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Ingénu
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œuvres
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défis réussis
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"J'aime" reçus
Œuvres
Là !
Il y a cet animal qui me pèse et me nargue,
Qui habite mes nuits comme un riche mendiant ;
Il y a cet ennemi assoupi dans mon ombre,
Et qui racle sa langue au râtelier d'une âme...
Unique larme qu'une stalactite largue :
Un bassin − l'agonie d'une anguille lugubre.
...C'est le Manque, ma mie ! et son esprit frappeur
Ravage en une nuit la fumée de mes jours.
Un écrin qui contient la mort dans une aiguille,
La saveur d'un baiser qui doucement fuit.
Monde ! Aveugle affamé engendré d'une plaie !
− Je suis cette faim-là et c'est ce qui me tue,
Car je remue, je traque, et je pique, et je brûle,
Mais ma vie, et mes peines, et mes égarements,
Dans un atermoiement toujours ressuscité,
Vont de ce cri qui cherche et que le vide heurte.
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Hier encore tu paraissais nue
Ton corps le roc des parois de la crique
La gorge creuse dont la douce écorce
Perd son écho endormi sous la houle
Hier encore soupirant j'ai chu
Car Amazone jungle qui m’enceint
Comme une liane ai tissé ton portrait
Tel que toujours de profil apparaisses
Hier encore je t'ai aperçue
De son manteau la marée découverte
A dévoilé ton visage limon
Et mon soupir eut le goût de la mer
Hier encore la liane a rompu
Ma tête va heurtant contre le sol
Et le couchant charrie les minéraux
J'ai épousé une femme chimère
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Il était là. Deux mètres sur cinquante centimètres. Et il me regardait ce putain de tableau. Combien de fois je m'étais juré de ne plus rentrer dans cette salle... Eux aussi ils me regardaient. Tous. Ils attendaient que je présente le machin. Un truc complètement indescriptible, à la Manstelbrecht. Mais j'étais le guide, après tout, non ? Il y avait tant de choses à dire dessus, et pourtant si peu à comprendre. Ou l'inverse, je ne sais plus. Fallait le ressentir ce cadre. Il était agité dans tous les sens par une clarté trop vive, trop brute. Fatale, en somme. Elle jaillissait de la toile cette blancheur, pour vous choper par les tripes. Ils les voyaient ces forces vivent qui retournaient le tableau ?
Ils dodelinaient de la tête. Oui, ils les voyaient. Alors je poursuivis. C'était cet ensemble apparemment immaculé, cette masse de lumière informe, complètement éclatée, qui grouillait, et révélait à certains endroits de gigantesques morceaux d'angoisse. Les pires en plus. Précisément ceux qu'on écrabouille désespérément sous le tapis, dans l'espoir de ne plus jamais y avoir affaire. Ils resurgissaient, plus incarnés que jamais, là, maintenant, tout de suite. Le titre, "Sans Titre 642", ne devait pas nous induire en erreur. Tout était question de signes.
Ils retenaient leur souffle, pendus à mes lèvres. Ici, une liberté totale était accordée à la toile, ce qui permettait à sa trame nue de délivrer l'intégralité de son discours, et ce, de la manière la plus pure possible. Car oui, elle parlait, cette toile. Mais que nous disait-elle ?
Gagnés par l'émotion, certains de mes auditeurs, n'en pouvant plus, parvinrent miraculeusement à rompre le charme, et s'échappèrent avant d'avoir pu profiter pleinement de mon ensorceleuse exégèse. Les autres avaient les sourcils froncés, le poil des bras hérissé. Certains, complètement hypnotisés, me fusillaient du regard, comme pour me sommer de continuer mon histoire. D'autres encore ne pouvaient réprimer un sourire en écoutant mes paroles magiques, l'air complètement envoûté par mes bras qui moulinaient et mes yeux déments. Les derniers scrutaient furieusement la peinture, essayant de dénicher des détails jugés par eux incongrus.
Tout était pourtant d'une évidence folle. D'ailleurs, le tableau lui-même était complètement malade. Ses effusions candides partaient dans toutes les directions possibles, mais revenaient inlassablement vers vous, drapées de leur virginité menaçante. Bordel, c'était carrément criminel comme truc. Je ris. Ça me donnait envie de m'arracher les cheveux. Mais je ne pouvais pas. Ils étaient là, eux. Pour les quelques chanceux qui demeuraient, pour eux, qui avaient librement choisi de s'emparer du génie tant qu'il se manifestait, j'avais réservé le meilleur du pire.
C'était cet œil. Un œil noir. Minuscule pied-de-nez à cette immaculée bavarde; tellement bavarde qu'on en devenait fou, pas vrai ? On en devenait fou, de cet abominable brouhaha blanc, qui paraissait tellement vulgaire en plus. La sobriété sans nuance de ce petit rond, n'était-elle pas mille fois préférable à cet immonde fourmillement pâle, diapré de mille teintes livides ? À ces borborygmes, ce foisonnement confus ? Ah ! Il n'y avait que lui qui comptait. Ce sombre insurgé. Lui, ne vous sautait pas à la gorge ! Non monsieur ! Lui, ne vous poignardait pas d'interrogations insolubles, pas comme tout le reste ! Et pendant que tu n'en finis pas de commenter le sublime jeu de contraste entre le long canevas blanc, sauvage, et l'intrépide point noir, tu te vois en lui. C'est lui qui te regarde à vrai dire. Tu décides de l'étreindre, ce petit bout de noir. Il est ta seule amarre dans ce monde affreux. Celui qui s’impose face à tous. Tu sais qu'il est le seul univers possible. Tu t'abîmes, te perds en lui... Stop ! STOP ! Ressaisis-toi, merde !
Tu t'extirpes de ce n'importe quoi parfaitement maculé, te retournes, et ne vois personne. La salle est vide. Ils sont partis. Normal. Pour ces bouffons, ce divin microcosme ne devait être qu'une figure stylisée de fiente. Une toile vierge comprenant, de façon strictement hypothétique, la présence d'une petite tâche noire, qu'on avait du mal à discerner, et dont on eût dit qu'elle était tombée là par inadvertance. Tu savais bien que non. Tu savais, toi, que c'était bien plus que ça… Que ce point noir, il signifiait. Que ce point noir, il existait... N'est-ce pas ?
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Questionnaire de l'Atelier des auteurs
Pourquoi écrivez-vous ?
Oui