Chapitre 3.1 - « Je suis désolé. »

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Avertissement : cette partie revient sur une violente agression.

Ce soir, s'enjailla mon Yu-Han, tu t'es lâché comme jamais sur la piste, itochii !

J'ai le disco dans la peau ! argumentai-je en me dandinant sur le trottoir.

Nous rîmes aux éclats tandis que nous regagnions notre voiture de location sous les lumières blafardes.

Je n'avais plus fait ce genre de sorties depuis mes années fac et Yhan n'aimait pas les ambiances "boîtes de nuit". Il préfèrait les virées entre potes, dans des bars tranquilles ou des restos. Être loin de chez nous aida certainement à son déridage, ou étaient-ce ces quelques cocktails engloutis... Quoiqu'il en fut, prendre une pause dans nos rythmes de vie respectifs nous a fit un bien fou. Nous pouvions oublier le travail, les petits tracas et nos charges, pour seulement penser à nous deux et profiter l'un de l'autre.

Je comptais d'ailleurs vraiment bien ''profiter'' de mon chéri après avoir franchi le seuil de notre chambre d'hôtel ! Lorsque nous arrivâmes au véhicule, je lui fis part de mon empressement en me blottissant dans son dos, bras enroulé autour de son ventre. Son eau de toilette enivrante aux touches de fruits des bois avait l'art et la manière de chavirer mon cœur.

Du haut de mon mètre soixante dix-huit, je me penchai légèrement par-dessus son épaule et susurrai contre sa peau.

J'ai hâte d'enfin pouvoir te débarrasser de tes vêtements.

Yu-Han éprouvait parfois une gêne dans les endroits trop bruyants. Dans ce bar, le volume sonore s'était avéré plus que respectable, j'étais ravi qu'il ait pu pleinement profiter de la soirée. Il leva le visage vers moi et me gratifia d'un regard aimant agrémenté de son léger rire.

Mesure tes ardeurs, mon itochii. Nous sommes encore dans un lieu public.

Tu m'accorderas qu'il est difficile de se contrôler devant une telle beauté.

Surtout quand cette dernière avait mis le paquet ! Ses cheveux tirés en arrière mettaient l'accent sur son joli visage et ses yeux. Lui qui se fichait en général de son style vestimentaire portait un chic polo à col rond et un pantalon en toile moulant à merveille ses formes. Son long trench coat camel égaillait sa tenue, quand cette énorme écharpe protégeait mon frileux du froid avant que mes bras s'en chargent.

N'importe qui aurait eu l'air quelconque à ses côtés, moi encore plus. Même si je soignais beaucoup mon apparence, on ne pouvait pas vraiment me qualifier de "canon". C'était le plus souvent ma personnalité qui avait attiré mes conquêtes et je ne m'en plaignais pas, à voir qui j'avais épousé.

Le sourire que m'adressait mon incroyable époux était aussi ravageur qu'enchanté. Sa main se posa sur la mienne et il tendit simplement les lèvres, quémandant un baiser.

Adorable ! C'était le mot que j'utilisais le plus souvent pour qualifier l'amour de ma vie qui, malgré un tas de qualités, souffrait d'un manque atroce de confiance en lui.

Je répondis évidemment à sa requête sans traîner et posai délicatement mes lèvres sur les siennes. Quand notre baiser s'essouffla, j'effleurai sa joue de mes lèvres encore affamées et me reculai à regret, ne remarquant qu'à cet instant le jeune homme s'avançant vers nous. Je me détachai de Yhan mais gardai un bras autour de sa taille afin de le rassurer. Le type faisait partie du petit groupe ayant provoqué du grabuge au club, un peu plus tôt dans la soirée. Ils avaient même été éjectés des lieux par la sécurité.

Alors, ça roucoule les colombes ? lança-t-il, railleur.

Prononcée dans un anglais à l'accent très marqué, cette approche me conforta dans l'idée d'être face à un con.

Monte en voiture, soufflai-je doucement à Yhan après avoir déverrouillé les portières d'une pression sur le bouton de la clé.

Nous étions tous deux francophones, bien que nous maîtrisions l'anglais en seconde langue. Je n'osai pas quitter le post-adolescent des yeux. Son sourire narquois ne me disait rien qui vaille. Mon attention revint toutefois à mon chéri lorsque je sentis un tremblement de panique le secouer, je frictionnai gentiment son dos pour l'encourager à bouger.

Il leva à nouveau ses iris vers moi, j'y lu toute son inquiétude et esquissai un sourire bienveillant. La crainte me rongeait au même titre que lui, nous ne devons toutefois pas le montrer à cet abruti. Une fois Yhan en sécurité, j'essaierai de m'en débarrasser poliment.

