Chapitre 6

7 minutes de lecture

Comme la maison Gallimard me l'avait promis, j'allais donc participer à la foire du Livre de Brive. Les organisateurs s’étaient montrés très enthousiastes. Les journalistes s'arrachèrent la moindre de mes interventions. Je trouvais cela assez hypocrite. Les organisateurs qui m’avaient toujours refusé avec un mépris assumé, voilà qu’ils me déroulaient le tapis rouge.

Jusqu'à présent, mon rapport à la presse avait été plus que frustrant. Les commentaires sur mes textes se limitaient à un court paragraphe sans grande inspiration dans le magazine local, « Brive notre ville », et de surcroît seulement en version web, une pige que personne ou presque ne lirait.

Mais j’éprouvais tout de même une grande joie à l'idée de participer à cet événement. C’était une véritable revanche. Je ressentais une fierté supérieure encore à celle que j'avais ressentie lors de la remise du prix Goncourt. Il ne manquait qu’une chose pour être au summum du bonheur : l’avis de Katherine. Parce que malgré la gloire présente, il me semblait que je n'avais cherché à être publié et vivre cette aventure que pour elle, essentiellement pour lui plaire, pour lui montrer que je n'étais pas un raté.

L’avant-veille du lancement du salon, cela tournait dans ma tête jusqu’à l’obsession. Il fallait que j’aille voir Katherine et que je lui déclare ma flamme. Seul cela comptait à mes yeux : son avis, son amour… Je passai par un grand moment de doute. Fallait-il aller la voir ou devais-je attendre comme je l’avais fait depuis trois ans, espérant sans illusion qu’elle fasse le premier pas ? Jusqu’ à présent, je n’avais pas réussi à dépasser ma peur. Mais ce livre, ce prix, tout cela me permettait de plus croire en moi. Et même si j’étais mort de trouille, je décidai de franchir ce pas gigantesque, afin de briser cette douloureuse distance qui nous séparait.

Je pris mon vieux pardessus et sortis affronter la pluie et le froid de ce mois de novembre pour rejoindre celle que j’aimais. J’espérai qu’elle pardonnerait mon audace et le fait que je vienne sonner à sa porte à vingt-et-une heures passées alors qu’elle m’avait clairement dit qu’elle voulait séparer le travail de sa vie privée. Je restai cinq bonnes minutes sous la pluie battante, hésitant à appuyer sur la sonnette.

J’étais saisi d’une grande angoisse qui semblait me paralyser. Je pensai à rentrer lâchement chez moi, mais poussé par une force inconnue, je finis par sonner.

Katherine vint m’ouvrir. Elle portait une serviette de bain sur ses cheveux. Peut-être tombai-je mal ? Elle sortait juste de la douche. Mais à ce moment-là, je la trouvai plus magnifique que jamais. Elle parut surprise mais ne m'invita pas à entrer, me laissant sur le pas de la porte.

-Vous savez que je n’apprécie guère qu’on vienne chez moi de la sorte, me lança-t-elle d’une voix glaciale. Vous avez certainement quelque chose de très important à me dire.

-En effet pour vous dire ce que j’ai à vous dire, il fallait que je me déplace jusqu’ à vous… je …qu’avez-vous pensé de mon roman ?

-C’est pour ça que vous êtes venu ?

-Votre avis compte beaucoup pour moi.

-Et ça ne pouvait pas attendre demain au bar ?

-Non …Si… votre avis compte tellement pour moi …enfin je dois vous avouer que …allez je me lance : je vous aime.

Katherine sembla réfléchir pendant de longues secondes. Puis elle me lança un regard que je ne sus décrypter : un mélange mystérieux, empreint de tristesse et de colère. Mais il y avait plus que cela dans ce regard.

-Pour être honnête, j’ai détesté votre roman.

-Quoi ? !

-Oui, il est certainement très bien écrit. Mais ce n’est pas vous. Je n’y ai pas retrouvé l’écrivain touchant qui noircit des pages au fond de mon bar. Vous semblez tellement différent dans ce livre, que cela m’a déçue.

J’étais sans voix. Je me sentis idiot. Jamais je ne me serais attendu à une telle réponse. J’étais pris de vertige et d’une douleur vive. Une blessure qui jamais ne se refermerait. J’avais fait tout cela pour elle, et elle le voyait comme une trahison, ce qui était effectivement le cas. C’était un mensonge éhonté, une supercherie. Elle avait lu en moi comme personne.

Je quittai Katherine complètement brisé.

