AlineCara
Les plus lues
de toujours
Défi
J’ai exploré tous les continents, voyagé dans le temps, découvert des peuples éteints depuis des siècles, observé des arbres grandir en quelques secondes, vu des espèces maintenant disparues naître en pleine nature. J’ai senti l’odeur des bois, le froid de la glace et la fournaise des volcans. Entendu l’éboulement d’une avalanche, vécu la violence d’un tsunami, mesuré la force d’un cyclone. J’ai couru parmi les loups, nagé au milieu des récifs, volé si haut que j’en ai touché les nuages. J’ai tout vu. J’ai fait le tour du monde. Du monde, oui, mais pas celui d’aujourd’hui. Pas celui de l’année 2593.
Je suis né il y a quarante-et-un ans, formé comme mes parents l’avaient souhaité : les yeux verts, couleur adorée par notre population, la chevelure la plus foncée possible pour contraster avec la pâleur de ma peau. Je suis un homme comme on a voulu que je sois : intelligent, vif, aimant découvrir… J’ai du potentiel coincé dans ma boite crânienne, voici le meilleur éloge que ma mère m’ait fait. Je n’ai ni frère ni sœur. Ces mots n’existent plus dans notre quotidien. L’enfant unique et parfait est devenu la seule alternative pour nous tous. Après un premier né en bonne santé, les parents sont immédiatement stérilisés.
L’humain contrôle tout, comme il l’a toujours voulu. À force de s’acharner à exterminer toute menace, il a fini par y arriver. Hélas.
Je n’irais pas jusqu’à dire que nous vivons la fin du monde, bien au contraire ; d’après ce que l’on raconte, la Terre est saine et nous avons trouvé des substituts contre tout ce qui pouvait la détruire. Exploitation, pollution, surpopulation… Je vis à l’époque où tout semble enfin paisible. Trop calme.
L’ennui. L’ennui a poussé notre race à tirer profit abusivement des sciences et des technologies seulement pour combler ce manque d’occupation. Des abominations créées en laboratoire font la une de nos informations. Mélangeant des espèces animales que l’on ne voit plus dans notre nature. Cela amuse tellement la foule qui en redemande. Surprise, peur, curiosité. Elle aime tant ces sensations.
Bien sûr, il y a des inventions bien plus pertinentes que ce cirque des temps modernes. Le développement de la réalité virtuelle a atteint son paroxysme. Toutes les données des siècles passés, les images, les sons, les odeurs… Tout cela peut nous être retransmis via une machine complexe et unique à chaque métropole. Je l'ai surnommée "La Mémoire de la Terre".
L’homme a au moins compris la valeur du partage et du savoir, voilà pourquoi cette machine est accessible à tous. Une fois par jour, depuis que j’ai atteint l’âge de pouvoir m’y rendre, je fais la queue comme nombre d’entre nous. Une attente de plusieurs heures pour une extase de dix minutes chrono. On choisit le programme et on se laisse guider. C’est de là que j’ai tout appris, je connais la Terre comme si je l’avais créée. Mais jamais rien du monde d’aujourd’hui n’est passé devant mes yeux.
La mondialisation a été jetée aux oubliettes, et aujourd'hui, nous jurons que par une seule chose : l'autosuffisance. Ma ville est fortifiée de hauts murs sur lesquels sont placardés des kilomètres d’écrans qui envoient constamment un paysage idyllique. Ce qui se trouve de l’autre côté ? Je n’en ai pas la moindre idée. Même en prenant de la hauteur dans les plus grandes tours, on ne voit pas ce qu’il y a derrière. Peut-être que nous recouvrons la surface entière de la planète et que nos agglomérations sont en réalité collées les unes aux autres. Peut-être qu’il n’y a strictement rien et que les forêts, montagnes, déserts, océans, ont tous disparu et n'existent plus que dans cette si précieuse machine.
Peut-être.
L’année 2593 n’est pas celle qui me fait vivre. Oh non, toutes, mais pas celle-ci. La machine est ma façon de fuir ? Certainement. Celle de m’accrocher ? Absolument.
Il y a une chose qui n’a pas changé depuis toutes ces décennies : l’Homme est trop intelligent pour rester passif. Cette paix ne durera pas et je préfère ne pas y songer.
Les gens autour de moi sont si parfaits. Pas de handicap, pas de défaut. Nous nous ressemblons tous. En des milliers de recherches s’étalant sur des siècles et des siècles, la clef de la jeunesse éternelle n’est toujours pas entre nos mains. Nous vieillissons toujours un peu plus, prenant conscience de la nature éphémère de notre vie. Certains craignent la moindre ride, moi, cela ne me fait pas peur. La Terre sera toujours là après mon départ et c’est tout ce qui m’importe.
Aujourd’hui, je veux seulement regarder les aigles voler, déployer leurs ailes majestueuses du haut de leurs arbres. Les voir planer dans le ciel parfait, fendre sur leur proie avec une aisance déconcertante et les observer repartir nourrir leurs aiglons. Je veux sentir la brise d’un vent frais, l’odeur des pins et des fleurs. Caresser la mousse humide qui recouvre la forêt. À cet instant, je ne pense qu’à ça et c’est tout ce que je souhaite.
C’est à mon tour d’entrer dans "La Mémoire de la Terre".
12
7
8
4
Vous êtes arrivé à la fin