Lettre à mon grand-père, Louis

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Papi, Pépé, Papou, Papychou, Grand-Pi ou bien encore Dadou... Ces jolis petits noms, je ne te les ai jamais donnés. Non, parce que tu n’existes pas. Enfin, c’est ce que l’on a toujours cru.

Mémé Marie n’en a jamais soufflé mot. Pourtant, malgré sa disparition qui ne date pas d’hier, ma mémé chérie a pris soin de laisser quelques traces... L’a-t-elle fait exprès ? Je dirais que oui, la connaissant. Ces indices sont discrets, mais suffisants pour celui qui voudrait vraiment découvrir qui tu es.

Il y a une quinzaine d’années, j’ai trouvé une lettre tapée à la machine. La voici :

17.11.1956

La réponse à ta carte de ce jour sera les duplicatas suivants. Je ne peux répondre à tes mensonges. En effet, tu sors de l’hôpital... mes duplicatas vont te le prouver sur-le-champ. Tu oses mentir à un tel point ? Mes parents et moi, il y a un an que nous avons compris. Mon père va s'en occuper sérieusement, vois-tu, car n'oublie pas qu'il y a mon fils. Tu as abandonné tes trois enfants, Joël ne fera pas le quatrième. J'ai été renseignée par certaines personnes du parc, en permission, qui revenaient d'Alger, et bien, c'est très joli, mais moi, je ne pardonne plus. J'élève mon fils grâce à mes parents. Joël est un enfant très intelligent, très avancé pour son âge. J'espère qu'il ne te ressemblera pas, c'est tout ce que je demande, car je ne veux pas, j'en aurais trop honte.

Tu vas être rapproché d'Alger ? Tant mieux, je te souhaite bonne chance...

L'original des duplicatas, je les garde. Plus tard, je les montrerai à mon fils, et nous ferons la comparaison entre ta dernière lettre du 17.09.1956, où tu me disais que tu étais presque mourant.

Voilà le résultat de huit années. C'est beau. Donc passe tes permissions à Alger dans ta nouvelle famille. Quant à moi et mon fils, tu t'en moques ? Eh bien, bonne chance...

À l'époque, lorsque j'ai découvert cette lettre, je n'ai pas tout compris, mais assez pour savoir qu'elle avait été écrite par ma grand-mère paternelle et qu'elle était destinée à quelqu'un de très spécial. Peu de temps après, je suis allée interroger mon père, Joël. Chou blanc. Il connaissait cette lettre, mais, comme sa mère, pas un mot. Aussi, je suis restée dans l'illusion d'un lointain grand-père.

Puis le temps a passé, et l’eau a coulé sous les ponts. Parfois, j’ai pensé à toi, et j’ai continué d’interroger mes proches. Mais à chaque fois, je n’ai récolté que des miettes d’informations. Tantôt tu étais un haut gradé militaire, tantôt un riche entrepreneur pour lequel Mémé aurait travaillé. Souvent, nous avons enjolivé l’histoire : tu étais riche, fort, imposant. Mais toujours trop lointain, insaisissable, comme un mirage. Jamais nous n’avons pu t’attraper, ni même t’effleurer. Tu es devenu un fantôme du passé de Mémé.

Pourtant, lui est toujours là : Joël, ton soi-disant fils.

Bien plus tard, après la naissance de ma fille, une idée soudaine m’a traversé l’esprit : je devais me lancer à ta recherche. Il ne m’a fallu que quelques semaines pour trouver ce que nous avions cherché en vain durant plusieurs vies. Merci, Internet. Avec frénésie, j’ai fouillé des archives, contacté divers interlocuteurs, interrogé une énième fois mon père, et même contourné certaines règles... Très vite, les pièces du puzzle se sont assemblées et je t’ai trouvé !

Ce qui me semblait impossible auparavant était devenu réalité : j’ai construit mon arbre généalogique, et tu y as désormais ta place. Pourtant, il me manquait encore quelque chose : une preuve tangible, un élément concret. J’avais l’intuition que ce que je cherchais se trouvait chez mon père. Lui, affirmatif, me certifiait que je ne trouverais jamais rien.

Bien sûr, mon caractère têtu ne l’a pas écouté.

Instinctivement, je me suis dirigée vers son meuble de télévision et j’ai saisi cette vieille boîte métallique que j’avais toujours connue et qui regorgeait de souvenirs d’antan. Sans un mot, nous nous sommes assis autour de sa vieille table en bois d’acacia et avons commencé à examiner les photos. Lui, détaché. Moi, concentrée. J’ai observé chaque relique avec minutie, retournant les images, lisant avec application les annotations.

Et puis... à la toute fin, cachée dans la couverture d’un album en cuir marron, abîmé par le temps, j’ai trouvé une lettre pliée en six. Manuscrite, cette fois-ci. L’écriture était fine, penchée... comme la mienne.

La voici :


Vierzon,
le 7.7.1952

Mon cher Louis,
Je suis personnellement étonné d'être sans nouvelles de toi depuis 2 mois que je ne t'ai vu. Je suis pourtant resté muet au sujet de mon séjour à Clermont sauf pour notre voyage aux Rioux ce qui a fait plaisir à ta mère. Je t'avais annoncé que j'ouvrais un magasin d'armes et cycles, 1 Route de Neuvy face le lavoir place du tunnel, tu vois que c'est bien placé. Voilà 15 jours que j'ai ouvert et je n'ai pas eu le temps de finir de m'installer étant débordé de vélos à réparer. Je crois que j'ai mis la main sur la bonne affaire.
Je voudrais que tu viennes passer les samedis et dimanches avec moi, tu me donnerais un bon coup de main, puis tu as plus de goût que moi, tu pourrais m'aider pour la disposition du magasin et atelier.
En plus j'ai un grand panneau en pierre où il faut faire des lettres (Armes, cycles, Motos, Vente, Réparations...).
Pourrais-tu le faire cela me ferait une belle économie. Si tu as quelques jours à prendre viens vite cela m'aiderait bien.
Au sujet de ta maman, la santé n'est pas merveilleuse, après avoir fait plusieurs radios, foie et estomac, les douleurs ne trouvent pas et elle souffre toujours. Hier soir encore, elle s'est trouvée mal avec le foie gonflé à bloc, viens un peu la voir, sans dire que je t'ai écris ou bien tu lui diras que tu es venu pour le magasin.
J'espère te lire bientôt, m'ammenant ta visite, écris moi le jour, j'irais te chercher à la gare.
Mes amitiés aux amis des Gravanches.
Je t'embrasse.
Ton père.
Pierre.

Dès sa lecture, je comprends que ce manuscrit t'était destiné, toi supposé grand-père et qu'elle provenait de ton père, donc mon arrière grand-père. Cette preuve confirme alors l'histoire que je m'étais faite depuis des semaines. Celle-ci n'est pas sans péripéties, mensonges, trahisons et autres secrets. Moi, je ne veux qu'une chose faire éclater la vérité. Cela fait près de 80 ans que ça dure, et j'en a assez.

Votre histoires, c'est la mienne et j'ai bien décidé de vous ranimer quoi qu'il m'en coûte, crois-moi.

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