CHAPITRE 1 : Le retour de la perle noire
Commissariat de Cannes
Une Seat Marbella noire se gara devant le commissariat du 7 quai de l'Angélus, situé en face du port, juste à côté de la meilleure pizzeria de la ville : chez Bolino.
A l'intérieur, une jeune femme rousse en coupa le contact et extirpa d'une sacoche en cuir noire gisante sur le siège passager, une minuscule boîte à maquillage équipée d'un petit miroir. Elle corrigea son fard à paupières puis effectua une légère retouche sur ses lèvres. La rouquine mettait un point d'honneur à conserver une certaine féminité dans son métier. La tâche effectuée, elle sortit de la citadine.
Son élégance naturelle et sa grande taille contrastaient avec l'étroitesse de la voiture dont elle venait de s'extraire. Elle portait un blazer noir à cape avec de longues manches qui recouvrait une chemise victorienne blanche à col haut. Le vêtement était affublé d'un col jabot qui se terminait au milieu de la poitrine. Sa tenue était complétée par un pantalon noir à taille haute surplombant des petites baskets couleur ébène ; la praticité l'avait emporté sur l'élégance sur ce détail. Ce style vestimentaire, harmonieux, s'inspirait du XIXe siècle. La dominante sombre de ses vêtements s'opposait à l'incandescence du roux de ses cheveux mi-longs. Elle avait l'habitude de les attacher avec un grand nœud noir au bas de son cou, ce qui lui donnait parfois un air de garçon manqué.
Cette femme, à la fois mystérieuse et raffinée, s'appelait Élise Delarosa. Elle venait d'une famille aisée de Provence ayant fait fortune dans la culture de la lavande. Son père était d'origine espagnole et sa mère française. Élise avait principalement hérité du physique de sa mère, n'empruntant à son père que son patronyme. Ses parents s'étaient rencontrés à Terranova, une petite ville de Haute Provence.
La belle rousse se retourna pour admirer le port, de ses grands yeux noisette. Le Soleil automnal caressait son visage d'ange. Elle ferma un instant les paupières. Les mouettes parsemaient le ciel bleu azur et semblaient le transpercer de leurs cris stridents. Imperturbable, la jeune femme poursuivait son recueillement, elle appréciait cette douceur méridionale qui lui avait tant manqué à Paris.
Élise attrapa ensuite la chaîne en argent qu'elle cachait sous son chemisier. Elle ouvrit le médaillon accroché et embrassa la photo de ses lèvres fines. Le cliché représentait deux jumelles d'une quinzaine d'années : Élise et sa sœur Jeanne, disparue quinze ans plus tôt. La jeune femme l'avait choisie, parmi tant d'autres, parce que c'était la dernière fois qu'elle avait vu sa sœur heureuse. Après cette journée, Jeanne avait commencé à changer de comportement, notamment envers son père, créant une ambiance exécrable au sein de la famille. Malgré de nombreuses recherches, personne n'avait retrouvé sa trace. Pourtant, l'affaire avait débuté par l'arrestation d'une suspecte, Sasha Sanders, qui se trouvait avec Jeanne au moment de sa disparition. Néanmoins, le dossier avait été classé sans suite, faute de preuves. Sasha avait toujours clamé son innocence. Par la suite, un homme s'était accusé de l'enlèvement et du meurtre de Jeanne sans fournir la moindre précision, notamment sur l'emplacement supposé du corps.
À cause de sa peine dévastatrice et insurmontable, Élise avait coupé les ponts avec sa famille en partant très loin de Terranova. Pendant cinq ans, elle avait voyagé aux quatre coins du monde dans l'espoir d'atténuer sa douleur et son sentiment d'impuissance. En parallèle, elle avait noyé sa peine en poursuivant des études de droit par correspondance et elle avait obtenu une maîtrise. Cependant, elle n'avait trouvé aucun remède à son chagrin. Pire, elle s'était même persuadée qu'elle serait la seule à pouvoir résoudre l'énigme de la disparition de sa soeur, qui trottait sans cesse dans sa tête.
