Retour au clan
Ce fut Daehel, fidèle à son poste, qui les repéra le premier.
— Un wyrm et un hurleur noir ! cria-t-il à un tout jeune mâle qui patrouillait en bas.
Cette dernière lança l’arghad qui était le cri de ralliement de sa guilde. Ishnyr déboula de la forêt, juste à temps pour voir Naryl et Yirgho atterrir.
Il posa immédiatement un genou à terre, baissant la tête avec déférence.
— Ard-ael. Te voici de retour.
Naryl, qui venait d’aider Yuja à glisser du dos du wyrm, se tourna vers lui.
— Ishnyr. Comment va le clan ?
— Tout va bien. Comme tu le vois, nous avons de nouvelles recrues, sourit-il en désignant le maigre adolescent à sa gauche. C’est Lezenn. Un bon à rien, mais plutôt rapide avec un arc.
Le dénommé Lezenn attendait en silence, visiblement mort de peur. Naryl lui lança un sourire franc.
— Bienvenue parmi nous, Lezenn.
Le jeune plongea en avant, les oreilles basses.
— Je suis honoré, ard-ael ! clama-t-il de la voix discordante du mâle juste avant sa mue.
Ishnyr éclata de rire.
— Allez, file ! Tu me fais honte.
Lezenn disparut sans demander son reste.
— Il avait peur que tu ne l’acceptes pas, ricana Ishnyr. J’ai eu beau lui expliquer que c’était le conseil des ellith qui décidait, il n’a rien voulu savoir... pour lui, un ard-ael est un ard-ael ! Cette nuit, pour la première fois, il dormira sur ses deux oreilles.
Naryl hocha la tête en silence. Le chemin serait sans doute long, pour certains hënnil.
— Je dois voir Morowë. Elle est au gîte ?
— Oui. Si tu y vas, peux-tu rapporter ma chasse du jour pour elle et Nanal ? Dis-leur bien que je ne pourrais pas rentrer ce soir.
Naryl jeta un regard oblique au chasseur.
— Mais tu pourrais leur dire toi-même... attends... oh.
Naryl venait de comprendre. Ishnyr était désormais le mâle attitré de Nanal et Morowë. Il lui tapa sur l’épaule, complice.
— Tu as réussi à te faire pardonner...
— De Nanal ? Jamais. Elle prend un malin plaisir à me torturer... Surtout depuis qu’elle a mis au monde sa portée. Il me faudrait deux nuits en une pour réussir à satisfaire tous ses désirs. Je la savais déjà insatiable, mais il n’y a pas que ça. Elle est également très capricieuse. Elle m’interdit de regarder les autres femelles bien sûr, et de toute façon, je n’ai pas le temps pour ça.
Mais le chasseur souriait, une tendre lueur dans ses yeux effilés.
Il l’aime, comprit Naryl. Et il se sentit rassuré.
— Les petits étaient de moi, précisa Ishnyr. Il faut que tu viennes les voir. Quatre femelles, et un mâle. Ils sont à la caverne. Ils sont encore au panier, et leur mère ne me laisse pas m’en approcher... elle est plus protectrice qu’une wyrm avec ses œufs !
Nanal avait enfin obtenu ce qu’elle voulait. Une portée de petits, et un mâle tout entier dévoué à son service.
*
— Je trouve que Nanal a pardonné à Ishnyr trop vite, bougonna Yuja sur le chemin. Elle aurait dû le punir plus.
Yirgho progressait derrière eux, deux daurilim dépecés posés sur le dos.
— On ne peut pas juger de ce qu’il se passe entre eux, argumenta patiemment Naryl. Nanal voulait un mâle, et elle aime ce genre de mâle. Ishnyr lui a offert son cœur, il s’est allongé à ses pieds. Pour un guerrier fier et arrogant comme lui, c’était beaucoup.
— Mais il l’a violée, répliqua Yuja. Je le sais. J’étais là. J’ai tout vu.
— Est-ce que c’est vraiment la saillie qui a fait du mal à Nanal ? s’enquit Naryl.
Yuja réfléchit. Elle revit la plantureuse femelle, et la façon dont elle avait chevauché les guerriers de Rhan cette nuit-là.
— Non. Comme tu l’as dit, Nanal aime les accouplements un peu... sportifs. Mais Ishnyr s’est moqué d’elle. Il l’a traité de sac distendu, tout ça parce qu’elle était expérimentée, et sûre de son désir...
— Il l’a traitée ainsi car elle l’impressionnait, qu’elle remettait sa vision du monde en question. Mais cette nuit-là, Nanal l’a envoûté, et désormais, il l’aime et la respecte plus que sa propre vie. Ne juge pas les choix des autres, Yuja. Les nôtres leurs sont peut-être tout aussi incompréhensibles.
