Śimrod : le cadeau
Personne ne lui avait dit ce qu’était réellement la mise « spéciale ». Et pourtant, jamais il n’avait désiré si fort un prix que celui-là. Lorsqu’on le conduisit dans la pièce où il se trouvait, derrière un rideau rouge, le cœur de Śimrod battait comme les tambours de la fête de Baal. Si c’était un cair, aussi beau et prestigieux que soit ce prix, il savait qu’il serait déçu. Il le revendrait pour avoir assez d’argent pour son esclave. Si c’était un carcadann, ou toute autre bête fantastique, il ferait pareil. Il comptait tout vendre, sauf ce que serait véritablement ce prix spécial. Et pourtant, il était incapable de formuler ce qu’il attendait.
Au moment de passer derrière le rideau rouge, il se retourna. L’ami d’Ardaxe avait disparu. Mais ses derniers signes avaient dit ceci : « Je t’avais promis un cadeau, Śimrod : le voilà – avec du retard, comme je t’avais prévenu ». C’était donc un nouveau tour d’Ardaxe. Le fieffé farceur ! Śimrod avait renoncé à poursuivre son messager. Si ça se trouve, c’était lui-même, en personne.
*
Le cadeau en question l’attendait, enchainé à un pilier gravé de glyphes érotiques. En posant les yeux dessus, Śimrod réalisa qu’il avait toujours su ce que c’était, même quand Ardaxe le lui en avait parlé là-bas, si loin, à Urdaban. À ce moment-là déjà, il avait refusé, pris de peur. Mais Melaryon s’y était mis aussi, et Ardaxe n’avait pas renoncé : il avait réussi, par un moyen ou un autre, à faire venir ce cadeau jusqu’à lui. Śimrod comprit que, depuis le début, il ne désirait rien de plus fort que cela : une femelle adannath, à la chair périssable et à la vie si fragile. Il fallait accepter ce fait, tout comme il avait accepté d’embrasser la destinée solitaire de l’Aonaran, d’être le fils d’un orc, de connaître le véritable visage de sa mère, de servir comme reproducteur aux reines et de tuer des gens. Au moins n’aurait-il pas à arpenter le marché aux esclaves comme un charognard en quête de chair fraiche. Car le prix spécial, c’était une jeune femelle adannath. Une esclave de plaisir marquée comme telle, au corps entrainé, adorné pour les choses de l’amour.
Si ses appâts étaient laissés à l’appréciation de tous, son visage, comme celui des autres, était masqué, recouvert d’un faux visage arborant les traits glacés de la déesse Narda. À Kharë, même les esclaves participaient aux fêtes.
— Elle a déjà été utilisée, bien sûr, lui vanta son propriétaire avec un sourire suave. Mais elle sait comment satisfaire un mâle, et son corps est rompu à ces jeux. J’ai peine à m’en séparer, mais notre ami commun a su se montrer convaincant. Évidemment, ses appâts naturels ont été retravaillés, de façon à ce que vous ayez la satisfaction de jouir d’une femelle étroite comme une pucelle. Si vous avez les équipements et le personnel afférent sur votre cair, elle pourra redevenir intacte pour vous, chaque nouveau cycle que le Créateur fera.
Śimrod eut envie de lui aboyer de laisser le Créateur en dehors de cette triste affaire de besoins primaires, de cruauté et de désirs égoïstes. Mais il garda le silence. Cette humaine sortie de nulle part avait éveillé en lui un désir lancinant et mystérieux, où se mélait la nostalgie de quelque chose depuis longtemps perdu. Cette couleur de peau lui en rappelait une autre... mais il s’empressa de chasser cette idée qui, en s’invitant dans son esprit, faisait naitre une petite pointe de regret dans son cœur. A la place, Simrod se concentra sur l’article que lui faisait le marchand khari.
— Je la veux, confirma-t-il d’une voix rendue rauque par le désir.
— Attention seigneur : il y a une condition. Un geis puissant a été posé sur elle : le masque qui dissimule son visage ne pourra être retiré que par une autre femme, une femelle jalouse de votre bonheur. Ni vous ni elle ne pourrez l’enlever.
Śimrod fronça les sourcils. Qui – et pourquoi – avait pu poser un tel sort sur une malheureuse esclave de bordel ? Pendant un instant, il se méfia. Ardaxe... si c’était lui, quel était son but ? Ses cadeaux pouvaient se révéler à double tranchant... Mais la fascination qu’exerçait cette humaine sur lui était trop forte.
— Cela ne fait rien. Je la prend.
Et le marché fut conclu.
