Greg "LeGreg" Siebrand
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"Le monde va mal. La haine, la colère, la suspicion sont légion sur notre terre. J'ai décidé de changer tout cela. J'ai un don. Celui de lire et modifier les pensées. J'ai décidé de le mettre à profit pour égayer le quotidien des gens, pour rendre le monde meilleur et plus beau. Tout se passait bien. Mais un jour, je me suis attaqué à un très gros poisson, et tout a foiré."
Cette histoire est toujours en cours de rédaction, et sera découpée en épisodes réguliers. Elle est dédicacée à Pouhiou, qui m'a grandement inspiré avec les noénautes. Elle a été choisie, parmi 5 synopsis, par les lecteurs de mon blog.
Cette histoire est toujours en cours de rédaction, et sera découpée en épisodes réguliers. Elle est dédicacée à Pouhiou, qui m'a grandement inspiré avec les noénautes. Elle a été choisie, parmi 5 synopsis, par les lecteurs de mon blog.
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Ceci est une histoire toute simple, celle d’un adolescent trop sensible qui se prend le monde en pleine figure. Il ne comprend pas les injustices, n’arrive pas à trouver sa place dans la société, à un tel point qu’il dégringole bien bas. Ce récit est le parcours d’un jeune qui galère et de son passage à l'âge adulte. Pourtant, rares sont ces ados qui parlent de leur ressenti, de leur vécu. Ils se retrouvent bien seuls face à un monde qu’ils ne comprennent pas. Ce témoignage leur est destiné, pour montrer qu’ils ne sont pas seuls à vivre ces moments difficiles. Il s'adresse également à tout un chacun, pour tenter d’expliquer des problématiques graves comme le suicide, les crises d'anxiété et les fuites dans les royaumes artificiels. Ce livre se termine par la vision actuelle de l’auteur sur la société et sur son parcours. Pour montrer qu’un autre monde est possible.
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Il est loin, le temps de l’âge d’or.
Elle n’est plus, la splendeur d’alors.
Par ces maux et malheurs, Gogol nous ruina,
À une longue nuit sans saveur, il nous condamna.
Les peuples d’Alinora sont totalement désunis,
Des Trapus, nous n’entendons plus aucun bruit,
Les Sylvains, dans leur sombre forêt se sont retirés,
Les Tirgalions, dans leur contrée, complètement oubliés.
Les Hommes n’ont plus de roi et de lumière pour les guider,
Brisée, la grande lignée Inothaï aux quatre vents s’est éparpillée,
Les chefs des grandes familles se proclamèrent maîtres et rois,
À l’unité des hommes et à la paix, plus personne ne croit.
Prends garde, car les heures les plus sombres sont encore à venir,
Car les tourments et grands malheurs sont appelés à revenir,
Un jour sans lune, son esprit se réveillera,
Et sa soif de colère et de pouvoir nous consumera.
Prends garde à la lune écarlate,
C’est le signe ultime qui annoncera son éveil,
Il sera fin prêt à retrouver les pierres scélérates,
Et s’il les trouve, disparue sera la lumière du soleil.
Mais tout n’est pas perdu, il nous reste un espoir,
Qu’un esprit vaillant, nous guide dans le noir.
La descendance du dernier pourrait se révéler,
Et avec l’aide de valeureux, dans les ténèbres nous guider.
Si tel est le cas, Alinora pourrait revivre un âge d’or
Où paix, prospérité et sagesse nous prendrait à bras le corps,
Où les Tirgalions nous émerveilleraient à nouveau,
Où Sylvains, hommes et Trapus ne seraient plus rivaux.
Mais l’espoir est mince, car ce guide nous est inconnu,
et nous, hommes du peuple, depuis longtemps, ne l’espérons plus.
Nous prions constamment, pour qu’il se fasse connaître,
Afin que les ténèbres de Gogol, à jamais, puissent disparaître.
Légendes perdues d’Alinora, du Grand Sage Figuiel, de la maison Eliborienne.
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Il existe une alternative au droit d'auteur traditionnel et désuet. Des tas d'auteurs mettent leur oeuvres en libre accès, sur le net et ailleurs en enlevant le sacro-saint Copyright et en donnant des droits à leurs lecteurs. Cependant, ces auteurs sont très peu connus et ont une visibilité moindre que les autres. Certains de ces auteurs sont sur Scribay ou d'autres réseaux d'écriture. Certains avec un grand lectorat, d'autres moins. La vocation de ce livre est donc de promouvoir la culture libre et les auteurs qui partagent cette vision. Vous y trouverez donc un annuaire des œuvres libres, mais aussi vous donner l'opportunité de mieux connaître ses auteurs qui méritent amplement à être mieux vus et lus.
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on dit souvent des pères ou mères au foyer qu’ils ont la belle vie, qu’ils peuvent faire ce qu’ils chantent, et quand ils le souhaitent. Ce n’est pas le cas du tout ! Entre toutes les catastrophes, les coups bas de nos chères petites têtes blondes, la vie est loin d’être un long fleuve tranquille ! Dans cette histoire, retrouvez les déboires d’un papa inexpérimenté qui se retrouve seul à seul avec son petit bébé à la maison !
Cette histoire, publiée entre 2013 et 2014, a été la première nouvelle que j'ai publié sur mon blog, lorsque j'ai décidé de poursuivre mon rêve d'ado: écrire et raconter des histoires. Elle bien sûr inspirée de faits réels, même si tous les événements ne se sont pas déroulés sur une seule journée.
Cette histoire, publiée entre 2013 et 2014, a été la première nouvelle que j'ai publié sur mon blog, lorsque j'ai décidé de poursuivre mon rêve d'ado: écrire et raconter des histoires. Elle bien sûr inspirée de faits réels, même si tous les événements ne se sont pas déroulés sur une seule journée.
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… et il vous délivrera
Il n’arrivait plus à se souvenir depuis combien de temps il avait fait cette rencontre. Cinq ans ? Six ans ? Depuis, la vie avait bien changé dans le Nouvel Empire Mondial. Dans sa petite cellule qui lui servait d’appartement, Charlie Bradbury laissait son esprit s’échapper dans bien des rêves. Vivre sous terre, dans huit mètres carrés n’était pas une vie enviable. Alors il s’évadait. Il rêvait de champs, de verdure, de forêt. Tous ces magnifiques paysages perdus à jamais, qu’il ne reverrait certainement plus de son vivant. Comme bien souvent, il pensait à ce vieillard qu’il avait rencontré lors de sa visite à Denver, quelques mois avant la nuit des ténèbres. Il ne l’avait plus revu depuis. Pourtant, il avait tant de questions à lui poser. Il fut subitement interrompu dans son échappée onirique. Le parlophone de la pièce s’était mis à beugler des ordres.
« -Citoyen 435879-CB. Vous êtes attendu en salle de rééducation. »
Tel un robot, Charlie se leva de sa couchette. Bien qu’il avait horreur de ces séances, il n’avait pas le choix. Soit il se pliait, soit il était banni de la cité, rejeté à la surface ; et personne n’aurait pu évaluer ses chances de survie. Depuis cette nuit de décembre 2042, la surface de la terre avait été déclarée inhabitable. Tout le monde s’était enfouis sous terre, dans de grandes cités souterraines. Comme si… Il chassa cette pensée de suite de son esprit. C’étaient justement ce type de réflexions qui lui avaient valu ces séances de rééducation.
Il sortit de son espace de vie, et constata, comme à son habitude qu’un drone voguait non loin de l’entrée. Il l’attendait, pour le conduire directement dans cette salle où la torture irait bon train pendant deux bonnes heures. Pas question de faire un pas de travers, le drone le rapporterait directement aux autorités. Il quitta rapidement les quartiers d’habitation des citoyens ordinaires, les gens comme lui, pour se diriger vers le centre de rééducation comportementale. Ce centre tournait à plein régime. Vivre sous terre comportait énormément de problèmes, et bon nombre de citoyens éprouvaient de grandes difficultés d’adaptation. Le but premier de ce centre était donc une aide pour tous ceux qui souffraient de vivre dans cet espace réduit, loin de la lumière du jour. Mais pas pour Charlie. Pour lui, ce centre signifiait la lobotomie de son esprit, des séances de torture pour le rendre malléable, corvéable à merci. Un citoyen modèle qui agit sans se poser de questions.
Il arriva devant l’aile destinée aux cas comme le sien. L’hôtesse l’accueillit, sans esquisser le moindre sourire. Elle semblait ne pas apprécier Charlie. En réalité, elle n’aimait aucun des visiteurs de l’aile. Charlie l’avait bien compris : pour elle, les visiteurs n’étaient que des rebuts, des citoyens récalcitrants qui ne voyaient pas les bienfaits du Nouvel Ordre. Ils ne méritaient que l’exil à la surface, et avec les radiations, ne vivraient pas bien longtemps.
« Bonjour Citoyen 43879-CB. Vous êtes attendu en salle 8. Installez-vous, votre superviseur ne tardera pas à arriver. »
Elle tourna directement la tête, pour s’occuper de diverses tâches administratives, ne s’occupant plus du tout de Charlie. De toute façon, le drone signalerait la moindre incartade.
