Chapitre 4 : Requiem

6 minutes de lecture

Villa des oliviers.

Juste après la conversation houleuse avec sa mère, Sasha se dirigea vers le salon. Pour y arriver, elle devait emprunter un magnifique escalier, réplique grandeur nature de celui du Titanic. Elle adorait tout ce qui touchait de près ou de loin à cette histoire tragique. Notamment le film qui avait suivit, un joyau du septième art. L’architecte s’était surpassé, l’illusion était quasi parfaite. Sa création mélangeait à la fois beauté, intemporalité, dorure et luxe. Il avait retranscrit le moindre détail, notamment les boiseries, pour que la magie opère sur les invités. En effet, les deux petits escaliers composant le grand, débouchaient en leur sommet sur les chambres d'amis d'un côté et de l’autre sur celle de Sasha. Le créateur avait même reproduit la splendide horloge, représentant l’Honneur et la Gloire, deux préceptes forts pour l'actrice.

Tout en descendant le bel ouvrage, elle ne pouvait s’empêcher de le toucher, glissant sa main sur la rambarde décorée, jusqu’à son extrémité. Au bout, un couloir conduisait directement au grand salon américain. Sasha passa devant des statues amérindiennes en bois, ramenées de son dernier voyage aux États-Unis. Fascinée par cette culture, la jeune femme achetait des objets variés en rapport avec cette civilisation. Entremêlés aux sculptures, de hautes plantes vertes et des portraits de Navajos complétaient le décor. Ce petit passage la rassurait. À son embouchure se trouvait une entrée en arc de cercle ouverte sur le salon. L’actrice distinguait déjà la voix stridente de sa mère en pleine conversation téléphonique.

Elle franchit discrètement l'arche pour arriver dans une vaste pièce lumineuse entourée de deux immenses baies vitrées. L’endroit était décoré avec goût et faste. Christine était assise sur un des cinq tabourets en bois de chêne situés devant la grande console composant la cuisine américaine. C’était le plan de travail où, sur la gauche s'encastrait un large évier. Cette pièce donnait directement sur le salon avec, en face, une autre grande table à manger, en chêne. Sur la gauche, un imposant canapé d’angle en cuir marron vieilli entourait une magnifique cheminée composée de pierres blanches et recouverte de bois en son sommet. De chaque côté de celle-ci, des niches construites dans le mur permettaient d’exposer des objets hétéroclites.

Sasha jeta un bref regard à sa mère lorsqu’elle la dépassa. Christine lui fit signe de venir. L'actrice l’ignora et se dirigea plus loin dans la pièce, vers la cheminée. En la longeant, ses yeux s’arrêtèrent sur une vieille photo nichée dans un cadre qui représentait un groupe d’amis, âgés d’environ dix-huit ans. Sasha attrapa l’objet en prenant soin de ne pas être vue et scruta longuement le cliché. Il s'en dégageait deux personnalités : un garçon brun, sur la gauche, habillé dans un style rock qui avait visiblement oublié de sourire, et au milieu, une rousse aux cheveux courts dont le choix vestimentaire flirtait avec la vulgarité. Les deux personnages, provocants à souhait, transpiraient la sexualité. La jeune femme, pensive, glissa sa main droite lentement sur l'image. À cet instant, la nostalgie l'envahit.

Comment tout cela avait-il pu arriver ?

Soudain, elle fut extraite de ses rêveries par l’entrée de la gouvernante.

— Madame, votre agent est là. Je le fais attendre dans...

La domestique n’eut pas eu le temps de finir sa phrase ; un jeune homme blond-platine déboula dans la pièce.

— Hello everybody ! s’exclama-t-il en levant les bras au ciel.

L’individu se distinguait par son extravagance vestimentaire assumée, un mélange masculin-féminin.

Faustine, qui ne jurait que par le professionnalisme, était visiblement agacée par la situation : c’était la deuxième fois qu’elle était ridiculisée dans la même journée. Sasha nota la contrariété qui se dessina soudain sur le visage de sa gouvernante.

— C’est bon Faustine, ne vous inquiétez pas, je suis entourée de vautours mal élevés ! la rassura-t-elle en posant une main sur son épaule. Vous pouvez disposer.

— Merci Madame, répondit Faustine en se retirant lentement. Avant de se retourner, elle lança un regard noir à l’agent.

L’actrice dévisagea le blondinet qui venait d’interrompre sa séquence souvenir.

— Ben quoi ma chérie, tu n’as pas l’air réjoui de me voir ? balança l’énergumène.

— Charlie Duboist, tiens donc, ça fait deux heures qu’on ne s’est pas croisés, tu as peur que ta poule aux yeux d’or s’envole ? se moqua Sasha en cachant discrètement ses mains derrière son dos.

— Charlie Rings, c’est mon nouveau pseudo, je te l’ai déjà dit punaise ! Mets-toi à la page ma fille ! exigea-t-il en claquant le bout de ses doigts fraîchement manucurés.