Mon calme permit à Yu-Han de dépasser son état d'anxiété, il opina donc et amorça un geste en direction de la voiture.

​​​​​​ Oh là, pas si vite ! s'exclama l'inconnu.

Il approcha brusquement et posa la main sur la portière que Yhan tentait d'ouvrir. Poussant dessus, l'intrus la referma sans jamais quitter mon mari des yeux. Avec un mouvement de recul, ce dernier chercha machinalement ma présence tandis que j'avancai en réponse à ce geste aussi soudain qu'intrusif. Mon corps fit écran afin qu'il ne puisse pas s'en prendre à Yhan. Le détraqué me fixa, amusé, puis se tourna vers l'arrière. Je n'aperçus qu'à cet instant le reste de son groupe, debout à l'écart. Le couple d'âge mûr et deux jeunes filles nous épiaient aussi.

T'es sûre de vouloir l'autre, Faith ? Celui-là a l'air mieux.

J'ignorais à qui il s'adressait jusqu'à ce que la plus âgée des deux filles réponde.

Non, je veux celui avec les beaux yeux.

Bon sang ! Que racontaient ces illuminés ?

Amour, monte dans la voiture, répétai-je, alerté par leur échange sans queue ni tête.

À cet instant précis, le jeune homme se tourna vers moi et je cru halluciner.

J'ai dit, pas bouger ! gronda-t-il férocement.

Son visage se transforma soudain, sa peau lisse se couvrit de poils disparates et deux longues oreilles crâne.

Un foutu animal ! Voilà ce qu'il était devenu. Lequel ? Je n'en savais fichtre rien ! Un mélange de chat sphinx et de chien enragé aurait été une fidèle description. Ses yeux, d'un orange menaçant, me fixèrent intensément. Son long museau humide se plissa sous ses grognements et ses babines se retroussent sur des crocs bien trop flippants. Effaré, j'eus un vif mouvement de recul et coinçai Yhan par accident contre la carrosserie. Mon corps se raidit, mon cerveau planta en mode panique totale. À tel point qu'il ignora la plainte douloureuse lâchée par mon mari.

Soit je pétais un sérieux câble, soit nous faisions face à un danger surréel. L'un ou l'autre, je n'y réfléchis pas mille ans.

Cours ! ordonnai-je en m'écartant pour libérer Yu-Han de mon poids. Retourne au bar chercher de l'aide !

Je n'étais pas sûr qu'il voit ce que je vois, puisqu'il rechigna à s'exécuter.

Raise, non...

Vas-y !

Je le repoussai d'une main ferme, ne lui laissant d'autre choix. Si je devenais simplement fou en imaginant tout ça, l'idée que quelqu'un vienne à notre aide suffirait peut-être à faire fuir le groupe et, avec un peu de chance, je retrouverai mes esprits en revenant au calme. Mais s'il s'agisait vraiment d'un monstre auquel seul l'un de nous pouvait échapper, ce devait être Yhan.

Il finit par s'élancer et contourna la voiture par l'arrière. Le jeune essaya de le suivre, un pic d'adrénaline traversa furieusement mes veines. Je m'interposai et accrochai sa veste. Mon poing atterrit sur sa face affreuse, assez vivement pour qu'il chancelle. Puis, posant à nouveau ses iris incandescents sur moi, il ricana.

C'est bien toi qu'on aurait dû choisir. Dommage...

Il lança son crâne en avant, m'assenant un coup qui m'étourdit. C'est dans mon pénible brouillard que j'entendis Yhan crier.

Non ! Je vous en prie, lâchez-moi ! Raise !

Cesse de gigoter ! s'agaca une voix étrangère, celle d'une femme adulte.

Sonné, je tentai de me dégager de la prise du jeune homme pour secourir mon époux.

Il est avec nous, maintenant. Adieu, Prince Charmant.

Ses doigts accrochèrent ma nuque, il me projetta en avant, tête la première sur le véhicule. Mon front percuta la vitre, je sentis mon corps entier se briser simultanément à cette dernière sous la force du choc.

Les cris continuèrent, étouffés par le bourdonnement dans mes oreilles. Je fus incapable de bouger. Étais-je paralysé ?

Le sang coulant de mes coupures obstrua vite ma vue. J'avais froid, je tremblais. Je me cru à l'heure de l'ultime rendez-vous, où la Faucheuse m'attendrait bras ouverts.

Lorsque la voix craquelée de Yu-Han disparu, je plongeai dans le noir total.

*

Je me réveille en hyperventilation... Hagard. Mon corps est en miettes et mon cœur m'étouffe. Je me rappelle trop intensément les mois passés en soins intensifs, puis ma longue rééducation après l'agression qui a été à ça de me laisser tétraplégique. Mais surtout, je me rappelle le manque de Yu-Han durant cette période difficile et les années qui ont suivi.