Pour atteindre son but, fraîchement rentrée de son voyage, elle avait décidé de passer le concours d'officier de police dans la région parisienne. Dans le même temps, Élise avait repris contact avec ses parents. À vingt-quatre ans, elle avait ressenti le besoin de se rapprocher de sa famille. Or, la communication avait été vite rompue lorsque son père avait désapprouvé ce choix de carrière ; il considérait que sa fille avait largement les capacités pour exercer un autre métier plus prestigieux à ses yeux tel que celui d'avocate ou de magistrate. Son père était aveuglé par la réussite sociale. Un homme de son rang ne supportait pas que son enfant exerce un sous-métier comme il le clamait si bien. Ignorant cet avis, la jeune femme avait tracé sa route et décroché son concours avec brio. Pour clore toute discussion, elle avait choisi un poste à Paris, à bonne distance du lieu de sa tragédie familiale et de ses parents.
Un an plus tôt, à l'aube de ses trente-trois ans, elle avait décidé de passer en interne le concours pour devenir commissaire de police. Enquêtant secrètement sur le dossier de sa sœur tout en exerçant son métier, elle n'avait trouvé aucune autre piste intéressante ; elle stagnait même sur sa partition. Elle avait continué son investigation n'ayant jamais cru en la culpabilité de l'homme qui s'était dénoncé. Ni même en celle de Sasha, même si un doute raisonnablement humain subsistait dans sa tête et avait fini par briser leur amitié. À cela s'additionnait le manque d'accès à certaines ressources policières et un muselage hiérarchique. La décision à prendre était devenue évidente. Si elle voulait continuer à creuser ce profond tunnel, il lui fallait les mains plus libres pour enfin espérer entrevoir la lumière du jour.
Et pour sa première affectation, elle avait choisit Cannes, dans la région de son enfance : la Provence Alpes Côte d'Azur.
Elle prit une profonde inspiration et se dirigea vers le commissariat. Devant le bâtiment récent de trois étages, les fameux palmiers, trésors de la région, trônaient dans leurs grands bacs blancs. Ils côtoyaient les motos de police garées à proximité.
D'un pas décidé, elle en franchit la porte d'entrée, lâchant un sourire furtif au planton.
— Bonjour, j'ai rendez-vous avec la commissaire divisionnaire Jocelyn, lui indiqua-t-elle, sa carte de police à la main.
— Je suis obligé de vous faire passer par le portique, rétorqua timidement l'agent.
La jeune femme acquiesça d'un discret hôchement de tête.
Les formalités sécuritaires passées, elle balaya du regard le lieu, bien peuplé à cette heure. Une fourmillière de policiers et de délinquants. Un homme brun d'environ trente ans, affublé d'un blouson de cuir noir, se dirigea vers elle en criant à son collègue posté plus loin :
— Jasm, y en a encore une, là, dans le hall. Et elle a une de ces allures, lança t-il en rigolant à gorge déployée. Je croyais qu'ils étaient tous en cellule, les tarés d'Halloween.
— J'en sais rien ! cria son collègue à travers la pièce.
— Mec, t'es sérieux ? Je m'en occupe encore une fois, mais c'est la dernière ! jura-t-il. Allez Catherine de Médicis, on y va.
— Catherine de Médicis, c'était le XVIeme siècle, moi j'aime plutôt la désinvolture du XVIIIeme, lui conta Élise calmement. Oh et au passage, je suis Élise Delarosa, votre nouveau commissaire. J'ai rendez-vous avec la commissaire divisionnaire Jocelyn, auriez-vous l'obligeance de la prévenir ?
La rouquine avait joué la carte de l'ironie mais intérieurement, elle bouillonnait.
Le jeune homme essaya de masquer sa surprise et garda son aplomb.
— Je vous faisais marcher chef, bienvenue à vous. Je suis l'inspecteur Filip Boissier, à votre service.
Il commença à applaudir. Le geste était si fort que tous les autres policiers l'imitèrent avec enthousiasme.
À cet instant, une grande dame corpulente descendit du premier étage d'un pas énergique pour accueillir à bras ouverts la nouvelle recrue. C'était la commissaire divisionnaire Sophie Jocelyn.
— Ah ! Mademoiselle Delarosa, je vous attendais ! Bienvenue à Cannes, s'exclama-t-elle d'un ton de monsieur loyal. Nous avons du pain sur la planche !
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