Nouveau départ

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Rien dans les nuits suivantes ne démentit cette impression de sécurité que Naryl ressentait désormais. Même si la plupart des ellith continuaient à garder leurs distances, il sentait qu'elles se méfiaient moins de lui. Certaines, curieuses, l'observaient discrètement à la moindre occasion. Désireux de s'intégrer à ce nouveau clan, Naryl accomplissait ses tâches avec sérieux et détermination. Il prit l'habitude de partir chasser de son côté, armé d'un nouvel arc, fabriqué par ses soins sous la supervision de sa mère. Voir un ellon se servir d'un tel object fascinait les ellith. Les ellonil étaient connus pour chasser avec le seul recours de leurs armes naturelles : de la force de leurs corps, du tranchant de leurs griffes et de la brutalité de leurs assauts dépendaient leur prestige de mâle. Le voir y renoncer rassura les chasseresses, dont la sentinelle qui haïssait les mâles, la farouche Nivi. La souriante Nanal lui offrait des douceurs, se proposait pour lui masser le dos lorsqu'il revenait de la chasse. Quant à la jeune Yuja, son amitié avec elle grandissait, forgée par de rieuses et passionnantes explorations nocturnes. Pour la première fois, les nuages qui obscurcissaient l’avenir parurent se dissiper aux yeux du jeune ellon.

Jusqu’à ce crépuscule-là.

— Réveille-toi !

La voix sifflante de sa mère tira Naryl d’un sommeil brumeux. Le visage délicat de Naïhryn au-dessus de lui, était éclairé par une lueur dorée filtrant au travers des branches tressées. Le petit soleil.

Naryl ferma vite les paupières. Mais sa mère le secoua de nouveau.

— Lève-toi ! Vite ! Tu dois fuir.

Naryl gémit, secoué comme un prunier, se débattant encore dans les brumes du sommeil. Pourquoi sa mère le réveillait-elle aussi tôt ? D’habitude, il ne sortait pas du khangg avant que la lune soit bien haute.

— Ce n’est pas l’heure, mère… tout le monde dort et le soleil n’est pas couché !

— Justement. C’est le moment.

Naryl ouvrit les yeux. En se redressant, il sentit quelque chose de suintant et d’épais, qui mouillait désagréablement son panache et son ventre. Autour de lui, l’air était envahi par une odeur à la fois sucrée et épicée, qui formait comme un nuage diffus dans leur khangg.

Naïhryn avait l’air affolée. Elle s’emparait des fourrures et des soies tissées, les roulait en boule, et recouvrait le tout de branches de sapinaire, frénétiquement.

— Qu’est-ce que tu fais ?

Sa mère releva son regard opale sur lui.

— Les fièvres, Naryl. Elles sont venues ! Tu ne peux pas rester. Lorsque les autres se réveilleront…

Les fièvres pourpres. Ce phénomène tant redouté, qui faisait rougir les très jeunes ellith et dont les plus âgées ne parlaient qu’en murmurant. Cette maladie qui rendait les mâles fous de sang et de combats, assoiffés de femelles et de saillies, prêts à tuer tout ce qui se dressait entre eux et l’objet de leur désir brûlant. L’infamie pour laquelle on tenait les mâles éloignés, et qui avait poussé Sirath, Nanal, Nivi et les autres à vivre ainsi, loin de tout représentant de l’autre sexe.

Le jeune ellon bondit sur ses pieds, se cognant aussitôt au plafond du khangg. Il se frotta le crâne maladroitement et baissa les yeux sur son panache : l’opulente queue de fourrure était littéralement collée à son ventre par une substance visqueuse et nacrée.

— Qu’est-ce que…

— C’est ton fluide de mâle. Il a commencé à couler cette nuit, pendant que tu dormais. Cela ne s’arrêtera pas avant la fin de ton cycle. Tu dois partir, Naryl !

Le jeune releva un regard affolé sur sa mère.

— Encore ? Mais où ?

— Notre dernier gîte de chasse. Cache-toi dedans.

