Chapitre 17 : Collision
La soirée touchait à sa fin, Charlie savait qu’il lui restait peu de temps pour agir. Le DJ laisserait bientôt sa place à Vic Hollidays pour clôturer la soirée. Chanteur de rock'n'roll à l’ancienne, il avait emprunté la majeure partie de son style outre-Atlantique sur Jarvis Stanley, chef de proue du genre.
Installé confortablement sur un siège design, l’agent tourna nerveusement son verre de whisky entre deux doigts tout en tapotant du pied. Charlie n’arrêtait pas de sortir son téléphone portable d’un quart de sa poche pour vérifier son écran, désespérément vide.
- Mais qu’est-ce qu’elle fout ?
Son impatience le rongeait. La sueur dégoulinait de plus en plus sur son front et estompait son maquillage. Avec classe, le jeune homme l’essuya en tapotant son visage à l’aide d’un mouchoir en tissu.
Son regard croisa celui de Christine qui s’était positionnée près de la scène afin d'apercevoir son idole, Vic Hollidays.
– Où est Sasha ?
Lisant sur les lèvres de son interlocutrice, Charlie lui confirma d’un geste de la main :
– Dehors, je vais la chercher, ne vous inquiétez pas.
La sexagénaire rétorqua par un clin d’œil et fut immédiatement absorbée par l’entrée en scène de Vic Hollidays. D’ordinaire maître de la situation, la mère de famille perdait tout contrôle lorsqu’il s’agissait de son chanteur préféré, à qui elle vouait un véritable culte telle une adolescente. Pétillante de bonheur, elle commença à chanter avec son idole dès les premières notes jouées, couplant le tout par des pas de twist endiablés.
– Parfait, se murmura Charlie.
Se débarrasser de Christine n’était pas une mince affaire. Un vrai mirador, notamment lorsqu’il s’agissait de sa fille. Mais elle avait confiance en lui et il profita de cet avantage.
Tout en attrapant son portable, le jeune homme se dirigea vers la sortie.
Au pied du petit port de Cannes, un agent de sécurité le salua.
– Je reviens, je prends juste un peu l’air. Ce champagne, il monte vite à la tête, je suis pompette !
– Bien, répondit l’armoire à glace, les deux mains jointes devant lui.
L’agent poursuivit son chemin et sélectionna le nom de Tony dans son répertoire. Précautionneux, il avait changé le prénom de Stana par celui-ci. Quoi de mieux comme camouflage que celui de son ex.
Une légère tape dans son dos l’interrompit dans sa tâche.
– Hey darling, ça te dérangerait de nous prendre en photo moi et mon minou d’amour.
L’agent se retourna et vit un couple pour le moins atypique : une très jeune femme noire vêtue d’une jupe courte, très courte et aguicheuse. Juste derrière elle se trouvait un vieil homme qui baladait ses mains sur tout le corps de sa conquête.
– Pas maintenant je...
– Merci darling, viens on te fait une pose, commanda la jeune femme en attrapant le bras de Charlie.
L’agent céda, car il savait qu’elle n’allait pas le lâcher.
Les deux individus sortirent leurs langues pour s’embrasser sans pour autant se toucher les lèvres. Charlie, à peine déstabilisé par l’acte, prit trois photos et rendit le portable à la michtonneuse.
– C’est bon comme ça, distilla l’agent.
–Regarde bébé, on est des oufs !
Le couple n’avait même pas remarqué le départ de leur photographe d’un soir, obnubilés par le résultat de leur prestation.
L’obstacle passé et suffisamment éloigné, l’agent appela son contact qui décrocha du premier coup. Surpris de cette réponse rapide, il stoppa immédiatelent son avancée et brailla dans le combiné.
– Punaise Stana tu es où ?
– Il y a un problème, rejoins-moi au yacht amarré place 12.
– Quoi, quel problème ? Je n’ai pas le temps de plaisanter, y’a des flics partout, j’ai la mère sur le feu, on est mal, je te le dis.
– Il y a un problème, rejoins-moi au yacht amarré place 12.
– T’as avalé un perroquet ou quoi ?
Sous le silence de son interlocutrice, Charlie abdiqua.
– Ok, ne bouge pas, j’arrive !
Pour passer le plus inaperçu possible, il craqua une cigarette et se mit à la recherche de l’emplacement. Tout au long du chemin, il baragouina à demi-voix toute sa rancœur pour Stana : Quelle conne cette nana, comment j’ai pu me faire avoir par une demeurée comme elle. D’où elle tient ses infos ! Et maintenant, je dois la sortir de la merde !
– Ah voilà, 12. Le Leonardo. Sympa comme nom. Et bien sûr, personne autour !
L'homme continua de ronchonner et jetta son mégot à l'eau, de colère.
Charlie eut immédiatement un mouvement de recul en apercevant des traces de sang qui jalonnaient la poupe du bateau.