*
Śimrod ne pensait plus qu’à une chose : essayer sa nouvelle acquisition. Il avait toujours su contenir ses ardeurs face aux femelles, qu’elles soient reines, libres ou esclaves. Pour lui, il s’agissait d’une question de fierté. Mais la lune rouge était haute déjà, et les crocs brûlants du rut le torturaient. Et surtout, pour une inexplicable raison, il désirait cette esclave plus que nulle autre. L’aurait-il vu au marché parmi mille autres, c’était elle qu’il aurait choisie. Pas à cause de la largeur de ses hanches ou du poids de ses seins, ni de sa grande taille qui indiquait une propension à s’accommoder des anatomies les plus extrêmes et supporter les assauts les plus brutaux, non. C’était sans doute un effet du masque, qui lui donnait cet air indifférent, presque supérieur, alors qu’elle attendait, nue et attachée à un pilier, les cuisses écartées sur une fente rasée et humide, tout juste préparée pour son seul plaisir. Et cette couleur de peau, si rare chez les adannath du Nord, et si proche de la sienne…
L’aslith fut montée à bord, et le cair quitta le port. Sitôt les manœuvres nécessaires terminées, Śimrod quitta le pont pour retrouver sa nouvelle acquisition, tenue en laisse par le sluagh qui avait été fourni avec elle. C’était à lui qu’incombait la lourde tâche de faire en sorte qu’elle serve le plus longtemps possible.
— Suis-moi, lui ordonna Śimrod en sentant ses oreilles chauffer.
En son absence, et sur sa demande, Melaryon avait fait préparer la soute réservée aux esclaves de plaisir et à ceux chargés de leur entretien. Sur certains navires, on en trouvait des centaines, amenées là pour servir un seul sidhe. Śimrod pensait qu’une lui suffirait. Il était un ellon de modération, après tout.
Une porte nouvelle, s’entrouvrant sur un carré de lumière rouge, avait son apparition sur le pont. Śimrod s’avança jusqu’à elle.
— Entre là-dedans, ordonna-t-il, le souffle court.
Cette fois, il s’adressait à la fille. Il était sûr qu’elle parlait sa langue. Mais avant qu’il ne puisse le vérifier, le sluagh tira sur la laisse.
— Avance, mortelle ! Le Maître t’ordonne.
Śimrod lui jeta un petit regard réprobateur, mais il devait reconnaître que la situation l’excitait. Il entra à son tour. La porte se referma derrière lui avec un bruit de chuintement mou, suivi par un cliquètement de serrures complexes. Melaryon avait bien fait les choses : ainsi, Amarië ne risquait pas de venir promener son demi-sourire ironique ici.
L’aslith se figea en apercevant la cage, les chevalets et autres chaines qui pendaient du plafond. Śimrod lui-même se sentait mal à l’aise dans cette salle, qu’il n’avait jamais utilisée, mais il ne pouvait pas faire venir une simple esclave dans son khangg. Surtout pas avec Amarië à son bord. Cette salle ignoble était le seul endroit lui garantissant un semblant d’intimité, et Melaryon, qui l’avait faire préparer, le savait bien.
Le sluagh prit l’initiative de la faire bouger avec la fine badine qui était l’insigne de sa fonction.
— Misérable femelle ! Le maître attend !
Cette fois, Śimrod lui saisit le poignet avant qu’il ne puisse abattre son fléau.
— C’est à moi de la punir, si nécessaire, le recadra-t-il en désignant le fouet enroulé à sa ceinture.
Depuis le royaume d’Hiver, il l’avait gardé, sans trop savoir pourquoi. L’aslith y jeta un regard sans doute inquiet, puisque cet instrument était pire que la badine du sluagh.
Poussé par l’urgence, Śimrod avisa le premier instrument qui tomba sous ses yeux : une sorte de banc capitonné, au-dessus muni de boucles de titane, qui permettait de saillir un ou une esclave par-derrière, en lui maintenant les poignets attachés. Une chaine ouvragée pendant du plafond offrait un mors pour la bouche de l’esclave, avec l’idée probable de contenir ses cris, ou, peut-être, de l’empêcher de se briser les dents. En se souvenant comment lui avait subi de tels instruments, alors qu’il était l’objet des ellith, Śimrod fut pris par les prémices d’une vague de dégoût, mais elle reflua rapidement. Le monde était ainsi : on était tous l’esclave de quelqu’un. Et dans ses veines, son sang avait atteint le point de fusion. Il fallait vite qu’il se soulage.
Après avoir passé les poignets de l’aslith dans les boucles – il ne fallait pas qu’elle bouge – il tira ses hanches vers lui et l’empala sur son vit brûlant en poussant un grognement de satisfaction. Il eut l’impression de planter une lame en fusion dans un baquet d’eau pure, qui en éteignait le feu. Mais chaque fois qu’il ressortait son membre, ce dernier le brûlait à nouveau, et il devait le replonger aussitôt dans la chair à vif, rendue sanguinolente par sa violente passion. Il savait qu’il aurait dû l’enduire d’onguent avant, mais elle était habituée, comme toutes les esclaves sexuelles. Qui sait combien de mâles s’étaient déjà servis d’elle, et combien de fois son étroite fente d’humaine avait été réparée ? Elle ne poussa d’ailleurs pas un seul cri. Śimrod la chevaucha avec force, puis il se retira.
