Le Pardon

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Il y a une jolie histoire à propos du pardon. Un homme est furieux que ses enfants passent tout leur temps à méditer – ne pas travailler – auprès du Bouddha. Pour dire comment il voit les choses à ce rêveur, il va le voir. Seulement, sitôt qu’il se trouve devant lui et malgré les paroles qu’il avait ruminées sur le chemin, il perd tous ses moyens et ne peut sortir aucun son de sa bouche. Alors, fou de rage, il crache à la figure de Bouddha, qui, pourtant, n’a de cesse de sourire.

Une fois rentré chez lui, l’homme ne peut pas effacer ce sourire de sa mémoire. Comment avait-il pu avoir une telle réaction ? Il ne parvient pas à dormir, il réalise à quel point son acte fut cruel. Le lendemain, il retourne voir Bouddha en espérant se faire pardonner. Le Bouddha refuse. Tous ses disciples sont ébahis de la dureté de leur maître qu’ils n’ont toujours connu que généreux et plein de compassion. Voyant cela, Bouddha s’explique : « je ne peux pas te pardonner, car la personne qui a commis cet acte n’est plus là. Je ne la vois pas ici. Et moi non plus je ne suis pas celui d’hier. »

Voilà l’histoire. On comprendra évidemment que c’est en disant qu’il ne peut pas pardonner que Bouddha, en fait, pardonne.

Envisageons maintenant le sujet sous un autre angle : celui de l’étymologie. Pardonner, par-donner, signifie en réalité « donner tout entier, remettre », le préfixe ‘par’ voulant dire : « d’un bout à l’autre, entièrement », comme dans « parfait » (fait jusqu’au bout) ou « parcourir » (mener une course d’un bout à l’autre).

« Donner tout entier », donc. Donner quoi ? Vraisemblablement, l’objet de ce qu’on a à pardonner. En général, on pardonne un mal qu’on nous a fait. Ainsi, on peut dire que pardonner, d’une certaine manière, c’est rendre le mal qu’on nous a fait. Personnellement, je crois que tout mal se résume à une erreur. Faire mal, mal faire. Ainsi, il serait illégitime de rendre le mal à la personne qui nous l’a fait, puisque c’était une erreur. Mais alors, à quoi le rend-on ? Pour moi, à sa nature d’erreur. De la sorte, on se débarrasse soi-même de ce mal, et on en débarrasse également l’autre, ce qui amène une situation où le mal est comme n’ayant jamais existé, et rapproche la question du pardon de celle de l’oubli. Seulement, c’est un oubli ambigu, car comme dans l’histoire ci-dessus, la personne qui oublie n’est pas tout à fait la même que celle qui a subi le mal, elle est transformée par le "repentir" de l’autre.

Mais une question se dresse : quelle est la place de l’autre dans le pardon ? Peut-on pardonner quelqu’un qui ne reconnaît pas son erreur ? Le langage lui-même est ambigu sur cette question, car on entend aussi bien « pardonner quelqu’un » que « pardonner quelque chose à quelqu’un ». Soit la question de l’autre dans le pardon est en quelque sorte secondaire, soit au contraire elle est principale, et même exclusive. C’est dire jusqu’où va l’ambiguïté. Mais, selon l’étymologie, que signifierait pardonner, par-donner, quelqu’un ? Donner quelqu’un tout entier ? Je crois que dans cette proposition, on peut entendre le verbe « donner » comme au sens familier qu’il prend dans « ça donne quoi ? » C’est-à-dire que pardonner quelqu’un, ce serait le rendre, le faire devenir entier, le soulager de la brisure, de la fragmentation, qu’il a endurée à commettre l’erreur en question. Ceci seulement s’il a lui-même reconnu son erreur. Je ne veux pas dire que celui qui a subi le tort doit faire expier son "bourreau" avec force remontrances et culpabilisation, mais seulement que si celui-ci ne reconnaît pas son erreur, le pardon lui est inaccessible.

Qu’en est-il finalement de cette drôle de collaboration qu’est le pardon ? Celui qui est lésé peut-il être soulagé même si le fauteur ne se reconnaît pas comme tel ? Je crois que oui, mais qu’alors cela lui demande beaucoup plus de travail, et que le fauteur, s’il doit continuer de le fréquenter, lui devient une personne étrange, presque impossible, aucune et multiple tout à la fois.

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