Une inquiétude diffuse opprima le cœur du jeune ellon. Le dernier gîte qu’ils avaient occupé lors de leur périple était loin. Y revenir, c’était se rapprocher du territoire des mâles sans clan.

— Je viendrais t’apporter un peu de viande, ajouta Naïhryn. Mais je ne pourrais pas rester avec toi, Naryl. Je suis une femelle, et tu es un mâle pubère.

— Et alors ?

— Et alors, ma présence aggraverait ton état. Les fièvres te rendront fou. Tu dois rester caché et attendre que tes feux s’épuisent.

À contrecœur, Naryl entreprit de ramasser ses affaires. Sa mère avait raison. Son membre semblait avoir doublé de volume et il palpitait sourdement, lourd et dur comme de la pierre. Ses veines lui paraissaient remplies de lave en fusion. Il ne se sentait pas prêt à saigner ou à saillir tout ce qui bougeait – loin de là – mais il devait reconnaître qu’il n’était plus dans son état normal.

Naïhryn sortit la première, pour vérifier que tout le monde dormait. Il restait la vigilante Nivi, bien sûr… Naïhryn se proposait d’attirer l’attention de la gardienne, pendant que son fils sortait de la grotte.

Juste avant de sortir, elle lui tendit une petite poche remplie d’oreilles d’arbres fluorescents.

— Prends ça. Je les ai ramassés et séchés en prévision de ce jour. Lorsque tu auras trop mal, que la pulsion se fera trop forte et l’envie trop impérieuse, prends-en un. Cela te calmera pour un temps.

Naryl leva ses yeux noirs sur sa mère.

— Je me débrouillerai, lâcha-t-il à mi-voix en chargeant son nouvel arc sur son dos. Je préfère que tu te tiennes loin du territoire de ces sans clan qui ont enlevé Taryn. À moi, ils ne feront plus rien, maintenant.

Naïhryn acquiesça en silence, mais n’eut pas le temps d’ajouter grand-chose. Déjà, la voix claire de Nivi retentissait. Naryl n’attendit pas pour se glisser sur le côté, dans l’ombre d’un arbre.

— Qui va là ?

— Ce n’est que moi, Nivi. Je vais à la rivière.

La jeune elleth sauta de son perchoir, souple comme une jeune biche. Puis elle releva son masque d’un geste gracieux. Naryl résista à la tentation de regarder son visage, trop occupé à gagner la lisière des arbres : il ne la vit pas plisser le nez face à sa mère.

— Quelle horreur ! pesta la sentinelle en se penchant sur le tas de fourrures que portait Naïhryn. Ça pue le luith de mâle !

— Oui, je me suis faite surprendre par un ellon enfiévré dans la sylve la nuit dernière. J’allais laver ces fourrures, qu’il a souillées de son jus.

Nivi se raidit.

— Il t’a prise ?

— Oui, mais il a entendu Naryl revenir, et pour éviter un combat, ce mâle m’a laissé repartir.

— Tu as eu de la chance ! Heureusement que Naryl est aussi impressionnant, physiquement. Impossible de deviner qu’il est castré, à moins de s’en approcher !

— J’ai de la chance d’avoir mon petit, c’est vrai. Naryl est l’étoile qui illumine mon existence.

— C’est vrai que ton fils n’est pas comme les autres. Lui, il aurait mérité de posséder un clan. Sauf que c’est sûrement ce qu’il a subi qui l’a rendu si gentil !

Naryl, un pincement au cœur, profita de la conversation pour se hâter vers la lisière. Il devait traverser une clairière dégagée, mais sa mère s’était placée de façon à ce que Nivi lui tourne le dos.

À la lisière de la forêt, Naryl se retourna, à demi abrité par les branches. Sa mère, qui discutait avec la farouche femelle, ne lui jeta pas un regard.

Il n’attendit pas qu’elle lui prête attention : une demi-seconde, un seul regard, et Nivi l’aurait remarqué. De nouveau, le jeune mâle s’enfonça dans l’inconnu.

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