— Occupe-toi d’elle, ordonna-t-il au sluagh qui attendait non loin. Je la veux prête et opérationnelle dès ce soir, après mon bain. Interdit de la toucher, ou c’est toi qui tâteras de mon fouet.
— Bien sûr, Seigneur.
Sans un regard pour l’esclave qu’il venait de violer, Śimrod quitta la pièce. Il n’avait même pas regardé son visage. Quelque chose d’obscur, de l’ordre de la superstition, l’empêcha de le faire. Il avait d’ailleurs décidé de ne jamais la prendre sans : le sluagh avait ordre de lui envoyer l’aslith masquée, quoi qu’il arrive.
*
— Je me demande comment j’ai pu me passer de ça, soupira Śimrod en se confiant à Melaryon. C’est meilleur que les ellith, tellement meilleur. J’ai souffert pour rien.
C’était vrai. Pourquoi s’était-il retenu autant de temps, attendant le bon vouloir des ellith, alors que les humaines attendaient, les jambes écartées, qu’on veuille bien prendre possession d’elles ? Śimrod se souvenait de ses jeunes années, quand, hennël tout juste pubère muni d’un long panache blanc, il avait demandé en tremblant à une fille de la troupe si elle voulait bien lui prendre sa queue. La femelle en question, qui avait à sa disposition toute une légion de mâles musclés et habiles aux fesses glabres, lui avait ri au nez. Śimrod avait dû attendre de longues et douloureuses années avant qu’une femelle ne l’accepte dans son khangg. Et entretemps, il avait dû prouver sa valeur en récoltant cicatrices, cynisme et trophées. C’était ça aussi, la condition des mâles. Les humaines changeaient la donne.
Le soir, l’aslith lui fut amenée aux bains. Śimrod était encore dans l’eau, à demi somnolent, lorsque le pas feutré de l’esclave se fit entendre sur les dalles mouillées. Elle s’agenouilla non loin, attendant que Śimrod ai fini. Ce dernier prit son temps. Mais son sexe enflait déjà à l’idée des délices dans lesquels il allait se plonger, au point d’en devenir douloureux.
Dès que Śimrod sortit de l’eau, l’esclave s’allongea au sol et écarta largement les cuisses, les tenant de ses propres mains sous ses genoux. Śimrod fut étonné de cette position, qui était celle des ellith lorsqu’elles désiraient recevoir le mâle, mais il en fut également charmé. Enfin une femelle soumise, avec qui il n’aurait pas à se battre… Il s’agenouilla devant elle et sortit son membre, aussi raide et dur qu’un pilier de marbre, puis l’enfonça lentement dans le corail nouvellement réparé de la jeune humaine.
— Qui t’as appris ça ? lui demanda Śimrod en lui mordillant l’oreille, suffisamment près de son visage pour avoir envie de le regarder, mais suffisamment loin pour ne pas le faire.
Comme elle gardait le silence, il ajouta :
— Réponds. Je t’autorise à parler quand je te pose une question.
— La maison de plaisirs, Seigneur. C’est ainsi que nous devons attendre le client.
Sa voix était chaude et rauque. Elle déclencha en Śimrod un élan de passion, et il s’enfonça en elle plus profondément encore. Il la sentait palpiter autour de lui, trembler comme une jeune vierge. Et pourtant, elle ne poussait pas un cri.
— Je vois. Tu verras que je ne suis pas un mauvais maître. C’est la première fois que j’ai une esclave, et je crois que j’aime ça.
L’aslith lui jeta un regard bref, coupant comme un rasoir. Encore une fois, ce regard minéral émoustilla Śimrod. Tendant les bras et emprisonnant les siens, il se lança dans une série de va-et-vient effrénés, qui laissa la femelle presque incapable de marcher. Heureusement, elle était solide. En sonnant le sluagh qui la ramena, Śimrod se promit qu’il ferait plus attention à l’avenir.
Mais le lendemain, ce fut pareil. Il n’avait pensé qu’à ça toute la nuitée, et lorsqu’on lui amena au petit matin, réparée et adornée de frais, il s’en empara avec encore plus de brutalité. La fierté de Śimrod l’empêchait de se livrer à ses plus bas instincts : il aurait voulu la prendre par-derrière et éprouver sa soumission et son stoïcisme, mais alors, cela aurait été avouer qu’il était aussi bestial que les orcs. Il préféra attendre une occasion de la punir, tout en tremblant à l’idée que cela arrive un jour.
Pendant qu’il se livrait au coït avec son esclave humaine, Amarië restait enfermée dans ses appartements, à chouchouter sa portée. Śimrod avait hâte de la débarquer. Sa pire peur, c’était qu’elle le surprenne avec l’aslith, ou qu’elle mette bas sur son cair de petits hennil à la peau noire, qui couraient partout sur le pont. Par chance – ou malchance – le voyage se poursuivait, et la Cour d’Hiver se rapprochait.
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