C'est trop complexe pour moi
Je me sentais si bête, à pleurer là dans la rue. Et en même temps, ces pleurs me libéraient de sentiments trop confus et embrouillés qui m'avaient assaillis. Il me fixait avec son regard sombre mais je ne le voyais plus.
"Désolée ai-je dit, mais il n'a pas répondu.
Dans la brume de mes larmes, j'entrevoyais la chute d'un rêve que j'avais caressé, celui de trouver enfin le bon. J'avais l'impression que toutes les portes se fermaient, que je ne voulais plus rien. J'ai croisé son regard désemparé, et je me suis dit qu'il n'était pas ça non plus. Du moins pour le moment.
-Ca ne te dérange pas si on arrête là? Je suis tellemnt désolée de te causer cela
Il ne disait rien, ne répondait pas. Pudeur? Discrétion? Embarras? Sentiment de ridicule? Surement un peu de chacun.
-Euh comme tu veux, a-t-il répondu, son regard perdu.
La bouche de métro, avec sa rampe en pierre blanche se tenait devant moi, jamais aussi attirante
-Merci mille fois et désolée! vraiment désolée! Rentre bien" Lui ai-je soufflé. Je me suis rendue compte que telle rencontre ne devait jamais avoir existé dans dans sa vie. Maladroit, il a descendu quelques marches pour me raccompagner.
-Je, j'espère que ça va aller?
Ces mots embarrasés m'ont touchée. Il n'osait pas, cela se voyait.
-Oui, ne t'inquiète pas. Désolée pour tout ça, vraiment pardon
-Aucun pardon à demander, j'imagine que tu ne l'as pas fait intentionnellement"
Sa dernière phrase m'a arraché un sourire.
Il a eu un sourire en coin tandis qu'il remontait les marches.
J'avais l'impression sourde que j'avais à nouveau fait fausse route, ou que quelque chose venait se mettre en travers de ma route.
Pourtant, je voulais poursuivre. Je n'étais pas prête à me dire encore une fois que ce n'était pas ça.
C’est pourquoi j’avais été capable d’attendre avec impatience le dimanche d’après pour le revoir. Excitée devant l’hôtel de gare de Lyon pendant une demi-heure, délivrée par son arrivée toute intimidée. Le suivre hésitant et enfin m’installer en face de lui, dans l’expectative de mes propres réactions à tout ça. Echanger avec lui et découvrir sa personnalité douce derrière sa « barbe », sensible derrière son intelligence, et… qui me ressemble tellement. Le quitter hâtivement, et l’entendre dire qu’on a « tout vu » et lui répondre « qu’il y aura toujours à voir… ».
Il y a eu une quatrième, puis une cinquième rencontre. Des images familières ont commencé à peupler mon esprit, même si la magie de la première rencontre s'était complètement envolée.
Puis il y a eu son silence.
Et mon coeur qui se retourne dans ma poitrine.
J’ai envie de revoir sa silhouette barbue au loin, avec ce vieux parka, cette écharpe bleu ciel, s’approcher de moi avec son air penaud. J’ai envie de le revoir attraper sa barbe quand il me parle, sa tête penchée en arrière, ses jambes étendues, que je suis la seule à faire attention à ne pas toucher. J’ai envie de le revoir rire, et non pas ce visage d’un coup enfantin et désemparé, insaisissable, qui s’éclaire à peine d’un sourire pitoyable, comme si je ne l’intéresse pas.
J’ai envie de l’entendre me dire « nous nous arrangerons », « ou habiterons nous ? » « on va s’arranger avec nos études… »
J’ai envie de le fixer avec mes yeux jusqu’à ce qu’il détourne les siens, et étonnement, comme ils brillent bizarrement, ce sont les miens qui se détournent à trois reprises et lui qui reste imperturbable…
J’ai envie de revoir ses mains glabres et jeunes, celles d’un enfant, quand il m’explique des choses avec clarté. Et surtout, le voir se rejeter en arrière de plaisir et de gène quand je lui dis qu’il s’exprime bien, avec une fausse modestie me dire qu’il « s’exprime »…
Je n’ai pas envie de m’arrêter de penser à lui dans la nuit, dans mon lit, en ayant oublié son visage, en sachant juste que mon cœur bat fort… Sous mes paupières, revoir les scènes de ces moments où il était enchanté, et où moi, naïve, j’avais peur de cet enchantement, j’avais peur que ça aille trop vite. Je ne comprends pas ce qui est arrivé. Son silence m’a fait souffrir, vibrer, me languir, me retourner d’angoisse indéfiniment...
Comme ce vent de février qui rugit dehors reflète bien mon état intérieur ! Je me sens mal, en tempête....
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