Charlie s’installa bien confortablement sur ce grand fauteuil. Il savait de toute façon que le confort ne serait que de courte durée, dès que le superviseur serait rentré, la torture mentale commencerait. Il ne dut pas attendre bien longtemps : quelques secondes après s’être assis, le superviseur entra dans la pièce. Charlie ne l’aimait pas. Petit, fluet, et un regard noir, caché par des petites lunettes rondes. Son sourire affichait un sadisme particulier, comme s’il prenait plaisir à labourer le crâne de ses victimes. Il n’esquissa même pas un bonjour à son visiteur.
« Alors, citoyen, notre rapport indique que votre comportement ne s’est pas amélioré de manière significative, et que votre puce présente à nouveau des dysfonctionnements. Nous trouvons cela de plus en plus inquiétant. Que pouvez-vous me dire de plus depuis notre dernière rencontre ? »
Charlie n’en savait rien. Il avait beau répéter encore et toujours ce que le superviseur voulait entendre, il ne pouvait garder sa langue en poche une fois dehors. Oui, les corporations étaient bienfaisantes. Oui, il ne fallait surtout pas les remettre en question. Oui, la puce implantée était là pour notre bien.
« Je ne sais pas quoi vous dire, Monsieur. Je sais très bien que sans les corporations je ne serai plus de ce monde, et qu’elles m’ont donné une nouvelle chance en m’acceptant sous terre. »
Pourtant, il savait bien que ce n’était pas vrai. Contrairement au reste des citoyens, il se rappelait. Qu’un tri énorme avait été effectué lorsque l’appel retentit dans les lunettes de toute la population. Il se rappelle avoir vu ses parents refoulés à l’entrée, car officiellement trop âgés. Toute personne pouvant remettre en cause l’ordre avait été écartée. Comme ce gars qui avait eu le malheur d’avoir un livre qu’il n’avait pas dissimulé, objet pourtant interdit.
Le superviseur fronça les sourcils.
« Je ne suis pas convaincu par ton discours citoyen. C’est ce que tu m’as dit mot pour mot la semaine dernière. Et je vois dans mon rapport que tu as encore déclamé des discours étranges. Notamment dans la cantine du secteur C5. Je cite : « Vous ne trouvez pas normal que personne ne remette les informations en cause ? Que des personnes soient arrêtées pour des méfaits qui sont impossibles à commettre ? Pensez-vous que l’on nous dit la vérité ? » Tu vois, tu ne peux rien nous cacher. Nous allons cependant te donner une dernière chance. »
Charlie se crispa sur son fauteuil, et comme il s’y attendait, des boucles de métal encerclèrent ses bras et jambes, l’immobilisant sur cet instrument. Entravé de la sorte, il ne pouvait plus faire le moindre mouvement.
Le superviseur sembla satisfait, et se dirigea vers une petite armoire. Il y tira une seringue, y versa un liquide dont Charlie n’arrivait pas à voir le nom, puis se tourna vers sa victime.
« Nous voulons être sûrs que cet entretien soit le dernier. C’est pourquoi, nous allons changer de méthode. »
Il enfonça l’aiguille dans le bras de Charlie qui plongea dans l’inconscience.
***
Lorsque Charlie se réveilla, il était dans sa petite cellule, allongé sur sa couchette de fortune. Son poignet droit lui causait une douleur insupportable. Il ne put s’empêcher de regarder et remarqua une petite incision, au milieu d’une zone rougeâtre sur sa peau. La puce. Ils devaient l’avoir encore changée. Après tout, ce n’était que pour son bien être, pour que le Nouvel Ordre puisse l’assister au cas où.
Mais rapidement, un sentiment de panique l’envahit. Il ne se rappelait plus comment il avait atterri dans sa chambre. Il essaya de fouiller sa mémoire. Bon nombre de souvenirs étaient obscurcis par une sorte de brume, l’empêchant de se rappeler bon nombre d’événements de son passé. Il essaya de forcer le passage, de traverser cette brume qui avait envahi son esprit. Après plusieurs tentatives, il fut pris de nausées. Mais il ne voulait pas lâcher. Les nausées devinrent tellement fortes qu’il ne put s’empêcher de vomir à même le sol. Il sentait comme une force qui lui barrait le passage. Au bout d’une dernière tentative désespérée, une fatigue monumentale l’envahit. Il ne put lutter et s’endormit.
Le citoyen 43879-CB se retrouva dans un grand tunnel noir. Il n’y voyait pas à plus de deux mètres. Des murmures l’entouraient. Ce marasme était composé de multiples voix qui semblaient crier, désespérées, et était à peine compréhensible, comme si elles étaient étouffées par les ténèbres environnantes. La panique commença à s’insinuer au plus profond de son être. La puce, installée dans son bras, lui faisait souffrir le martyr, elle semblait bouger, comme si elle cherchait à s’extraire d’elle-même. Il hurla le plus fort possible, mais comme ces murmures qui l’entouraient, sa voix était à peine audible.
Il essaya d’avancer, de trouver une sortie à ces ténèbres sans fin. Tordu de douleur, devant tâter devant lui, sa progression était pénible et lente. Finalement, il aperçut au loin une petite lueur jaunâtre. Empli d’espoir, il reprit sa marche de plus belle. Il finit par arriver dans une pièce. Elle lui semblait familière, il avait l’impression d’avoir déjà visité cet endroit. Mais quand ? Il ne pouvait le dire. Des tas de livres étaient disséminés à même le sol. Au milieu de cette salle, un vieil homme était assis, entourés par tous ces objets d’une autre époque. Et il portait au citoyen 43879-CB un regard accusateur. Sa voix était emplie de sévérité.
« -Où est-il mon garçon ?
— Je ne vois pas de quoi vous parlez, Monsieur. Et puis d’ailleurs, qui êtes-vous ? Bien que votre visage me semble familier, je ne vous connais pas ! »
Le regard du vieil homme sembla soudain pris de tristesse. Une larme perla de ses yeux.
« -Tu ne te rappelles donc pas ? Tu ne te souviens pas d’être passé dans cette pièce il y a quelques années, Charlie ?
— Je ne connais pas ce nom dont vous m’affublez. Je suis le citoyen 43879-CB. »
Une nouvelle larme commença à se former dans les yeux du vieil homme. Ils semblaient avoir gagné. Charlie avait perdu la mémoire. Il ne se rappelait même pas de son prénom. Il se racla la gorge et reprit sa voix sévère, mais cette fois, elle fut mêlée de colère.
« Je t’ai donné un livre. Ce livre est d’une importance capitale. Tu devais le transmettre. Où se trouve-t-il maintenant ? »
Charlie baissa les yeux. Il se sentait tout petit face à ce vieil homme. Il ne comprenait pas ce que lui voulait ce vieux.
« Je ne comprends pas, Monsieur. Je ne vois absolument pas de quoi vous parlez. Je suis désolé, mais je suis persuadé que vous vous trompez, que vous me confondez avec quelqu’un d’autre. »
La colère de l’interlocuteur du citoyen 43879-CB continua de croître.
« Tu as perdu le dernier exemplaire du livre de ton aïeul, Charlie Bradbury ! Ce livre renferme un secret bien gardé ! Maintenant, cherche-le sinon, il sera trop tard ! »
Charlie était perplexe. Il ne savait quoi faire. Le vieil homme en face de lui ne semblait pas décolérer. Il sentait son regard accusateur, tel un poids qui l’écrasait. En désespoir de cause, il se mit à fouiller dans le tas de livre, ne sachant pas quoi chercher.
L’homme face à lui calma quelque peu sa voix, tout en gardant sa sévérité.
« Oui, cherche bien Charlie Bradbury ! Fouille les tréfonds de ta mémoire, jusqu’à ce que tu trouves ce qui a été effacé. »
Charlie paniqua de plus en plus, retournant tous les livres autour de lui. Il ne comprenait pas ces paroles, il ne comprenait pas pourquoi ce livre semblait si capital. Si seulement sa mémoire ne lui faisait pas défaut !
Le sol commença à trembler. Le vieil homme commença à devenir translucide, comme s’il était en train de disparaître. Certains livres commençaient à subir le même sort. Certains de ces objets, Charlie n’arrivait même plus à les saisir entre ses doigts. Ils disparaissaient.
« Dépêche-toi, mon garçon. Il ne reste plus beaucoup de temps. Si tu ne le trouves pas, tout sera perdu . »
Charlie se lança dans une tentative désespérée pour retrouver l’objet tant convoité. Il fouilla encore et encore, tout en tremblant suite à la panique. Sa conscience lui dictait que ce qu’il était en train d’accomplir était d’une importance capitale. Que s’il échouait, quelque chose de terrible arriverait. Les murs suivaient le même sort que les livres et le vieil homme. La panique continua à monter, et se mit à bouger de plus en plus vite les livres qu’il arrivait à toucher. Soudain, il sentit un picotement dans ses doigts. Il regarda le livre qu’il venait de toucher. Il eut juste le temps de lire le titre et l’auteur :
Fahrenheit 451- Ray Bradbury.
Une décharge électrique parcourut tout le corps du jeune homme. Des foules de souvenirs le submergèrent, sa vie défila devant ses yeux. Il s’écroula sur le sol.
