GAME OVER
Biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip...
Heure du décès 14 heures 43.
Ainsi se termine ma vie dans un hôpital comme la plupart des gens. Déjà je flotte au dessus de mon corps et des chirurgiens, est-ce mon âme qui s'élève ou le délire de mon cerveau à l'agonie ? Je me sens en paix après les souffrances et l'angoisse de mon ultime bataille sur Terre. Je commence une ascension vers le ciel : le toit de l’hôpital, les rues, la ville, les fleuves, la plaine, le pays entier, me voici dans les nuages. Je file à toute allure, toujours plus haut dans l'univers et les étoiles. Si c'est la fin, mon cerveau termine ma vie en apothéose. Non ce n'est pas fini, j'ai une âme, je le savais !
Je suis sûr d'aller au ciel car j'étais croyant : j'allais à l'église, je priais, je suivais scrupuleusement les règles de ma religion. Sûr que je fais partie des élus, je vais sous peu rencontrer mon Créateur, quelle excitation !
Je me trouve emporté dans un trou noir, tournoyant dans la spirale à une vitesse infinie. Soudain je pénètre dans une sorte de sas blanc.
De l'autre côté il n'y a plus ni matière, ni lumière, ni temps, ni bruit, juste un monde d'esprits. Les cinq sens n'existent plus, l'univers n'existe plus, et pourtant j'existe, enfin mon âme existe, impossible pour moi de vous la décrire à vous mortels car vous vivez dans un monde de matière. Les âmes communiquent sans se parler ni se toucher. Nous communions de façon infinie et partageons tout.
De ma mémoire humaine, je ne conserve que quelques bribes : seulement ce qui a de l'importance pour une âme : mes premières sensations de bébé, les sentiments que j'ai éprouvés, les blessures de l'âme les plus atroces, l'amour de mon chien, quelques instants de bonheur avec mes parents, mes déceptions, mes amours, mes passions... Je ne sais même plus mon nom. Mais où suis-je donc ?
Je me concentre et parviens à me ressaisir : l'humain que j'étais n'est pas tout à fait mort en moi. Les âmes rient à leur manière de mes pathétiques tentatives pour rester qui j'étais. Me voilà qui reprend forme humaine. Une âme impossible à mesurer tant elle est immense et puissante se mélange à mon corps éthéré et commence à me parler :
- GAME OVER !
- Comment ça ? Oh Dieu tout puissant, je sais que c'est toi ! Je suis enfin avec toi, j'ai toujours cru en toi ! Merci de m'accueillir en ton paradis !
- T'inquiète pas vieux, tu vas mettre un certain temps à redevenir qui tu es vraiment, 73 années de vie on finit par y croire n'est-ce pas !? En tous cas, bravo ! Tu as fait un bon score cette fois, meilleur que la dernière fois où tu étais fourmis.
- Mais je ne comprends pas, de quoi parlez-vous ?
- De ta dernière partie, moi j'ai perdu avant toi : je suis né indien en Amazonie et je me suis fait tuer par un mercenaire brésilien à l'âge de 22 ans.
Une autre âme s'emmêle aux nôtres :
- Hé un revenant ! J'avais hâte de te revoir ici, c'était bien nous deux là-bas sur Terre !
- Mais qui es-tu ?
L'âme prend la forme de Sultan, le meilleur des chiens de toute mon existence avec qui j'ai eu une réelle complicité et un amour extraordinaire. Sa mort m'a brisé le cœur.
- Sultan !
- Oui c'était mon dernier personnage. Ça te dit une nouvelle partie ?
Cette fois tout est confus, je ne sais plus trop qui je suis mais que m'arrive-t-il, je me révolte une dernière fois :
- STOP ! Je veux savoir où on est là, c'est quoi ici, le paradis n'est-ce pas ?
Sultan répond:
- Non t'inquiète pas ça va bientôt te revenir, tu dois réapprendre à être une âme, toutes tes parties te seront en mémoire tu verras plus clair.
- Mais de quelles parties parlez-vous ?
- Les parties ! La vie est un jeu, on crée un univers et on s'y projette dedans, on choisit une planète, une créature vivante, on naît un peu au hasard et puis... on vit ! C'est le pied la vie, les sensations, les sentiments, les sens, la douleur, le plaisir, la tristesse, le bonheur, l'amour, la haine... Tiens là j'ai joué un chien mais j'ai aussi été un pirate d'astronef dans la galaxie Andropique, une méduse dans un océan de Trwksgkk et sur Terre j'ai atteint une fois le podium des Âmes en étant Napoléon. Je me suis bien amusé lors de cette partie. Toi t'as déjà gagné le trophée Poésie avec... attend je me souviens plus, ah oui ! le poète Horace. T'as gagné aussi sur la planète Hibernia, t'étais le dieu Ogma. T'es un champion tu sais.
- Non tu mens ! Il y a un paradis et il y a un enfer, et Dieu...
- Oh la la, dit l'autre âme à Sultan, il a joué un croyant, il va lui falloir plus de temps pour récupérer. Tiens regarde l'autre fois quand j'ai joué l'ayatollah Khomeni, n'ais-je pas mis une révolution entière de Dagobah pour accepter que je m'étais trompé pendant toute ma vie ? Non désolé vieux, pas de paradis ni d'enfer, juste nous les âmes. Dieu non plus, tu peux être Dieu si tu veux en fait, tu peux jouer aussi cette partie : créer un univers et malmener les vivants en lançant des éclairs ou en créant des tsunamis. Tu peux tout, il n'y a aucune limite, les univers sont infinis.
Cette fois mes souvenirs d'âme réapparaissent, ma forme humaine s'estompe : ça y est je me souviens de tout : toutes mes vies dans tous les univers, toutes les expériences, quand j'étais cigogne, dinosaure, esclave, empereur, cosmonaute, actrice porno, aztèque, moustique, dragon, alien...
Les copains sont heureux de me retrouver enfin. Ils me proposent de jouer la prochaine partie. Sultan a une idée :
- Les poteaux, vu qu'on a tous fait la planète terre, vous vous souvenez tous du film Star Wars ? Hé ben on va créer cet univers et aller y jouer !
- Bonne idée, alors on y va.
Aussitôt on se met au travail : on fabrique un big bang d'énergie et on façonne nos galaxies, nos soleils, nos planètes, on dissémine la vie, on crée les créatures, les lois physiques, puis on avance jusqu'à la période qui nous intéresse. Une fois prêt, nos âmes se préparent à passer dans le tourbillon pour naître, je dis à Sultan :
- Bon c'est moi qui joue Dark Vador !
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