Charlie Duboist, de son vrai nom, était un ami d’enfance de Sasha. Au départ, c’était une connaissance de son frère, Luc. Un bref coup de cœur mutuel les avait rapprochés à une certaine époque. Jusqu’à ce que les questionnements de Charlie sur sa sexualité ne mettent un terme à cette amourette furtive. Le départ de Sasha de Terranova, cumulé à l’étroitesse d’esprit des habitants de la ville, avait poussé Charlie à partir aussi. Il avait posé ses bagages à Nice où il pouvait enfin s’épanouir en tant qu’androgyne assumé. Depuis ce jour, il n’hésitait plus à mixer les genres. Sasha et lui s’étaient retrouvés lors d’une soirée de lancement d’un film, cinq ans auparavant. Elle cherchait un agent, il était libre. Ils avaient commencé une relation de travail basée sur leur amitié ressuscitée malgré les tumultueuses années passées.

— Tu es pénible, je t’avais dit qu’on se retrouvait plus tard et que j’allais t’appeler avant la soirée, précisa Sasha.

— Ma chérie, te connaissant bien maintenant, je n’étais pas sûr que tu te montres. Mais, bon sang, qu’est-ce qui se passe ? C'est une superbe opportunité pour ta carrière, cette proposition. Tout Cannes sera là ce soir pour boire tes paroles. Ça va être grandiose ! s’extasia l’agent en attrapant le bout de bras de sa pouliche.

Grâce à ce geste, Charlie s’aperçut que, derrière son dos, l’actrice tenait un objet avec fermeté. Les deux protagonistes le regardèrent en même temps lorsqu’elle redéploya son bras devant elle.

— J’arrive à temps on dirait, releva Charlie en arrachant le cadre de la paume de son amie. Écoute ma douce, ne pense plus à ton ex-mari, ni à cette histoire sordide, c’est du passé tout ça !

Le jeune homme balança l'objet, avec colère, sur le fauteuil avoisinant.

— Mais je n’y pense pas !

— Bien entendu, tu es tombée sur cette photo par hasard ! rétorqua-t-il tout en fouillant dans son sac à main à paillettes.

— Exactement, j’ai trébuché dessus, soutint l’actrice avec mauvaise foi.

Elle sentait que la situation lui échappait et qu'elle devait reprendre le contrôle de la conversation.

— Depuis quand te promènes-tu avec ce genre de besace toi ? C’est un peu too much quand même ! taquina la jeune femme, la main sur la marchandise en question.

— Trêve de plaisanterie ! Le gala, c’est ce soir, tout le gratin sera là alors, je t’en prie, ramène tes jolies petites fesses, supplia Charlie en dégainant les invitations à la figure de l’actrice.

— Je n’ai pas besoin de ces cartons, je suis Sasha Sanders, je rentre partout ! affirma-t-elle en tournant légèrement sa tête sur la droite, au-dessus de son épaule, en position de diva.

Les deux compères étaient tellement captivés par leur discussion qu’ils n’avaient pas entendu la mère de Sasha finir sa conversation téléphonique.

— Bien sûr qu’elle ira, et elle parlera en exclusivité de son nouveau film, ordonna Christine en les rejoignant.

— Je vais encore avoir le droit à mon lot de questions suspicieuses, se plaignit Sasha.

La mère de l'actrice lui murmura quelques consignes à l'oreille :

— Eh bien tu fais comme d’habitude, dis leur ce qu’ils veulent entendre en ajoutant un peu de comédie, de la poudre aux yeux et un minimum de vérité. Un fabuleux cocktail que tu sais très bien concocter. C’est un peu ta marque de fabrique, affirma-t-elle en esquissant un léger geste sous le menton de sa fille.

Sasha lança un regard assassin à sa mère puis se reconcentra.

— OK, alors j’espère qu’on m’a prévu une robe à la hauteur de mes talents et un cavalier digne de ce nom, exigea-t-elle tout en se dirigeant vers sa chambre.

— Ah ! je retrouve ma petite hyène ! Bien sûr ma chérie, bien sûr ! s’extasia l’agent en applaudissant.

— Alors que le spectacle commence ! Sasha entre en scène, let's go ! cria l'actrice, un doigt tourbillonnant au-dessus de sa tête.

Extérieurement elle donnait le change, faire semblant c'était son métier. Etre en permanence quelqu'un d'autre, un fantasme dont elle se délectait, jour après jour. Mais comme la plupart des êtres humains, elle cachait une autre facette. Il existe un précipice entre ce que l'on montre aux autres et ce que l'on est réellement, au fond de soi-même. Un éternel acte. Un océan de mensonges indécents. Et, à cet instant présent, elle se fichait complètement du sauvetage de sa carrière. La seule chose qui importait c'était son rendez-vous avec son ex-femme, ce soir. Des révélations lui ont été promises et elle comptait bien s'en abreuver.

Annotations

Vous aimez lire leo stem ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0