Soixante-sept
Ça fait un bail. Attendez que je me rappelle. Vous voulez vraiment que je vous raconte tout ça ?
Je me souviens que c'était à Paris. Quel arrondissement ? Est-ce que je sais, moi ? J'étais complètement barjo, à c't'époque. Si je prenais de la drogue ? Y a pas de doute, mais ne me demandez pas quoi. On fumait tout, même le papier peint avec du persil, c'est dire.
Je crois que c'est le cinquième. Mais j'ai perdu la mémoire avec mes cheveux. Vous avez vu mon crâne ? C'était la jungle de poils, là-haut, monsieur l'agent. Les filles faisaient la queue pour toucher ce monument frisé, je vous jure.
Qui était là?
Bah, il y avait Bernadette. celle-là, c'était ma préférée. Plutôt chouette, je dirais. C'était la seule qui avait osé nous introduire à d'autres membres de sa famille qui venaient direct de Grasse. Y'avait sa cousine, qu'on surnommait l'ange avec son allure divine. Et son cousin, qui était tout à l'opposé, voyez, genre malsain. En fait, un vrai bon à rien.
Mais non, je ne me souviens pas de leur nom. Ça changerait quoi ?
Qui? Noémie ? Ne me dit rien. Jolie ? Mais, je vous dis que j'ai un trou de mémoire, là.
Il y avait une Zoé. Alors là, celle-là toute une beauté. Si on compare avec l'autre, sa copine, la Nathalie, qui avait une moustache, je vous jure.
Qui d'autre ? Mais vous êtes décidé, vous, m'sieur l'inspecteur.
Je me souviens d'un type plutôt frivole, avec un drôle de nom ancien ... Anatole, oui, c'est ça.
Attendez, ça me revient maintenant. Il y avait trois Marie. Les "Moustiquaires", comme on les appelait.
Marie-Louise, qui posait nue pour les peintres du coin. Quelle exquise nana avec des lolos comme un duo de glaces à la vanille où je me serais bien perdu, moi.
Marie-Thérèse, c'était le contraire. Le calme plat entre son menton et l'immense Everest qui culminait avec le vide intersidéral de son nombril, qui rejoignait son cerveau lent. Obèse, vous dites ? C'est être poli.
La troisième, je crois qu'elle s'appelait Marie-Berthe, ceinture noire, experte en coups bas et en regards de travers. Elle tenait tout ça de sa tante Artémise qui avait fait les deux grandes guerres comme infirmière.
Oui, oui, j'y arrive. Vous êtes bien pressé, vous. Non, moi j'ai tout mon temps.
Des noms, des noms. On était tout un troupeau dans notre minuscule château de ville.
Ça va, ça va, je poursuis.
Je me rappelle d'Édouard qui fumait comme une cheminée, surtout des cigares cubains qu'il payait un prix de fou grâce au bons soins de son papa richard.
Et qui ne se souvient pas de Léonard et sa barbe noire sortie tout droit du 18e siècle. Il avait l'allure d'un aristo totalement parvenu. Je le détestais.
Et la cuisine? C'était l'affaire de Léontine. C'était ses quartiers entourés de barbelés, je vous jure. Fallait même pas regarder sous peine de se faire arracher les yeux. Mais son boudin, diable, c'était notre caviar du moment.
Voilà. C'est tout.
Pourquoi vous voulez savoir ce que je foutais là ? Je vous ai tout dit.
Je peux partir ?
Merde ! Vous êtes pas du genre à lâcher votre os, vous ?
Je m'occupais du téléphone. Voilà ! Vous êtes content ?
Et j'en avais rien à cirer, du téléphone. Il sonnait tout le temps et je faisais comme si je ne l'entendais pas.
Tout le monde me criait :
"Gaston, y'a l'téléfon qui son et y'a jamais person qui y répond"
C'était agaçant, à la fin. Vraiment. J'entendais toujours ces voix criardes qui m'étourdissaient. J'aurais pu en faire une chanson, vous savez. Mais, j'en ai eu marre et je me suis tiré, voilà.
Non, je ne suis pas retourné, je vous le dis, je le jure.
La dernière chose que j'ai entendue, c'est :
"Gaston, appelle les pompiers, y'a le feu !"
Non, je n'ai pas gardé le carton d'allumettes.
Oh ! Pourquoi vous me passez les menottes ?
Note : Vous avez sûrement deviné que ce bout de texte est en hommage à Nino Ferrer, inspiré de cette chanson plutôt rigolote qu'il a commise en 1967. Pauv' Gaston, maintenant l'est en prison.
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