s’immobilise. Elle se lève et regarde autour d’elle. Elle ne respire plus, n’y pense même pas. Ce qu’elle voit est autre.

Elle se met en route, ne sait pas si elle marche ou flotte. Le bleu sommeil s’effiloche peu à peu sur des déchirures rouges qui filent autour d’elle et font battre son cœur. Elle les suit. Les fusées rubis se rassemblent d’un seul coup devant elle pour exploser soudain et c’est comme si une porte s’ouvrait.

Elle est face à un monde auquel elle ne comprend rien, une vallée qui se répète à l’infini, à tous les niveaux. L’horizon n’existe plus, la terre et le ciel non plus.

Elle avance, et là, elle sait qu’elle flotte, qu’elle nage peut-être.

Des myriades de microns de soie lui caressent la peau. Des formes la frôlent, la croisent : coquilles irisées tournoyant sur elles-mêmes, étoiles crépitantes, corolles translucides.

Elle n’a pas peur. Elle se sent juste un peu fébrile. Elle nage. Elle est cette eau qui la porte, qui commence à devenir doucement plus lumineuse, plus brillante.

D’autres formes apparaissent ça et là, serpents sinueux aux ailes vibrantes, oiseaux d’écailles transparentes, gazelles bleues. Une mère ourse et ses petits la dépassent en ondulant.

L’eau devient pétillante de bulles. Elle ne voit plus rien qu’un éblouissement de lumière. Puis cette pluie d’or cesse tout à coup.

Il est là, enfin, à perte de souffle, de regard. Il devient l’horizon qui n’existait plus. Ses tourelles courent à l’infini, lovées dans le nid de ses escaliers. Ses murs oscillent lentement, leurs ancres fichées dans une clairière de nuages de fumée. Dans la mouvance rythmée de ses voiles, le pont-levis s’abaisse sur une volée de marches en verre filé.

Alors, elle sait qu’elle est enfin arrivée.


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Questionnaire de l'Atelier des auteurs

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