***
« Citoyen, citoyen ! Réveille-toi ! »
Charlie ouvrit les yeux et se mit subitement à pleurer. Couché à même le sol, il s’était écroulé dans les rejets de son estomac. Debout, face à lui, se tenait la citoyenne 43878-AF, qui vivait dans la cellule voisine.
« Tu vas bien citoyen ? Je t’ai entendu hurler. »
Le jeune Bradbury se releva, aidé par sa concitoyenne. Il aimait bien sa voisine. Elle avait le même âge que lui, et était plus tôt jolie. Si la vie n’était pas aussi régentée par le Nouvel Ordre, il aurait certainement tenté une approche séductrice. Mais avec toutes ces caméras et autres systèmes de surveillance, il n’avait rien osé. Il avait déjà assez d’ennuis comme cela, surtout avec son superviseur qui ne le lâchait pas d’une semelle.
« -Oui, je te remercie. Ils ont essayé une nouvelle méthode au centre. J’ai peut-être une réaction. J’irai poser la question tout à l’heure.
— C’est quand même ahurissant qu’ils ne te foutent pas la paix. Cela fait combien de temps maintenant ? Et puis, poser quelques réflexions, ce n’est pas vraiment une menace, qu’est-ce qu’ils croient faire avec tous ces traitements ?
— Je ne sais pas citoyenne, je ne cherche plus à comprendre. Mais ne t’inquiète pas, cela va mieux. J’aimerais juste me reposer, si tu n’y vois pas d’inconvénient. Si tu veux, on reparlera un peu plus tard.
— Pas de soucis, je repasserai tout à l’heure. »
Aux yeux de Charlie, elle mettait trop de temps à s’en aller. Il n’avait qu’une seule envie. Vérifier si son bien le plus précieux était toujours là. Le vieux l’avait sauvé, il lui avait rappelé la tâche qu’il lui avait confié. Il avait trop traîné, rongé par la peur de son superviseur, il avait mis tout cela de côté. Il était maintenant temps d’agir.
Une fois la porte fermée, il plongea sous sa couchette et se dirigea vers le mur du fond. Une partie du mur s’était fissurée. La cachette idéale pour cacher un petit livre. Il passa ses doigts et exprima un soupir de soulagement. Il était toujours là. Précautionneusement, il sortit le petit ouvrage et se remit à le lire.
Tout devint clair dans son esprit. Non seulement, ce livre rappelait l’autodafé orchestré par le Nouvel Ordre. Mais il contenait un pouvoir étrange. Pendant la lecture, s’opéra un étrange mécanisme dans son corps. La douleur dans son poignet avait disparu, les rougeurs également. Il trouva dans son lit un tout petit objet qu’il reconnut rapidement : une micro-puce. Elle s’était comme expulsée de son corps de son propre chef. Sa tête se mit à tourner à toute vitesse. Il commençait à entendre des voix, et il comprit en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, que ce n’étaient rien d’autres que les pensées des personnes aux alentours. Et il entendit le désarroi de sa voisine, la citoyenne 43878-AF. Il se concentra. Il comprit que les mêmes sentiments qu’il éprouvait pour elle l’animait. Qu’elle s’inquiétait pour lui, qu’elle voulait lui en faire part, mais qu’elle avait une peur bleue de la réaction du Nouvel Ordre si elle venait à parler.
Charlie n’hésita pas une seconde. Il se leva, tout en planquant sous son t-shirt le précieux livre de son grand-père, et alla jusqu’à la cellule mitoyenne. Sans crier gare, il rentra, en intimant à 43878-AF de se taire avec un doigt sur la bouche. Il se rapprocha d’elle, puis lui tendit le précieux objet. Elle sentit un picotement dans ses doigts, comme dans le rêve qu’il venait de faire. Voyant son air interrogateur, il lui annonça ces quelques mots :
« Lis et apprend, mais ne dis rien. Et planque-le si tu ne l’as pas fini ce soir. Lorsque tu auras terminé, reviens me voir. »
Sur ce, il s’éclipsa, de manière tout aussi soudaine qu’il était entré dans la pièce. 43878-AF se plongea aussitôt dans la lecture, comme si elle avait été hypnotisée par les paroles ou le geste de son concitoyen.
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« C’est incroyable ! Dire que nous avons été des esclaves, totalement aveugles, face aux exactions du Nouvel Ordre. »
La voix de 43878-AF était emplie de colère. Son réveil, suite à la lecture avait été brutal. Mais elle semblait bien décidée à combattre le système qui l’avait manipulée depuis tant d’années. Charlie tentait de la rassurer, tout en réfléchissant à une marche à suivre. Il le savait bien : avec leur puce désactivée, il ne faudrait pas longtemps pour que les sbires du Nouvel Ordre se lancent à leur poursuite.
« Je comprends ce que tu ressens. Mais il va falloir agir rapidement. Sinon, on ne fera pas de vieux os. Peut-être que tu pourras t’en sortir, qu’ils passeront l’éponge si tu te fais attraper, mais moi, je serai cuit. Il faut toucher un maximum de personnes en un temps record.
— Tu as raison. Tu m’as expliqué que tu avais depuis ta dernière lecture une sorte de pouvoir, que tu arrivais à lire dans les pensées. J’ai beau essayer, je n’arrive pas à faire une telle chose. Tu sais pourquoi ?
— Non, aucune idée. Peut-être que ça se manifestera d’une autre manière chez toi. Sinon, tu as une idée ?
— Oui. Demain, c’est la grande journée sur la citoyenneté au centre de formation. Tous les jeunes de la cité seront présents. Si, comme moi, en touchant le livre, les autres ressentent des picotements, on pourra faire en sorte que les gens se passent le livre de l’un à l’autre. Ce sera un réveil en cascade.
— C’est dangereux, 43878-AF.
— Arrête de m’appeler comme cela, je m’appelle Anna.
— D’accord, Anna. Il faudra cependant être prudent. Si la moindre caméra ou le moindre formateur constate ce que l’on mijote, tout sera fichu.
— Ne t’inquiètes pas, tout ira comme sur des roulettes, j’en suis certaine. »
Ils échangèrent encore quelques mots, puis, pour ne pas éveiller les soupçons, Charlie retourna dans sa cellule. Il leur fallait se reposer, la journée qui allait arriver serait loin d’être de tout repos.
Charlie fut réveillé de bonne heure par Anna. Elle semblait trépigner d’impatience, comme si elle venait d’apprendre une bonne nouvelle qui allait changer le cours de sa vie. Elle secoua son voisin qui avait du mal à émerger des bras de Morphée.
« Charlie, on a la solution à tous nos soucis ! »
Il se frotta les yeux et regarda le visage de sa concitoyenne. Ses yeux pétillaient. Mais elle lui fit signe de descendre son regard vers ses mains. Elle ne tenait pas un livre, mais bien deux. Ils étaient exactement identiques. Charlie n’en croyait pas ses yeux et leva un regard interrogateur vers Anna.
« Hier, quand tu es parti, je voulais savoir si j’avais un don comme toi. Je me suis concentrée encore et encore, j’ai pu dupliquer ma brosse à dents. J’ai ensuite essayé sur le livre, et ça a marché. »
Charlie se leva d’un bond, et examina les deux livres. Il ne savait pas dire lequel était le sien. Il en pris un en main, le parcourut. Il le posa sur la petite table de la cellule. Anna et Charlie n’en crurent pas leurs yeux : le livre, comme par magie, se dupliqua à nouveau. Il se tourna vers son amie.
« -C’est toi ?
— Non, là, je n’ai rien fait du tout. »
Ils se regardèrent, stupéfaits par cette découverte. Charlie commença à réfléchir à toute vitesse.
« Il faut une personne de confiance, pour faire un test. Voir si ce livre se duplique à l’infini. Si c’est le cas, tout le monde aura son exemplaire en un rien de temps. Si on arrive à le propager comme cela, la censure et la dictature des corporations s’effondreront en un rien de temps.
— J’ai ce qu’il nous faut. Tu te rappelles de 44021-JC ? Il arrête pas de tourner autour de moi, il ferait tout pour que je lui accorde mes faveurs. Il me rend plein de services sans jamais poser de questions, juste pour me faire plaisir. Je pense que l’on peut lui faire confiance.
— Oui, on peut essayer. J’espère qu’il n’ira pas cafter.
— Je vais le chercher, il habite à moins de 15 cellules. »
Anna se leva d’un bond et quitta la pièce. Moins de cinq minutes plus tard, elle rentra, accompagnée d’un garçon de leur âge à l’air plus tôt timide.
« - Tu promets de tenir ta langue 44021 ?
— Oui, tout ce que tu veux citoyenne.
— Bien, merci. Je voudrais que tu touches un objet. Simplement le toucher, ensuite on avisera. »
Elle tendit le troisième livre à son soupirant, qui le prit en main. Ils constatèrent de suite un petit frisson lui parcourir l’échine et une expression d’étonnement sur son visage. Il venait de ressentir le picotement dans ses doigts. Il reposa le livre sur la table, et la duplication de l’objet se répéta. 44021 écarquilla les yeux, ne comprenant absolument pas ce qui était en train de se passer. Charlie se dirigea vers lui, en lui tendant un des exemplaires.
