Poulop
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Défi
Adulées et détestées, usées jusqu’à la moelle et malmenées, les rimes se croisent et s’interrogent dans nombres de textes bien connus comme inconnus pour finalement laisser le public dans cette léthargie qui suit communément la lecture de poèmes. Une léthargie généralement due à deux facteurs : soit l’incompréhension la plus totale lorgnant vers le néant, soit l’adhésion tout aussi radicale à la forme, l’idée, la prose ou le vers rimé.
Le poète, lui n’est que la voix. Le canal, le transmetteur, le porteur de message, le prophète inventeur ou non de ces mots lâchés puisqu’ils peuvent aussitôt être accaparés par tel ou tel admirateur avide d’aller le conter à son entourage.
Quelle utilité trouve-t-on à un poète de nos jours ? Existe-t-il un contexte dans lequel il faut absolument avoir un poète sous le coude, dans les plus brefs délais sous peine de causer un mal atroce à un gigantesque nombre de personnes, provoquant par là une crise socialo-économico-écologique majeure mettant en péril la possibilité-même d’envisager un avenir serein pour l’espèce humaine sur Terre ?
Que fait un poète ? Il écrit, parle, lit, chante, déclame, déblatère, hurle et crie. Comme tout le monde en fait, mais avec style.
Par un ensemble de détournements et accommodations de syllabes et mots en jouant sur tous les aspects les plus minimes jusqu’à sculpter un vers aussi précisément et soigneusement qu’un diamant taillé jusqu’à en faire pâlir les plus aguerris des politiciens corrompus, le poète transmet à sa manière en travaillant la forme à l’extrême.
Bon alors, à quoi ça sert ? Et quand ?
Au travail ? Je me vois mal recevoir un candidat à un recrutement qui me sortirait son CV à coups de rimes et de vers bien taillés :
Veuillez accepter là avec humilité
Ma candidature au poste ici présentée
Mcdo, Quick, Burger King, ma carrière est remplie
De gras, d’esclavagisme payé en kiwis
Pas sûr que le résultat soit à la hauteur de l’effet escompté. Puis discuter avec un type comme ça tous les jours au café, ça risque de finir en emboîtement genou/mâchoire aux conséquences peu recommandables en milieu professionnel.
En politique ? Que nenni, les discours sont déjà tellement emmêlés qu’y rajouter du style ne ferait que les rendre plus clairs. Impossible, donc.
Dans la vie quotidienne ? Je vous lance le défi de demander un conseil à la Poste de cette manière.
Pour trouver l’âme sœur ? Malheureux que vous êtes, ça ne rime à rien, plus personne n’ose aborder d’autre être vivant que soi-même dans la rue. Allez-donc essayer d’offrir un vers sur Tinder. Vos strophes ne seront que cata.
Et je ne vous parle même pas de tous les domaines manuels comme le bricolage, la cuisine ou le tricot, où s’acharner à réciter des vers reviendrait à tenter de conduire un semi-remorque en soufflant dans le pot d’échappement (cette métaphore est réutilisable dans bien des contextes, c’est gratuit).
Comment diable définir une utilité quelconque à un poète, nom d’une fougère séchée ? Demandons l’avis de Jean-Léopold, poète de vocation :
- Jean-Léopold, bonjour.
- Bonjour.
- Vous êtes poète.
- Tout à fait.
- Nous avons une question, une seule, ce ne sera pas long : que voulez-vous, vous les poètes ?
- Oh, eh bien c’est très simple : nous voulons être entendus, pouvoir décliner nos vers auprès de quelqu’un à l’écoute, qui pourrait absorber nos mots, les accepterait du premier au dernier sans même le besoin de les comprendre, voire pourrait les répéter avec le même enthousiasme, les transmettre au monde, les partager tous les jours dans l’euphorie et l’envie de mélanger les mots sans pour autant essayer d’en dégager du sens.
- Merci, Jean-Léopold.
C’est donc en toute légitimité que nous pouvons conclure que ce que veulent les poètes, au fond, c’est devenir Cyril Hanouna.
Voilà.
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