Yuja saisit le bras de Naryl et le serra contre elle. Il l’avait contredite, mais ce genre de remarque, c’était pour ça qu’elle l’aimait.
— Je ne pense pas qu’on me juge, dit-elle, taquine. Je pense que tout le monde m’envie, parce que j’ai été choisie par l’ard-ael !
— Et ne soit pas si satisfaite de toi, Yuja. Ton mâle est un demi-stryge bizarre : cela aussi, tout le monde le sait !
Yuja éclata d’un rire joyeux, aussitôt imitée par Naryl. Mais la caverne qui leur servait de gîte était déjà là. Devant cette vue familière et rassurante, Yuja sentit son cœur s’emplir de chaleur. Elle était revenue chez elle. Avec Naryl.
Nanal et Morowë se trouvaient justement dans la clairière, en train de diriger les travaux de tannage des cuirs effectués par une dizaine de hënnil, mâles et femelles mélangés. Naryl contempla d’un œil satisfait ces nouvelles recrues. Une bonne partie venaient du clan de Rhan — les petits mâles —, mais les femelles, elles, venaient du clan du tuyal. Finalement, Endhuu les avait laissés partir.
Morowë se releva, massant ses reins douloureux. Puis ses yeux tombèrent sur Naryl et Yuja.
— Ah, vous voilà. Ce n’est pas trop tôt ! On a du travail, ici. Avec tous ces nouveaux...
Naryl baissa les yeux sur son énorme ventre : elle aussi attendait une portée.
— Eh bien... toutes mes félicitations, remarqua-t-il d’un ton joyeux. Je m’étonnais que tu laisses Ishnyr te nourrir, toi, la meneuse de la guilde de chasse...
— Ishnyr ? Ce paresseux de mâle ! Où est-il ? Ça fait deux nuits que je l’attends !
— A la lisière, en train de patrouiller. Il m’a dit de te dire qu’il ne pourra pas entrer ce soir. Mais il m’a dit de vous apporter ça.
Nanal s’était également rapprochée, l’air de rien.
— Où est Ishnyr ? répéta-t-elle devant un Naryl incrédule.
— Encore là-bas... il doit monter la garde ce soir.
— Jamais là où on a vraiment besoin de lui, grogna Morowë.
Naryl nota le regard aigu que lui jetait Nanal.
— N’oublie pas qu’Ishnyr m’appartient, clama-t-elle de sa voix cristalline. Je ne fais que te le prêter.
— Vous vous partagez Ishnyr ? s’enquit Naryl, de plus en plus étonné.
— Eh oui. J’ai dit qu’il était paresseux, mais quel mâle ! s’exclama Morowë. Il connait son affaire, dans un khangg : les femelles veulent toutes l’essayer. Mais il a juré allégeance à Nanal, et c’est elle qui l’a la plupart du temps. Il est fou d’elle, à ce qu’on dirait... enfin, il va avoir un peu de répit, maintenant que tu es revenu. Je dois dire que je ne suis pas mécontente de te voir : cela fait deux nuits que ma portée réclame sa pitance !
Naryl se mordit la lèvre, ennuyé.
— Justement, je voulais vous annoncer que...
Yuja s’avança, résolue.
— J’ai décidé que je ne prêterai pas Naryl pour l’instant. Pas avant mon initiation, en tout cas.
Morowë lui jeta un regard faussement neutre.
— Ah ? Bon. Heureusement, il y a les autres mâles. Ce Ythil n’est pas mal. C’est plutôt excitant, cette façon de chevaucher les wyrms, les jambes bien écartées... Et ce panache coupé fait ressortir ses fesses musclées.
Naryl haussa un sourcil.
— Ythil est venu ?
— Il est venu, accompagné de quelques mâles plus jeunes et d’une bonne dizaine de femelles. Ils ont installé leur camp non loin. Le conseil t’attendait pour statuer sur leur sort. Mais j’ai de plus en plus de mal à empêcher nos chasseresses de reluquer ces jeunes mâles aux fesses glabres. On a déjà accepté leurs sœurs. La plupart sont en chaleur... Daehel est déjà épuisé et Eshm a fui dans la forêt. Cela fait deux petites lunes qu’on ne l’a pas vu. Je suppose que c’est normal, pour un rêveur... enfin. Du moment qu’il est là au prochain conseil !
Naryl hocha la tête. Son travail allait s’avérer plus compliqué que prévu.
— Je vois. Quoi d’autre ?
Morowë croisa les bras.
— Rien de spécial. Quand donc aura lieu ton initiation, Yuja ? s’enquit-elle, l’air de rien.
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