« -Prends-le. Il est à toi. Ne le montre pas ouvertement lorsque tu te balades. Lis-le. Et surtout, fais comme nous. Fais-le toucher par quelqu’un d’autre et invite-le à répéter ce que je viens de te dire. C’est extrêmement important, notre survie, notre libre arbitre en dépend. »
Le nouvel arrivant tira une moue suite aux paroles de Charlie.
« Pourquoi devrais-je t’écouter ? Toi, le type qui passe constamment au centre de rééducation ? »
Charlie soupira, ne sachant quoi lui répondre. Mais Anna sourit, et se tourna vers 44021.
« -Fais-lui confiance. Je t’assure qu’il a raison. J’ai lu ce livre, j’ai ouvert les yeux. Le monde n’est pas tel qu’on voudrait nous le faire croire. Et même si tu ne crois pas ces paroles, est-ce que tu pourrais faire cela pour moi ? »
44021 baissa les yeux, en même temps que ses joues prirent une teinte rose.
« -Bien sûr, citoyenne. Pour toi, je ferai n’importe quoi.
— Merci mon ami. »
Elle lui fit une bise sur le front, un peu comme l’aurait fait une grande sœur pour approuver son petit frère. Après ce geste fort tendre, le 44021 satisfait s’éclipsa dans sa cellule.
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Ils étaient à trois : Charlie, Anna et 44021 face à la masse de jeunes de leur âge dans le centre de formation. Ils étaient tous rassemblé dans cette grande salle pour fêter la journée de la citoyenneté, qui se déroulait une fois par an. Journée spéciale qui n’était en réalité qu’une ovation aux grandes corporations qui régissaient le Nouvel Ordre. On sentait la tension qui émanait de leurs corps. Ils allaient se lancer dans cette opération risquée : réveiller le reste de leurs camarades. Charlie prit une grande inspiration puis chuchota :
« -Vous êtes prêts ? »
Ses deux compagnons n’eurent pas le temps de répondre. Une dizaine de gardes entra dans la salle. L’un d’entre eux hurla l’identification de Charlie. Tous les regards se tournèrent vers le jeune homme, la foule laissant un passage aux gardes. Charlie ne broncha pas, attendant patiemment qu’ils se rapprochent de lui. Il n’avait pas peur. Quoi que ces hommes lui fassent, la révolution était en marche. Bientôt, tous auraient retrouvé leur libre-arbitre. Une seule phrase lui vint en tête. « Les mots, les idées sont plus forts que la censure. Et même si tout semble perdu, seul le livre nous délivrera. »
Il n’arrivait plus à se souvenir depuis combien de temps il avait fait cette rencontre. Cinq ans ? Six ans ? Depuis, la vie avait bien changé dans le Nouvel Empire Mondial. Dans sa petite cellule qui lui servait d’appartement, Charlie Bradbury laissait son esprit s’échapper dans bien des rêves. Vivre sous terre, dans huit mètres carrés n’était pas une vie enviable. Alors il s’évadait. Il rêvait de champs, de verdure, de forêt. Tous ces magnifiques paysages perdus à jamais, qu’il ne reverrait certainement plus de son vivant. Comme bien souvent, il pensait à ce vieillard qu’il avait rencontré lors de sa visite à Denver, quelques mois avant la nuit des ténèbres. Il ne l’avait plus revu depuis. Pourtant, il avait tant de questions à lui poser. Il fut subitement interrompu dans son échappée onirique. Le parlophone de la pièce s’était mis à beugler des ordres.
« -Citoyen 435879-CB. Vous êtes attendu en salle de rééducation. »
Tel un robot, Charlie se leva de sa couchette. Bien qu’il avait horreur de ces séances, il n’avait pas le choix. Soit il se pliait, soit il était banni de la cité, rejeté à la surface ; et personne n’aurait pu évaluer ses chances de survie. Depuis cette nuit de décembre 2042, la surface de la terre avait été déclarée inhabitable. Tout le monde s’était enfouis sous terre, dans de grandes cités souterraines. Comme si… Il chassa cette pensée de suite de son esprit. C’étaient justement ce type de réflexions qui lui avaient valu ces séances de rééducation.
Il sortit de son espace de vie, et constata, comme à son habitude qu’un drone voguait non loin de l’entrée. Il l’attendait, pour le conduire directement dans cette salle où la torture irait bon train pendant deux bonnes heures. Pas question de faire un pas de travers, le drone le rapporterait directement aux autorités. Il quitta rapidement les quartiers d’habitation des citoyens ordinaires, les gens comme lui, pour se diriger vers le centre de rééducation comportementale. Ce centre tournait à plein régime. Vivre sous terre comportait énormément de problèmes, et bon nombre de citoyens éprouvaient de grandes difficultés d’adaptation. Le but premier de ce centre était donc une aide pour tous ceux qui souffraient de vivre dans cet espace réduit, loin de la lumière du jour. Mais pas pour Charlie. Pour lui, ce centre signifiait la lobotomie de son esprit, des séances de torture pour le rendre malléable, corvéable à merci. Un citoyen modèle qui agit sans se poser de questions.
Il arriva devant l’aile destinée aux cas comme le sien. L’hôtesse l’accueillit, sans esquisser le moindre sourire. Elle semblait ne pas apprécier Charlie. En réalité, elle n’aimait aucun des visiteurs de l’aile. Charlie l’avait bien compris : pour elle, les visiteurs n’étaient que des rebuts, des citoyens récalcitrants qui ne voyaient pas les bienfaits du Nouvel Ordre. Ils ne méritaient que l’exil à la surface, et avec les radiations, ne vivraient pas bien longtemps.
« Bonjour Citoyen 43879-CB. Vous êtes attendu en salle 8. Installez-vous, votre superviseur ne tardera pas à arriver. »
Elle tourna directement la tête, pour s’occuper de diverses tâches administratives, ne s’occupant plus du tout de Charlie. De toute façon, le drone signalerait la moindre incartade.
Charlie s’installa bien confortablement sur ce grand fauteuil. Il savait de toute façon que le confort ne serait que de courte durée, dès que le superviseur serait rentré, la torture mentale commencerait. Il ne dut pas attendre bien longtemps : quelques secondes après s’être assis, le superviseur entra dans la pièce. Charlie ne l’aimait pas. Petit, fluet, et un regard noir, caché par des petites lunettes rondes. Son sourire affichait un sadisme particulier, comme s’il prenait plaisir à labourer le crâne de ses victimes. Il n’esquissa même pas un bonjour à son visiteur.
« Alors, citoyen, notre rapport indique que votre comportement ne s’est pas amélioré de manière significative, et que votre puce présente à nouveau des dysfonctionnements. Nous trouvons cela de plus en plus inquiétant. Que pouvez-vous me dire de plus depuis notre dernière rencontre ? »
Charlie n’en savait rien. Il avait beau répéter encore et toujours ce que le superviseur voulait entendre, il ne pouvait garder sa langue en poche une fois dehors. Oui, les corporations étaient bienfaisantes. Oui, il ne fallait surtout pas les remettre en question. Oui, la puce implantée était là pour notre bien.
« Je ne sais pas quoi vous dire, Monsieur. Je sais très bien que sans les corporations je ne serai plus de ce monde, et qu’elles m’ont donné une nouvelle chance en m’acceptant sous terre. »
Pourtant, il savait bien que ce n’était pas vrai. Contrairement au reste des citoyens, il se rappelait. Qu’un tri énorme avait été effectué lorsque l’appel retentit dans les lunettes de toute la population. Il se rappelle avoir vu ses parents refoulés à l’entrée, car officiellement trop âgés. Toute personne pouvant remettre en cause l’ordre avait été écartée. Comme ce gars qui avait eu le malheur d’avoir un livre qu’il n’avait pas dissimulé, objet pourtant interdit.
Le superviseur fronça les sourcils.
« Je ne suis pas convaincu par ton discours citoyen. C’est ce que tu m’as dit mot pour mot la semaine dernière. Et je vois dans mon rapport que tu as encore déclamé des discours étranges. Notamment dans la cantine du secteur C5. Je cite : « Vous ne trouvez pas normal que personne ne remette les informations en cause ? Que des personnes soient arrêtées pour des méfaits qui sont impossibles à commettre ? Pensez-vous que l’on nous dit la vérité ? » Tu vois, tu ne peux rien nous cacher. Nous allons cependant te donner une dernière chance. »
Charlie se crispa sur son fauteuil, et comme il s’y attendait, des boucles de métal encerclèrent ses bras et jambes, l’immobilisant sur cet instrument. Entravé de la sorte, il ne pouvait plus faire le moindre mouvement.
Le superviseur sembla satisfait, et se dirigea vers une petite armoire. Il y tira une seringue, y versa un liquide dont Charlie n’arrivait pas à voir le nom, puis se tourna vers sa victime.
« Nous voulons être sûrs que cet entretien soit le dernier. C’est pourquoi, nous allons changer de méthode. »
Il enfonça l’aiguille dans le bras de Charlie qui plongea dans l’inconscience.