Les doigts serrés sur les draps, je peine à retrouver un rythme cardiaque et respiratoire normal. Tout se bouscule encore dans ma tête, je ne sais plus trop où je suis. L'inquiétude qui grandit dans mes tripes me sort de ma paralysie. Ce n'est qu'en me redressant que je reconnais les murs couleur taupe et le grand sticker mural de la chambre d'amis.

Pourquoi ne suis-je pas dans ma chambre ?

Ma paume chasse les gouttelettes de sueur accumulées sur mon front. Je suis en nage et me situe finalement temporellement. Je ne suis pas dans mon lit car Yhan l'occupe. Il est enfin de retour ! Alors, pour quelle raison ce cauchemar revient-il me hanter ? Cela fait des mois, voire un an que je ne l'aie pas revécue d'une façon aussi intense. La nuit où tout a basculé... Elle me laisse avec un arrière-goût de sang dans la bouche, l'estomac retourné et le besoin insurmontable d'enserrer mon mari.

Je sais pourtant que c'est pour l'instant impossible. Sa présence, si longtemps désirée, est à présent comme étrangère bien qu'elle rythme mon quotidien depuis maintenant six jours. J'espère qu'entamer les séances avec le psychologue l'aidera à dépasser cet état d'alerte constant, car toute ma bonne volonté et la sienne ne suffiront pas...

Une fois mes jambes moins tremblantes, je tente de me lever sans tomber sous le poids de la douleur encore lancinante dans ma poitrine. Elle ne se dissipera que lorsque je l'aurais vu. Des pas mesurés me conduisent prudemment jusqu'à la porte, puis deviennent feutrés dans le couloir où j'avance jusqu'à pouvoir poser la main sur la poignée de la pièce mitoyenne. Je ne souhaite pas troubler le sommeil de mon amour, surtout s'il s'agit d'une des rares nuits où il arrive à dormir sans difficultés. C'est donc délicatement que j'ouvre, avant de passer la tête par l'encadrement avec précaution.

Je m'attendais à trouver mon colocataire d'époux assoupi dans une position peu flatteuse, comme le premier soir de son retour et le suivant, où j'ai ressenti le besoin de me persuader qu'il était bien là. Que ce n'était pas un rêve. La première fois, il n'avait fermé l'œil de la nuit et me prit donc la main dans le sac. La deuxième, j'ai pu observer l'espace d'un instant son visage tourmenté et son sommeil agité avant que ma simple présence ne l'en sorte. Je me suis donc retenu ces jours passés de l'importuner. Mais cette nuit, c'est différent. Différent dans tous les sens du terme !

Après avoir jeté un œil sur le lit vide, je pousse la porte et épouse la chambre d'un regard inquiet.

— Yhan ?

Aucune trace de lui. Ni de Ronin, qui dort avec lui et le suit partout comme son ombre depuis deux jours. Pas de réponse non plus... Je remarque pourtant la boîte de ses nouveaux appareils, ouverte, sur la table de chevet. Cela doit signifier qu'il les porte. Je décide de me diriger vers la salle de bain, où se trouvent aussi les toilettes.

— Yhan ? appelé-je encore.

Il ne semble pas y avoir de lumière émanant de la salle d'eau, j'y toque quand même avec force.

— Yu-Han, je suis désolé de t'embêter mais s'il te plaît, réponds si t'es là.

Rien.

J'ouvre la porte et, comme je le craignais, cette pièce aussi est vide. Un vent d'effroi s'abat alors sur moi. Je pense immédiatement à un cambriolage qui aurait mal tourné, ou... Ses ravisseurs l'auraient-ils retrouvé et à nouveau emmené ?

Mon pouls pulse trop vite, j'essuie une sueur froide tout en tentant de me raisonner.

— Pas de panique. Il n'y a pas de traces de lutte... Il est peut-être à la cuisine. Non, dans le jardin d'hiver !

C'est trois par trois que je descends les escaliers menant au rez-de-chaussée. Yhan passe énormément de temps à dessiner des plans pour le réaménagement de cet espace. Plein d'espoir, j'en pousse la porte seulement pour me trouver encore une fois face à ma solitude. Un tremblement me secoue. Je ne décèle aucune lumière dans le séjour. Ce sont toutes les pièces de notre maison ! Je les ai toutes revues ! Où est-il ?

— Yhan !

Je tourne sur moi-même, les yeux scannant mon environnement à sa recherche. Mon esprit se délite et mon corps me porte tel un automate. Je ne sais si mon cauchemar continue ou si, en fait, je viens tout juste de me réveiller du fantasme concrétisant le retour de mon bien-aimé.

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