***

Le lendemain, je devais me présenter à la Foire du Livre de Brive. Mais plus rien ne comptait pour moi. J’avais picolé toute la soirée et m’étais plongé dans un sommeil de fuite, un sommeil de profonde dépression. C’est la maison Gallimard qui me téléphona à midi passé pour me rappeler qu’on m’attendait depuis deux heures déjà. Pascal était furieux. Je le sentis à sa voix. Mais à ce moment-là plus rien n’importait. Je n’essayai même pas de lui expliquer ce qui m’était arrivé. Je ne désirais qu’une chose, être seul et me perdre dans l’alcool. Il raccrocha brusquement, non sans avoir terminé par ces mots :

-Ne vous prenez pas pour une diva parce que vous avez obtenu le prix Goncourt dès votre premier roman ! La Maison a horreur de ça !

S’il savait l’image que j’avais de moi-même à ce moment-là… On était loin de l’orgueil de ce qu’il appelait une diva de la littérature. C’était tout le contraire. J’avais mal au crâne, et tout autour de moi me semblait absurde. Même l’écriture et la promotion de mon livre qui me remplissait tant de joie il y a vingt-quatre heures encore, avait perdu toute sa saveur. Je me levai donc péniblement et je me rendis à la Salle Georges Brassens sans me raser ni me laver. La gueule de bois, associée à la peine de cœur m’avaient rendu vide à l’intérieur, et je me foutais de tout. J’avais envie de tout envoyer valser.

Je me suis donc rendu au stand Gallimard avec des cernes que les lunettes de soleil que je portais avaient du mal à cacher.

Les lecteurs se pressèrent à mon stand. Mais, alors que j’aurais dû savourer cela comme une victoire personnelle, j’étais indifférent à tout. J’étais en colère contre moi-même contre le monde entier. Je ne voyais là qu’une hypocrisie sans nom. Des années durant j’avais rêvé de présenter les ouvrages à ce salon littéraire en vain, et c’était grâce à une imposture que je connaissais ce succès. Pourtant j’étais persuadé de la qualité de mon recueil de poèmes. Il me semblait qu’effectivement, comme me l’avait dit Hemingway, c’était une énorme loterie. Après une heure passée à signer des autographes, avec un sentiment profond de dégoût, mes yeux sans vie se posèrent sur mon voisin de gauche. Lui, semblait pleinement heureux. Il paraissait déborder d’énergie, alors que moi je plongeai dans une dépression profonde. Voyant que je l’observais, il me lança :

-C’est Toi le Goncourt ?

-Oui c’est ça, c’est moi…

-Ça te dirait que je t’interviewe pour mon journal ?

C’est là que je le reconnus. Il s’agissait du chroniqueur mondain Béranger, qui était plus connu pour ses frasques nocturnes que pour les livres qu’il écrivait. Je lui répondis d’une voix éteinte :

-Si vous voulez.

-Ben, ça n’a pas l’air d’aller mon gars !

Je le regardai longuement à travers mes lunettes noires. Cet homme était d’une jovialité et d’un charisme qui me fit comprendre ses succès faciles. Étrangement mis en confiance, je lui expliquai ma déception amoureuse, et ce sentiment que la vie n’avait plus de sens et tout à dans mon désespoir je lui lançai que j’hésitais même à arrêter l’écriture…

-Mon gars je crois que tu as besoin d’aide et je pense savoir ce qu’il te faut. Merde, tu as eu le Goncourt ! Tu devrais profiter de ta gloire !

Il me tendit un comprimé rose et m’assura qu’avec cela tout irait mieux. J’étais quelque peu surpris. Je me demandais ce que c’était. Il me répondit d’une voix basse :

-C’est de l’ecstasy. Avec ça mon gars : finie la déprime ! Et ne t’inquiète pas : tu trouveras des gonzesses à la pelle avec ton prix. Je pourrais te présenter pas mal de filles qui ne diraient pas non rien qu’à l’idée de sortir avec un Goncourt. Tu l’oublieras ta Katherine ! Je peux même te promettre que tu te remettras à écrire.

Au point où j’en étais, j’ai à peine hésité et j’ai avalé la pilule. Ce fut un choc ! Tout me sembla plus beau. J’avais l’impression de réfléchir plus vite et la journée puis le week-end passèrent à une vitesse folle, grâce aux autres pilules que me donna Béranger. Sa compagnie m’enchanta et me fit oublier la dure réalité du rejet de Katherine.

Pendant ces trois jours au côté de Béranger, il fit tout pour me convaincre que, si vraiment je n’avais rien à espérer de « ce trou », je devais me rendre à Paris. C’était là-bas que tout se passait, qu’il y avait les meilleures fêtes et les artistes les plus intéressants de France, et même du monde. Je me sentais à l’aise avec lui. J’avais envie de lui faire confiance. Il possédait un tel charisme ! À la fin du week-end il m’avait convaincu. Le dimanche soir, ma décision était prise : je quitterais cette ville dont je n’attendais plus rien pour aller vivre l’aventure parisienne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jean-Daniel Fevrier ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0