***
Lorsque Charlie se réveilla, il était dans sa petite cellule, allongé sur sa couchette de fortune. Son poignet droit lui causait une douleur insupportable. Il ne put s’empêcher de regarder et remarqua une petite incision, au milieu d’une zone rougeâtre sur sa peau. La puce. Ils devaient l’avoir encore changée. Après tout, ce n’était que pour son bien être, pour que le Nouvel Ordre puisse l’assister au cas où.
Mais rapidement, un sentiment de panique l’envahit. Il ne se rappelait plus comment il avait atterri dans sa chambre. Il essaya de fouiller sa mémoire. Bon nombre de souvenirs étaient obscurcis par une sorte de brume, l’empêchant de se rappeler bon nombre d’événements de son passé. Il essaya de forcer le passage, de traverser cette brume qui avait envahi son esprit. Après plusieurs tentatives, il fut pris de nausées. Mais il ne voulait pas lâcher. Les nausées devinrent tellement fortes qu’il ne put s’empêcher de vomir à même le sol. Il sentait comme une force qui lui barrait le passage. Au bout d’une dernière tentative désespérée, une fatigue monumentale l’envahit. Il ne put lutter et s’endormit.
Le citoyen 43879-CB se retrouva dans un grand tunnel noir. Il n’y voyait pas à plus de deux mètres. Des murmures l’entouraient. Ce marasme était composé de multiples voix qui semblaient crier, désespérées, et était à peine compréhensible, comme si elles étaient étouffées par les ténèbres environnantes. La panique commença à s’insinuer au plus profond de son être. La puce, installée dans son bras, lui faisait souffrir le martyr, elle semblait bouger, comme si elle cherchait à s’extraire d’elle-même. Il hurla le plus fort possible, mais comme ces murmures qui l’entouraient, sa voix était à peine audible.
Il essaya d’avancer, de trouver une sortie à ces ténèbres sans fin. Tordu de douleur, devant tâter devant lui, sa progression était pénible et lente. Finalement, il aperçut au loin une petite lueur jaunâtre. Empli d’espoir, il reprit sa marche de plus belle. Il finit par arriver dans une pièce. Elle lui semblait familière, il avait l’impression d’avoir déjà visité cet endroit. Mais quand ? Il ne pouvait le dire. Des tas de livres étaient disséminés à même le sol. Au milieu de cette salle, un vieil homme était assis, entourés par tous ces objets d’une autre époque. Et il portait au citoyen 43879-CB un regard accusateur. Sa voix était emplie de sévérité.
« -Où est-il mon garçon ?
— Je ne vois pas de quoi vous parlez, Monsieur. Et puis d’ailleurs, qui êtes-vous ? Bien que votre visage me semble familier, je ne vous connais pas ! »
Le regard du vieil homme sembla soudain pris de tristesse. Une larme perla de ses yeux.
« -Tu ne te rappelles donc pas ? Tu ne te souviens pas d’être passé dans cette pièce il y a quelques années, Charlie ?
— Je ne connais pas ce nom dont vous m’affublez. Je suis le citoyen 43879-CB. »
Une nouvelle larme commença à se former dans les yeux du vieil homme. Ils semblaient avoir gagné. Charlie avait perdu la mémoire. Il ne se rappelait même pas de son prénom. Il se racla la gorge et reprit sa voix sévère, mais cette fois, elle fut mêlée de colère.
« Je t’ai donné un livre. Ce livre est d’une importance capitale. Tu devais le transmettre. Où se trouve-t-il maintenant ? »
Charlie baissa les yeux. Il se sentait tout petit face à ce vieil homme. Il ne comprenait pas ce que lui voulait ce vieux.
« Je ne comprends pas, Monsieur. Je ne vois absolument pas de quoi vous parlez. Je suis désolé, mais je suis persuadé que vous vous trompez, que vous me confondez avec quelqu’un d’autre. »
La colère de l’interlocuteur du citoyen 43879-CB continua de croître.
« Tu as perdu le dernier exemplaire du livre de ton aïeul, Charlie Bradbury ! Ce livre renferme un secret bien gardé ! Maintenant, cherche-le sinon, il sera trop tard ! »
Charlie était perplexe. Il ne savait quoi faire. Le vieil homme en face de lui ne semblait pas décolérer. Il sentait son regard accusateur, tel un poids qui l’écrasait. En désespoir de cause, il se mit à fouiller dans le tas de livre, ne sachant pas quoi chercher.
L’homme face à lui calma quelque peu sa voix, tout en gardant sa sévérité.
« Oui, cherche bien Charlie Bradbury ! Fouille les tréfonds de ta mémoire, jusqu’à ce que tu trouves ce qui a été effacé. »
Charlie paniqua de plus en plus, retournant tous les livres autour de lui. Il ne comprenait pas ces paroles, il ne comprenait pas pourquoi ce livre semblait si capital. Si seulement sa mémoire ne lui faisait pas défaut !
Le sol commença à trembler. Le vieil homme commença à devenir translucide, comme s’il était en train de disparaître. Certains livres commençaient à subir le même sort. Certains de ces objets, Charlie n’arrivait même plus à les saisir entre ses doigts. Ils disparaissaient.
« Dépêche-toi, mon garçon. Il ne reste plus beaucoup de temps. Si tu ne le trouves pas, tout sera perdu . »
Charlie se lança dans une tentative désespérée pour retrouver l’objet tant convoité. Il fouilla encore et encore, tout en tremblant suite à la panique. Sa conscience lui dictait que ce qu’il était en train d’accomplir était d’une importance capitale. Que s’il échouait, quelque chose de terrible arriverait. Les murs suivaient le même sort que les livres et le vieil homme. La panique continua à monter, et se mit à bouger de plus en plus vite les livres qu’il arrivait à toucher. Soudain, il sentit un picotement dans ses doigts. Il regarda le livre qu’il venait de toucher. Il eut juste le temps de lire le titre et l’auteur :
Fahrenheit 451- Ray Bradbury.
Une décharge électrique parcourut tout le corps du jeune homme. Des foules de souvenirs le submergèrent, sa vie défila devant ses yeux. Il s’écroula sur le sol.
***
« Citoyen, citoyen ! Réveille-toi ! »
Charlie ouvrit les yeux et se mit subitement à pleurer. Couché à même le sol, il s’était écroulé dans les rejets de son estomac. Debout, face à lui, se tenait la citoyenne 43878-AF, qui vivait dans la cellule voisine.
« Tu vas bien citoyen ? Je t’ai entendu hurler. »
Le jeune Bradbury se releva, aidé par sa concitoyenne. Il aimait bien sa voisine. Elle avait le même âge que lui, et était plus tôt jolie. Si la vie n’était pas aussi régentée par le Nouvel Ordre, il aurait certainement tenté une approche séductrice. Mais avec toutes ces caméras et autres systèmes de surveillance, il n’avait rien osé. Il avait déjà assez d’ennuis comme cela, surtout avec son superviseur qui ne le lâchait pas d’une semelle.
« -Oui, je te remercie. Ils ont essayé une nouvelle méthode au centre. J’ai peut-être une réaction. J’irai poser la question tout à l’heure.
— C’est quand même ahurissant qu’ils ne te foutent pas la paix. Cela fait combien de temps maintenant ? Et puis, poser quelques réflexions, ce n’est pas vraiment une menace, qu’est-ce qu’ils croient faire avec tous ces traitements ?
— Je ne sais pas citoyenne, je ne cherche plus à comprendre. Mais ne t’inquiète pas, cela va mieux. J’aimerais juste me reposer, si tu n’y vois pas d’inconvénient. Si tu veux, on reparlera un peu plus tard.
— Pas de soucis, je repasserai tout à l’heure. »
Aux yeux de Charlie, elle mettait trop de temps à s’en aller. Il n’avait qu’une seule envie. Vérifier si son bien le plus précieux était toujours là. Le vieux l’avait sauvé, il lui avait rappelé la tâche qu’il lui avait confié. Il avait trop traîné, rongé par la peur de son superviseur, il avait mis tout cela de côté. Il était maintenant temps d’agir.
Une fois la porte fermée, il plongea sous sa couchette et se dirigea vers le mur du fond. Une partie du mur s’était fissurée. La cachette idéale pour cacher un petit livre. Il passa ses doigts et exprima un soupir de soulagement. Il était toujours là. Précautionneusement, il sortit le petit ouvrage et se remit à le lire.
Tout devint clair dans son esprit. Non seulement, ce livre rappelait l’autodafé orchestré par le Nouvel Ordre. Mais il contenait un pouvoir étrange. Pendant la lecture, s’opéra un étrange mécanisme dans son corps. La douleur dans son poignet avait disparu, les rougeurs également. Il trouva dans son lit un tout petit objet qu’il reconnut rapidement : une micro-puce. Elle s’était comme expulsée de son corps de son propre chef. Sa tête se mit à tourner à toute vitesse. Il commençait à entendre des voix, et il comprit en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, que ce n’étaient rien d’autres que les pensées des personnes aux alentours. Et il entendit le désarroi de sa voisine, la citoyenne 43878-AF. Il se concentra. Il comprit que les mêmes sentiments qu’il éprouvait pour elle l’animait. Qu’elle s’inquiétait pour lui, qu’elle voulait lui en faire part, mais qu’elle avait une peur bleue de la réaction du Nouvel Ordre si elle venait à parler.
