Un mal pour un bien...

Au milieu de la nuit, il entendit du bruit dans les escaliers. Un peu inquiet, il entrouvrit discrètement la porte de sa chambre. Dans la pénombre, il aperçut une main qu'il reconnut appartenir à son père. Rassuré, il retourna se coucher. Le lendemain, son père n'était plus là. Il ne le revit jamais.

Déjà plus de 20 ans que les caravanes ont remplacé ma chère savane, mais je ne peux l'oublier. Ma mère, ma famille, mon troupeau, tous me manquent, je me sens seule sans mes congénères. Parfois je crois entendre le sifflement du vent, mais ce n'est que le fouet qui m'intime comment positionner mes grosses pattes sur ce miniscule podium ou quel ballon attraper avec ma trompe. Les cris des spectateurs me fatiguent et ce chapiteau m'étouffe. Alors je ferme les yeux, et tous mes souvenirs ressurgissent : les baignades dans les lacs, les roulades dans la boue, les longues marches dans la jungle et le désert, je perçois la chaleur du soleil sur ma peau... Mais, non, ce sont les projecteurs ! Alors je sens une larme couler...

Il n'est jamais trop tard pour apprendre...

-Plus joufflu, plus joufflu !!! me dit mon fils en sautillant gaiement.
-Mais il a déjà de bonnes joues... Et puis, on risque de perdre en aérodynamisme, objectai-je.
-S'il-te-plaîîîîîîîît...
-D'accord, soupirai-je, je suppose qu'on peut ajouter encore un peu de papier mâché...
Comment résister à ces grands yeux pétillants ? Ils étaient ma faiblesse depuis sa naissance... 6 ans déjà ! Et tellement de défis relevés depuis...
Je n'oublierai jamais la première fois que nos regards se sont croisés... Cette nuit effroyable où j'avais perdu la femme que j'aimais, fauchée par un chauffard qui n'avait même pas eu la décence de s'arrêter pour lui porter secours. C'était un passant, témoin de l'accident, qui avait appelé les secours et tenté de stopper son hémorragie. Malheureusement ses efforts, et ceux des pompiers arrivés peu après, avaient été vains. Les médecins avaient juste pu opérer une césarienne en urgence, pour sauver notre bébé. Près de 3 mois trop tôt...
Lorsque j'arrivai à l'hôpital, j'appris tout à la fois que j'étais désormais veuf et papa... Je me sentis perdu, dévasté par la douleur et l'angoisse. Comment continuer sans elle ? Le sol se dérobait sous mes pieds. Je parvins tout de même à suivre l'infirmière qui me conduisit dans une petite pièce au milieu de laquelle trônait un incubateur. Et là, enfoui sous un enchevêtrement de tubes et tuyaux, je distinguai une petite forme rose. Délicatement, l'infirmière souleva le minuscule petit être, et le posa dans mes bras. C'est alors qu'il ouvrit les yeux et plongea son regard dans le mien, si profodément que j'en eu le souffle coupé. Et je compris. Je compris à cette seconde que ma vie ne serait plus jamais la même. Que le but de ma vie serait désormais de veiller sur la sienne. J'étais père.
Les premiers mois avaient été difficiles : gérer le deuil et les formalités des obsèques tout en consacrant un maximum de temps au chevet de mon petit combattant... Choisir un cercueil le matin et se réjouir de bonnes constantes ou d'un moment de peau-à-peau l'après-midi, ça aurait bien pu me rendre schizophrène ! Heureusement que famille et amis avaient été là pour me soutenir !
Petit à petit mon vaillant petit bonhomme avait gagné en robustesse et avait pu s'affranchir un à un de tous les tuyaux qui l'avaient maintenu en vie. Pour autant, tout n'était pas gagné. Il demeurait fragile et nécessitait de nombreux soins, à présent à domicile. Puéricultrice, infirmière, kinésithérapeute, orthophoniste, c'était la valse des blouses blanches... Chaque étape de son développement, si évidente pour les autres enfants, avait été une véritable victoire. Et célébrée comme tellle !
Aujourd'hui, il était âgé de 6 ans, mais demeurait chétif. Si petit, qu'on lui donnait facilement un an de moins, ce qui l'agaçait prodigieusement... Mais sa petite taille n'avait d'égale que sa vivacité d'esprit et sa joie de vivre à toute épreuve ! Les rendez-vous médicaux s'étaient progressivement espacés mais je tremblais toujours autant pour lui. Alors bien sûr, il suffisait qu'il plonge ses grands yeux dans les miens pour me faire faire n'importe quoi... Comme être son héros en participant à une course de caisse à savon. Et lui faire plaisir en construisant pour cela un bolide à l'effigie du Père Noël. Avec un visage... joufflu !