Ninon se détendit à mesure que la soirée avançait. Dans un joyeux foutoir, elles burent du vin, partagèrent avec gourmandise la raclette et finirent avec le gâteau préparé par Ninon. Chacune y alla de son compliment et Audrey ne manqua pas d’adresser un clin d’œil à Ninon. Comme à son habitude dès que la gêne la gagnait, elle esquissait un sourire en détournant son regard.

Elles enchainèrent avec un jeu d’action/ vérité rapporté par Alexandra. Chacune à leur tour, elles se confessèrent et toutes jouèrent le jeu volontiers. Ninon se surprit à rire sincèrement et s’étonna de la facilité qu’elle avait d’être à l’aise.

Ninon ne se sentait ni exclue du groupe, ni en retrait, et encore moins ignorée par Audrey. C’était bien la même Audrey qu’elle connaissait, du moins l’un des deux visages qu’elle lui connaissait. C’était la version attachante d’elle, celle qui attirait les regards, qui appelait à l’aimer plus fort.

Ninon observait Audrey rire aux éclats entre Marine et Chouquette et l’espace d’un instant, elle sût qu’elle ne pourrait pas l’aimer plus fort qu’elle ne l’aimait déjà. Elle posa sur elle le même regard qu’elle portait à ses propres enfants. C’était un amour inconditionnel qui l’amenait à accepter toutes les déceptions, à endurer les frustrations, à calmer les attentes. Peu importait ses propres désirs, Audrey était faite pour capter la lumière.

— Hey Ninon, tu dois répondre ! Qui a déjà était surprise en pleine action par un inconnu ?

Trois verres de vins se levèrent de concert, dont celui de Ninon. Elles burent une gorgée avant de raconter chacune leur tour l’anecdote.

La soirée s’acheva dans le même esprit. Elles quittèrent la salle à manger en prédisant une belle gueule de bois pour le lendemain.

— Ça craint de vieillir les filles, plaisanta Alexandra. Avant je pouvais tenir toute la nuit et enchainer avec le boulot. Depuis que j’ai passé le cap des trente ans, c’est fini les conneries. Je suis cla-quée. Je vais mettre une semaine à m’en remettre.

— Je veux l’endurance de mes vingt ans là ! Maintenant ! renchérit Audrey en s’agrippant à la rampe de l’escalier.

— Je ferai la distribution des nurofen demain. J’ai prévu tout une boite au cas où, proposa Ninon sur leurs talons.

— Wahouu ! C’est à ce genre de détail que l’on voit que tu es une maman, s’extasia Alexandra.

— Parce qu’une maman se résume à ça ? tiqua Chouquette.

Ninon ne prit pas personnellement la remarque d’Alexandra et celle de Chouquette ne la surprit pas non plus. De toutes les filles, c’était finalement elle la plus réservée. Elle souriait peu, avait un comportement très posé, loin du grain de folie qu’elle s’imaginait d’elle. Elle la trouvait presque mal à l’aise au sein du groupe.

— J’ai toujours une trousse à pharmacie sur moi… J’ai aussi du citrate de betaine pour celles qui veulent. Après un tel repas, ça aide à bien dormir.

— Je rectifie, c’est à ça que l’on voit qu’elle est plus mature que moi.

— Si tu le dis… Allez, les filles on se voit demain matin, déclara Chouquette avant de s’engouffrer sans sa chambre.

Ninon envoya un sms à Lucas après une rapide toilette. Ses paupières étaient lourdes étaient trop lourdes attendre sa réponde. Au petit matin, son premier geste a été d’attraper son téléphone posé sur la table de chevet. Elle vit un message d’Audrey qui lui demandait si elle était réveillée. Elle lui répondit aussitôt. Dans les secondes qui suivirent, elle lui demanda si elle pouvait la rejoindre dans sa chambre.

Ninon se leva, alla se brosser les dents et quitta sa chambre en prenant la peine de marcher sur la pointe des pieds pour ne pas faire craquer le parquet ancien. Toute la maisonnée semblait endormie. Par une immense fenêtre d’au moins deux mètres de hauteur, une lumière douce pénétrait le large couloir desservant la chambre d’Audrey. Ninon frappa deux légers coups à la porte et rentra sans attendre de réponse. La chambre était encore dans la pénombre. Audrey dormait toujours dans le noir absolu et avait l’habitude d’emporter un masque de nuit.

Ce n’était pas par coquetterie de sa part mais bien à cause de ses problèmes de sommeil. Elle ne parvenait jamais à dormir correctement la première nuit dans un lieu inconnu.

Ninon s’approcha du lit et entendit des gémissements.

— Je suis là, souffla d’une voix tremblotante Audrey.

— Mais tu pleures ? Tu n’as pas dormi ? s’inquiéta aussitôt Ninon, qui s’allongea prés de son amie.

Ninon entoura de ses bras son buste et Audrey nicha sa tête contre sa poitrine. Ninon la sentait renifler et tressauter mais elle s’employa à lui caresser d’abord son bras de haut en bas, puis enfonça sa main dans sa volumineuse crinière pour masser son crâne. Elle sentit le corps d’Audrey se relâcher petit à petit.

— Non, je n’ai pas réussi. Je n’arrivais pas à mettre mon cerveau sur pause. Ça m’a angoissé. Je suis épuisée et puis après j’ai culpabilisé parce que je ne voulais pas gâcher le week-end que vous aviez préparé, et je n’arrêtais pas de me dire « et si tu es de mauvaise humeur demain à cause du manque de sommeil ? » et « si tu t’endors au restaurant ? ». Tu vois, ça ne voulait pas s’arrêter. J’ai appelé Jim mais il n’a pas réussi à me calmer. Et là.. là.. je suis épuisée et dégoutée pour vous. En plus je ne sais pas ce que vous avez prévu et même si je veux garder la surprise, c’est compliqué à gérer avec mes angoisses.

— Mais non, mais non, ma chérie, il ne faut pas. Déjà, tu n’as pas à culpabiliser. Je sais que tu es comme ça et que la première nuit est toujours compliquée. On sera surtout désolée pour toi, pas pour nous. Et puis, je te rassure, on a prévu des choses très cool. Le planning n’est pas chargé. Si tu as besoin de faire une sieste, tu peux. Si tu veux te reposer avant le resto, tu peux. Vraiment. On est en mode tranquille. On se cale sur ton rythme.

— Toi tu le sais, mais pas les autres. Elles ne savent pas que je suis..enfin tu sais. C’est pour ça que j’ai t’ai demandé de venir, parce que toi tu comprends.

Ninon berçait Audrey comme elle aurait pu bercer sa propre fille, elle continuait à caresser son visage. Par-dessus, sa crinière, elle vit les yeux clos de son amie, le visage détendue.

Discrètement, quelques larmes roulèrent sur le visage de Ninon. A cet instant précis, Ninon comprit la place qu’elle avait dans la vie d’Audrey. Elle était l’amie qui connaissait son autre visage, celle qui comprenait sa part sombre, qui n’avait pas peur de parcourir ses labyrinthes intérieurs.

Cependant, Ninon désirait plus mais elle se tût, par peur de réclamer une attention qu’Audrey n’était pas disposée à lui offrir.