Charlie n’hésita pas une seconde. Il se leva, tout en planquant sous son t-shirt le précieux livre de son grand-père, et alla jusqu’à la cellule mitoyenne. Sans crier gare, il rentra, en intimant à 43878-AF de se taire avec un doigt sur la bouche. Il se rapprocha d’elle, puis lui tendit le précieux objet. Elle sentit un picotement dans ses doigts, comme dans le rêve qu’il venait de faire. Voyant son air interrogateur, il lui annonça ces quelques mots :
« Lis et apprend, mais ne dis rien. Et planque-le si tu ne l’as pas fini ce soir. Lorsque tu auras terminé, reviens me voir. »
Sur ce, il s’éclipsa, de manière tout aussi soudaine qu’il était entré dans la pièce. 43878-AF se plongea aussitôt dans la lecture, comme si elle avait été hypnotisée par les paroles ou le geste de son concitoyen.
***
« C’est incroyable ! Dire que nous avons été des esclaves, totalement aveugles, face aux exactions du Nouvel Ordre. »
La voix de 43878-AF était emplie de colère. Son réveil, suite à la lecture avait été brutal. Mais elle semblait bien décidée à combattre le système qui l’avait manipulée depuis tant d’années. Charlie tentait de la rassurer, tout en réfléchissant à une marche à suivre. Il le savait bien : avec leur puce désactivée, il ne faudrait pas longtemps pour que les sbires du Nouvel Ordre se lancent à leur poursuite.
« Je comprends ce que tu ressens. Mais il va falloir agir rapidement. Sinon, on ne fera pas de vieux os. Peut-être que tu pourras t’en sortir, qu’ils passeront l’éponge si tu te fais attraper, mais moi, je serai cuit. Il faut toucher un maximum de personnes en un temps record.
— Tu as raison. Tu m’as expliqué que tu avais depuis ta dernière lecture une sorte de pouvoir, que tu arrivais à lire dans les pensées. J’ai beau essayer, je n’arrive pas à faire une telle chose. Tu sais pourquoi ?
— Non, aucune idée. Peut-être que ça se manifestera d’une autre manière chez toi. Sinon, tu as une idée ?
— Oui. Demain, c’est la grande journée sur la citoyenneté au centre de formation. Tous les jeunes de la cité seront présents. Si, comme moi, en touchant le livre, les autres ressentent des picotements, on pourra faire en sorte que les gens se passent le livre de l’un à l’autre. Ce sera un réveil en cascade.
— C’est dangereux, 43878-AF.
— Arrête de m’appeler comme cela, je m’appelle Anna.
— D’accord, Anna. Il faudra cependant être prudent. Si la moindre caméra ou le moindre formateur constate ce que l’on mijote, tout sera fichu.
— Ne t’inquiètes pas, tout ira comme sur des roulettes, j’en suis certaine. »
Ils échangèrent encore quelques mots, puis, pour ne pas éveiller les soupçons, Charlie retourna dans sa cellule. Il leur fallait se reposer, la journée qui allait arriver serait loin d’être de tout repos.
Charlie fut réveillé de bonne heure par Anna. Elle semblait trépigner d’impatience, comme si elle venait d’apprendre une bonne nouvelle qui allait changer le cours de sa vie. Elle secoua son voisin qui avait du mal à émerger des bras de Morphée.
« Charlie, on a la solution à tous nos soucis ! »
Il se frotta les yeux et regarda le visage de sa concitoyenne. Ses yeux pétillaient. Mais elle lui fit signe de descendre son regard vers ses mains. Elle ne tenait pas un livre, mais bien deux. Ils étaient exactement identiques. Charlie n’en croyait pas ses yeux et leva un regard interrogateur vers Anna.
« Hier, quand tu es parti, je voulais savoir si j’avais un don comme toi. Je me suis concentrée encore et encore, j’ai pu dupliquer ma brosse à dents. J’ai ensuite essayé sur le livre, et ça a marché. »
Charlie se leva d’un bond, et examina les deux livres. Il ne savait pas dire lequel était le sien. Il en pris un en main, le parcourut. Il le posa sur la petite table de la cellule. Anna et Charlie n’en crurent pas leurs yeux : le livre, comme par magie, se dupliqua à nouveau. Il se tourna vers son amie.
« -C’est toi ?
— Non, là, je n’ai rien fait du tout. »
Ils se regardèrent, stupéfaits par cette découverte. Charlie commença à réfléchir à toute vitesse.
« Il faut une personne de confiance, pour faire un test. Voir si ce livre se duplique à l’infini. Si c’est le cas, tout le monde aura son exemplaire en un rien de temps. Si on arrive à le propager comme cela, la censure et la dictature des corporations s’effondreront en un rien de temps.
— J’ai ce qu’il nous faut. Tu te rappelles de 44021-JC ? Il arrête pas de tourner autour de moi, il ferait tout pour que je lui accorde mes faveurs. Il me rend plein de services sans jamais poser de questions, juste pour me faire plaisir. Je pense que l’on peut lui faire confiance.
— Oui, on peut essayer. J’espère qu’il n’ira pas cafter.
— Je vais le chercher, il habite à moins de 15 cellules. »
Anna se leva d’un bond et quitta la pièce. Moins de cinq minutes plus tard, elle rentra, accompagnée d’un garçon de leur âge à l’air plus tôt timide.
« - Tu promets de tenir ta langue 44021 ?
— Oui, tout ce que tu veux citoyenne.
— Bien, merci. Je voudrais que tu touches un objet. Simplement le toucher, ensuite on avisera. »
Elle tendit le troisième livre à son soupirant, qui le prit en main. Ils constatèrent de suite un petit frisson lui parcourir l’échine et une expression d’étonnement sur son visage. Il venait de ressentir le picotement dans ses doigts. Il reposa le livre sur la table, et la duplication de l’objet se répéta. 44021 écarquilla les yeux, ne comprenant absolument pas ce qui était en train de se passer. Charlie se dirigea vers lui, en lui tendant un des exemplaires.
« -Prends-le. Il est à toi. Ne le montre pas ouvertement lorsque tu te balades. Lis-le. Et surtout, fais comme nous. Fais-le toucher par quelqu’un d’autre et invite-le à répéter ce que je viens de te dire. C’est extrêmement important, notre survie, notre libre arbitre en dépend. »
Le nouvel arrivant tira une moue suite aux paroles de Charlie.
« Pourquoi devrais-je t’écouter ? Toi, le type qui passe constamment au centre de rééducation ? »
Charlie soupira, ne sachant quoi lui répondre. Mais Anna sourit, et se tourna vers 44021.
« -Fais-lui confiance. Je t’assure qu’il a raison. J’ai lu ce livre, j’ai ouvert les yeux. Le monde n’est pas tel qu’on voudrait nous le faire croire. Et même si tu ne crois pas ces paroles, est-ce que tu pourrais faire cela pour moi ? »
44021 baissa les yeux, en même temps que ses joues prirent une teinte rose.
« -Bien sûr, citoyenne. Pour toi, je ferai n’importe quoi.
— Merci mon ami. »
Elle lui fit une bise sur le front, un peu comme l’aurait fait une grande sœur pour approuver son petit frère. Après ce geste fort tendre, le 44021 satisfait s’éclipsa dans sa cellule.
***
Ils étaient à trois : Charlie, Anna et 44021 face à la masse de jeunes de leur âge dans le centre de formation. Ils étaient tous rassemblé dans cette grande salle pour fêter la journée de la citoyenneté, qui se déroulait une fois par an. Journée spéciale qui n’était en réalité qu’une ovation aux grandes corporations qui régissaient le Nouvel Ordre. On sentait la tension qui émanait de leurs corps. Ils allaient se lancer dans cette opération risquée : réveiller le reste de leurs camarades. Charlie prit une grande inspiration puis chuchota :
« -Vous êtes prêts ? »
Ses deux compagnons n’eurent pas le temps de répondre. Une dizaine de gardes entra dans la salle. L’un d’entre eux hurla l’identification de Charlie. Tous les regards se tournèrent vers le jeune homme, la foule laissant un passage aux gardes. Charlie ne broncha pas, attendant patiemment qu’ils se rapprochent de lui. Il n’avait pas peur. Quoi que ces hommes lui fassent, la révolution était en marche. Bientôt, tous auraient retrouvé leur libre-arbitre. Une seule phrase lui vint en tête. « Les mots, les idées sont plus forts que la censure. Et même si tout semble perdu, seul le livre nous délivrera. »
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Un PDG plus que fortuné, suite à un accident, se retrouve seul dans le désert, sans eau ni nourriture. Mais lorsqu'il croise une personne qui pourrait le sauver, celle-ci lui réclame cinq dollars pour une bouteille d'eau.
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Ce matin, j'ai été chercher des couques (pour les amis français: des petits pains au chocolat ou chocolatines). Je découvre avec stupeur cette petite affirmation sur le sachet. Sur twitter, ça jase un peu lorsque je partage l'image. Résultat, une petite histoire écrite à l'arrache.
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Histoire courte, publiée il y a peu sur mon blog. L'histoire d'un gars, comme vous et moi, qui essaie d'améliorer le quotidien de son entourage.
Texte publié sous licence CC0 (domaine public).
Texte publié sous licence CC0 (domaine public).
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Écrit initialement pour le Ray's Day, et publié sur le blog le 22 août 2014.
Charlie s’était perdu. Il est vrai que venir de sa petite enclave isolée et perdue de l’Illinois dans cette grande ville qu’était Denver, il y a de quoi perturber un petit garçon qui n’a jamais vu la ville. Des hautes tours immenses, tellement grandes que Charlie n’en voyait pas le bout. Cela changeait de ces maisons luxueuses, réservées aux hauts-cadres des corporations, gagnées par un zèle excessif et une fidélité hors de toute épreuve envers ses employeurs. Mais dans cette immense cité, tous ces hommes et femmes, grouillant de partout, telle une fourmilière géante, le perturbaient du haut de son petit mètre, n’arrêtaient pas de le bousculer, tant cette marée humaine ne semblait pas se soucier de lui, et encore moins le voir.
Il avait dû lâcher la main de sa maman, et en à peine trente secondes, n’arrivait pas à la retrouver, tellement cette horde humaine remplissait le moindre espace dans ces rues. Il savait néanmoins qu’il ne serait pas perdu longtemps, avec les technologies actuelles, on ne perdait jamais la trace de quelqu’un plus d’une demi-heure. Il se mit donc en quête d’un endroit où il pourrait se mettre à l’abri de toute cette masse, et attendre bien sagement papa et maman.
En évitant les piétinements et les bousculades, il se fit un chemin à travers ce grand boulevard. Il arriva très vite à trouver une petite ruelle, où le passage était nettement moins fréquent. Elle semblait un peu mal famée, les murs étaient délavés, des lambeaux de vieilles affiches se décollaient des façades toutes décrépies. Mais un panneau attira rapidement le regard de Charlie. Il clignotait en émettant une sorte de grésillement. Il n’avait jamais vu pareille pancarte. Elle semblait venir d’un autre âge. Dessus, Charlie arriva rapidement à lire son inscription : « EbookStore ». Charlie aimait bien les e-books : le texte défilait devant ses lunettes, s’adaptant à sa vitesse de lecture. Et quand il était trop fatigué pour lire ou quand il ne voulait pas se concentrer suffisamment pour faire autre chose en même temps, une voix synthétisée lui lisait le texte. Piqué par sa curiosité, Charlie poussa la porte du magasin.
C’était un vieil établissement. Les murs étaient complètement défraîchis, la peinture, qui devait être blanche à la base était toute jaunie et s’écaillait par endroits. Sur chaque mur, on trouvait de grandes bornes, avec des écrans tactiles énormes. Charlie ne reconnaissait pas ce genre de technologie, elle devait être assez ancienne. A l’heure actuelle, les projections holographiques étaient monnaie courante et la majeure partie des commandes se faisaient oralement, avec l’aide d’un senseur devant lequel on passait son poignet pour valider le paiement. Sur chaque borne, il y avait un panneau annonçant un genre littéraire : policier, science-fiction, fantastique,… Charlie parcourait toutes ces bornes, regardant ce qu’elles contenaient. Uniquement des ouvrages anciens, pas de nouveauté, et Charlie découvrit que le livre le plus récent avait été paru il y a au moins 20 ans.
Pourtant, tout au fond de l’établissement, une borne attira nettement plus le regard curieux de notre petit Charlie. Elle était éteinte, et aucune marque, aucune indication n’était apposée dessus. Charlie s’approcha de cette machine, et commença à la scruter pour voir s’il pourrait l’allumer. Il cliqua sur les écrans, aucune réaction, la machine ne sembla pas répondre à ses stimuli. Il parcourut la machine de ses petites mains, cherchant le moindre mécanisme. Rien. Il donna un petit coup de pied dans la borne, toujours rien. Son insatiable curiosité et une petite frustration grandissantes, le firent jurer, demandant au ciel ce qui pouvait bien se cacher dans cette machine mystérieuse, et ce faisant, il mit ses petites mains à l’arrière de la machine, lorsqu’il toucha un petit interrupteur.
Et là, comme par magie, la borne électronique sembla lui répondre. Charlie entendit un bruit sourd, tel un vrombissement, et la machine commença à bouger, faisant place à un petit couloir qui s’enfonçait dans le mur de la bâtisse. Une odeur inconnue arriva jusqu’aux narines de notre petit garçon, un mélange de renfermé, de poussière et une essence qui lui était totalement inconnue. Charlie osa passer sa tête vers ce petit passage, et entendit une quinte de toux, probablement d’un vieil homme, et juste après, il entendit ces mots :
« Viens, mon garçon, entre, n’aie pas peur ! »
Charlie décida d’avancer, et s’enfonça dans ce petit espace dans le mur, bien caché par cette borne. Un spectacle incroyable s’ouvrit à ses yeux. Une pièce cachée dans cet édifice, avec des étagères partout, remplies d’objets qu’il n’avait jamais vus. Ils se ressemblaient tous, bien alignés sur les étagères, et on en trouvait des piles émergeant du sol tels des stalagmites, des objets rectangulaires, ayant tous la même forme ou taille, mais avec des illustrations et inscriptions différentes sur leurs faces ou tranches. Charlie était fasciné. Et au milieu de cette pièce, un vieil homme, était assis dans un fauteuil vermoulu, tenant un tel objet dans ses mains, comme si c’était son bien le plus précieux.
« Approche, je t’attendais », lui dit-il.
Charlie, pas peureux pour un sou, s’avança vers lui en se frayant un chemin dans ce dédale d’objets, et n’ayant pas sa langue en poche lui demanda :
« Mais vous êtes qui monsieur, et tous ces objets, qu’est-ce que c’est ? »
Mais ce sont des livres mon garçon !
Charlie commença à paniquer. Si c’était bien ce que le vieux monsieur disait, et si c’étaient des gens d’une corporation qui le retrouvaient, il aurait des sacrés ennuis. Les livres étaient interdits depuis longtemps, et ils avaient été tous brûlés depuis belle lurette. Il avait aussi entendu des rumeurs comme quoi les gens qui avaient été attrapés avec ce genre d’objet avaient tout simplement disparu. Malgré la fascination que de tels objets lui suscitaient, la panique montait en lui, grandissante, à tel point que ces jambes commencèrent à trembler.
— Tu ne dois pas paniquer, Charlie, tu ne risques rien ici.
— Mais, c’est interdit les livres, je devrais vous dénoncer ! Et puis, comment connaissez-vous mon nom ? Je ne me suis pas présenté à vous !
Le vieil homme lui sourit, et enleva ses vieilles lunettes pour les frotter sur un bout de chiffon, avant de les remettre sur son pif.
— Je te l’ai dit, Charlie, je t’attendais. Depuis bien longtemps, en fait. Parce que j’ai quelque chose à te donner. Mais avant cela, on va parler un peu, toi et moi. Mais je t’en prie, assieds-toi, je sais qu’il n’y a pas beaucoup de place par ici, mais pousse donc quelques livres. Et ne t’inquiète pas pour tes parents, ils te retrouveront assez vite, le temps qu’on ait discuté tous les deux.
Charlie ne se fit pas prier. Il commença à déplacer quelques ouvrages, tout en jetant des regards fugaces sur leur couverture. Il n’avait jamais entendu parler des auteurs de ces livres, ni même des titres de ces ouvrages, alors que Charlie était un passionné de lecture. Le premier avait une représentation d’un personnage étrange, mais souriant, appelé vraisemblablement Dalaï-lama. Le second, qu’il eut en main avait pour titre la Divine Comédie, d’un certain Dante Alighieri, un autre, avait pour titre 1984, avec la tête d’un bonhomme menaçant comme illustration. Charlie, en poussant les ouvrages, vit également d’autres titres sans le moindre nom d’auteur. L’un s’appelait la Bible, et l’autre, il n’aurait pas su dire, car les symboles, si c’était bien une écriture, lui étaient totalement inconnus. Il continua à en déplacer, jusqu’à ce qu’il puisse s’asseoir en tailleur sur le sol, mais les questions commençaient à s’entasser dans sa petite tête, et surtout, une envie grandissante de dévorer tous ces livres, les uns après les autres. Une fois confortablement installé, il attendit que le vieil homme devant lui se décide à prendre la parole.
— Dis-moi, Charlie, que sais-tu de notre monde ? Je veux dire, de notre histoire, comment notre société est devenue ce qu’elle est actuellement ?
— Ce que nous apprenons grâce aux télé-formations, ce que nous avons besoin de savoir pour le métier qui nous a été attribué, après nos tests psycho-techniques ! Et comme l’histoire est réservée normalement aux bibliothécaires et historiens, je n’ai eu droit qu’à une télé-formation de quelques heures !
— Mais que dit-elle, cette télé-formation, comme tu dis ? Je dois dire que ce néo-terme ne m’est pas très familier !
— Qu’il y a eu de gros soucis. Des révoltes, des guerres, des famines. Que les hommes au pouvoir étaient gangrenés par la corruption et que les gens en avaient assez. Qu’il y avait des dogmes, appelés religions, et qu’ils étaient utilisés pour monter les hommes les uns contre les autres. Pendant une grande guerre qui a fait plein de morts, un être géant est apparu dans le ciel, et a appelé tout le monde à se mettre sous la bannière des corporations. Elles sont arrivées et ont mis un terme à tout cela, pour que nous puissions vivre en paix et en harmonie. Mais qu’il y a encore des régions, des peuples, qui refusent le regard bienveillant des corporations et ils utilisent des armes pour nous attaquer !
Charlie était un peu perplexe. Ce vieil homme, avec tous ces livres autour de lui, devait en savoir des choses ! Alors, pourquoi posait-il ce genre de questions ? Avait-il seulement lu ces livres ? Et comment se faisait-il qu’il ne connaissait même pas des néo-termes basiques tels que télé-formation ? Les questions se bousculant dans la tête de Charlie, le vieil homme prit une grande inspiration et commença à parler.
« Ce que tu racontes est en partie vrai, mais seulement la réalité, la véracité des propos que l’on t’a inculqués est totalement tronquée. Rares sont les personnes comme moi, qui ont survécu à tous ces événements, et nous vivons maintenant cachés. Parce que si nous parlions publiquement, nous serions exécutés sur le champ. Parce que la vérité, pas bien compliquée, est que vous avez été manipulés. Et quand je dis vous, c’est bien l’Humanité tout entière, enfin cette immense partie vivant dans ce que vous appelez le Nouvel Empire Mondial. Parce que ces personnes, bien au-dessus, à la tête des corporations ne veulent qu’une chose : votre consentement silencieux et docile. La vérité est que tout être vivant dans cet empire n’est ni plus ni moins qu’un esclave qui s’ignore, et qui n’a aucune volonté propre, ni la capacité de penser par lui-même. »
Charlie était bouche bée. Les mots du vieillard s’entrechoquaient dans sa tête, et bien qu’il ne comprenait pas tout ce qu’on venait de lui dire, il se sentait un peu perdu. Lui ? Un esclave ? Ce n’était pas possible. Il se télé-formait quand il le voulait, jouait quand il le voulait. Un esclave, pour lui, c’est comme un robot, qui faisait uniquement ce qu’on lui disait de faire.
« Ne t’inquiète pas, je vais te donner plus de détails, même si le temps nous est compté et que je ne pourrai pas tout t’expliquer. Mais au moins, tu auras une petite idée de ce qu’il s’est réellement passé.
L’être humain est un être extraordinaire, il est capable de tant de choses, du bien comme du pire. Mais des hommes malintentionnés, avides de pouvoir, ont gangrené toute la société. Pour parvenir à leur fin, tout leur était permis, et ils corrompirent tout ce qu’ils purent, s’infiltrant dans toutes les strates de la société, susurrant aux chefs des mots dans leurs oreilles pour que leur volonté soit faite. Ils montèrent les hommes les uns contre les autres, et créèrent un chaos incommensurable. Mais vers les années 2010, beaucoup de monde se rendit compte de leur supercherie. Ils commencèrent à se révolter. Parallèlement, des hommes et femmes commencèrent à exploiter tout leur cerveau, et développèrent des sens hors du commun. Tu pourrais appeler ça des super-pouvoirs, mais ces personnes développèrent des sens que les humains avaient perdu depuis longtemps, comme pouvoir lire dans les pensées, déplacer les objets rien que par la force mentale, et beaucoup d’autres capacités qu’il est impossible de toutes nommer maintenant.
Mais ces mauvais hommes avaient tout prévu, leur plan était en marche de longue date, et ils mirent, en 2014, la phase finale de celui-ci en exécution : la domination totale de l’humanité. Avec des stratagèmes que je ne sais expliquer, ils ont créé cette image dans le ciel, comme tu l’as dit plus tôt, et ils se sont mis à découvert en se mettant sous la bannière des corporations. Tous les hommes avec des pouvoirs furent emprisonnés, considérés comme des hommes mauvais, et l’on n’entendit plus parler d’eux. Ils mirent au point une technologie, mais je ne sais pas laquelle exactement, qui leur permit que de telles choses ne puissent plus se reproduire.
Ils enfermèrent l’Humanité, l’empêchant de penser par elle-même. Et leur pire ennemi n’était autre que les livres. Parce qu’ils permettent la réflexion, le développement de l’imagination. Et c’était quelque chose que les corporations ne pouvaient pas se permettre. Ils furent donc interdits, et tout littérature ou texte permettant une once de réflexion fut banni. Les écrivains furent massacrés. Et depuis, les rares auteurs sont des personnes écrivant des histoires insipides, sans sentiment, et uniquement approuvées par des corporations telles que Deysni. Les seuls textes qui vous sont accessibles le sont par vos lunettes, qui analysent votre activité cérébrale pendant que vous les assimilez. Mais n’aie crainte, ici, tes lunettes ne sont pas en état de fonctionner. »
A ces mots, Charlie réalisa, que oui, en effet, il n’avait plus reçu aucun signal depuis dans ses lunettes, depuis qu’il était rentré dans le bâtiment. Il les sortit, vérifia si elles étaient en état de fonctionner. Mais malgré la pression sur le bouton de mise en marche, celles-ci refusaient d’émettre le moindre signal. Il les plia et les mit dans la poche de sa chemise.
« Tu vois », reprit le vieil homme, « j’ai bien connu ton arrière-grand-père. C’était un homme bon, un rêveur, et il aimait écrire plus que tout. Il écrivit des tas d’histoires, mais il avait peur. Peur que les gens ne réfléchissent plus, qu’ils perdent le goût de la lecture. Il a tenté d’avertir nombre de personnes de cette peur, via un livre. Et sa grande crainte est arrivée. Avec la mise en place de cette dictature, plus aucun livre n’est lu, plus aucun livre ne semble exister. »
Il tint fermement le livre qui reposait sur ses genoux, comme si c’était le bien le plus précieux au monde. Et il le regardait, avec une petite larme qui semblait couvrir ses yeux fatigués.
« C’est pourquoi tu dois le prendre », dit-il à Charlie. « Le lire, le garder précieusement, c’est un des rares exemplaires qui existent encore du livre de ton aïeul. Et si tu y arrives, prête-le à des personnes dignes de confiance. Parce que le monde doit savoir, le monde doit ouvrir les yeux. Et quand tu seras prêt, tu reviendras me voir. »
Il tendit le livre à Charlie, qui eut juste le temps de voir le début du titre du livre, qui commençait par FAR. Mais une voix semblant sortir d’outre-tombe l’interrompit dans la lecture du titre. Quelqu’un semblait l’appeler, mais cette voix semblait lointaine, et en même temps partout à la fois.
« Maintenant, cache le livre. Parce qu’il ne faut surtout pas que les autres le trouvent avant que tu aies fini de le lire et que tu aies commencé à le partager. Et lorsque ce sera accompli, que tu seras éveillé, nous nous reverrons. Car tu auras trouvé le pouvoir et le moyen de communiquer avec moi. A ce moment-là, je te passerai d’autres livres, afin que tu puisses transmettre ces œuvres perdues au monde entier. »
Charlie s’exécuta, glissa le livre dans son pantalon et mit sa chemise par au-dessus. Il n’avait pas d’autre moyen de cacher son précieux secret, et en même temps, il était persuadé que personne ne le trouverait. Mais cette voix, cet appel devenait de plus en plus intense.
« Charlie, Charlie ! »
Charlie sentait que quelque chose lui donnait quelques a – coups dans son bras droit. Et c’est là, dans cette ruelle mal famée de Denver qu’il ouvrit les yeux. Ses parents se tenaient devant lui, tentant de le réveiller de ce qui semblait être un profond sommeil. Charlie regardait autour de lui, aucune trace de l’EbookStore, son entrée, tout comme sa pancarte électrique grésillante, n’étaient tout simplement pas là, laissant place à un mur de briques rouges délavé.
Charlie soupira. Tout cela n’aurait été qu’un mauvais rêve ? Pourtant, cela semblait si réel ! Il aurait tant aimé tenir tous ces livres et pouvoir les lire. Il aurait bien aimé. Mais en se relevant, il sentit que quelque chose ralentissait sa progression. Quelque chose était caché sous sa chemise, un petit objet rectangulaire légèrement souple, coincé dans son pantalon. Bien plus tard dans la soirée, lorsque Charlie fut rentré chez lui dans sa petite bourgade perdue au fin fond de l’Illinois, il osa sortir cet objet de sa cachette. C’était un livre, et sur sa couverture, il était simplement marqué ces quelques mots :
Ray Bradbury
FARENHEIT 451
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11
Défi
Cette histoire, petit conte, était une idée qui me trottait dans la tête depuis un petit temps. Le défi proposé par Jocelyne fut donc l'opportunité de la poser sur l'écran.
Petit conte sous CC0.
Petit conte sous CC0.
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Une réflexion, une annonce. Sous licence CC0
Publication originale (pour les liens): http://www.antredugreg.be/parce-quil-ny-a-rien-de-plus-beau-que-le-don-et-le-partage/
Publication originale (pour les liens): http://www.antredugreg.be/parce-quil-ny-a-rien-de-plus-beau-que-le-don-et-le-partage/
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