– Du calme, c'est juste un petit peu de sang, une égratinure sûrement, se raisonna-t-il en fixant, inquiet, l'entrée de la cabine.
Charlie s'avança d'un premier pas hésitant, puis se ravisa et fit demi-tour, renonçant à affronter la marée rouge. Il se plia en deux, les bras sur le ventre, afin de refouler les nausées qui le dévoraient.
Quelques minutes passèrent. L'agent releva sa tête.
–Je n'ai pas le choix, je dois avancer.
Concentré. Il reprit le chemin du yacht, l'air bravache et enjamba la petite marche de l’entrée. Évitant soigneusement de marcher dans le sang, l’agent avança sur le pont navire, ouvrit la baie vitrée et entra dans le compartiment de navigation.
Il contourna la table à manger puis s’arrêta devant le poste de navigation. Des gants de navigateur avaient été abandonnés par leur propriétaire sur la banquette de conduite à côté de deux coussins rouges. Longeant le luxueux coin cuisine, le jeune homme remarqua une trace de main ensanglantée sur le bord de l’évier, attenant à l’escalier de la cale.
– Ça ne sent pas bon ça !
Quittant des yeux les essuie-glaces du bateau fixés sur la vitre en face de lui, il s’abaissa pour rejoindre la pièce du bas. Le bruit de ses talons résonnait dans le silence nocturne.
Devant lui, une femme se tenait de dos, assise sur un lit, les bras ouverts, paumes vers le haut, en position de pharaon.
–Mais qu'est-ce que c'est que... bégéya l'agent, ses mains posées sur les épaules de la femme afin de la retourner.
Son action fut brusquement avortée par la vision de l’abominable. En premier réflexe, il appuya aussi fort que possible sa main sur sa bouche pour s’empêcher de crier et se pinça le nez très fort en fermant les yeux. Son autre main tutoya son ventre.
Au bout d’une minute, il relâcha son étreinte, mais mordit dans son index pour essayer de se calmer. Devant lui, les yeux grands ouverts, Stana, couverte de sang, un trou béant dans la poitrine, ne bougeait plus. Charlie souffla à coups de grandes bouffées. Grimaçant, il s’approcha du corps mutilé, en tendant le bras avec hésitation, pour lui prendre le pouls sans grande conviction de sa survie.
Le jeune homme baissa la tête.
- Elle est morte putain, je suis le prochain !
Pris de panique, Charlie recula, tournoya sur lui-même et secoua ses mains dans tous les sens comme si elles le brûlaient.
- En plus, je ne peux pas appeler les flics !
Il inspira et expira violemment plusieurs fois puis mit ses doigts en position mudra pour retrouver son calme.
– Allez Charlie, reprends-toi ! L’air du vent, l’air du vent. Pocahontas tu n’es que l’air du vent. John Smith, oui John Smith.
C’était la seule chose qu’il avait trouvé avec son psy pour s’apaiser ; penser à John Smith et chanter l’air du vent de Pocahontas.
Charlie surmonta le choc et tenta de réfléchir pragmatiquement pour trouver une issue.
– Fais fonctionner tes neurones, réfléchis. Bon, bonne nouvelle, elle ne peut plus rien contre moi. La mauvaise, elle est morte. Oh la la, il faut que je me taille et vite fait.
Tout en reculant, il remarqua un détail que le choc l’avait empêché de voir. Sur une des paumes de la victime gisait son cœur.
- Oh quelle horreur !
L'agent se retourna de dégoût. Puis, se força à regarder la seconde paume. Une plume.
– Un malade, quel malade !
Intrigué par une inscription sur le torse de la victime, il s’approcha, la main devant sa bouche, surmontant ainsi son écœurement.
– Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
Sa curiosité aiguisée, l’agent traqua le moindre objet qui pourrait l'aider. Dans un coin, près d’une carte de navigation, le Graal se révéla.
– Une loupe, ça peut servir.
Il repensa également aux gants à l’étage et alla immédiatement les récupérer. Les enfilant à toute vitesse, il dégaina sa loupe qui révéla des symboles égyptiens :
Un pied, un oiseau, un pied, une note, un œil et une main. Et un ânkh renversé en-dessous.
– J’n’aurais pas dû sécher autant les cours d’histoire ! Mais heureusement Google est là !
Il attrapa son sésame et chercha la signification de ces hieroglyphes en triturant son mobile.
– BABORD. Je suis bien avancé. Attends, bâbord c’est la gauche d’un bateau, ce taré veut que j’aille à gauche. Un piège, ça sent le piège.
Tout en reculant davantage, il s’adressa au cadavre.
– Désolé ma chérie, je suis désolé.
Rattrapé par son tempérament de morveuse, il ne put se retenir de lâcher : mais tu as été peste quand même !
Charlie contourna le corps et se dirigea vers la sortie. En pressant l’allure, il s’arrêta net en pensant à son amie Sasha. Elle est sûrement là. À babord...
Ravagé de remords et piqué par sa curiosité légendaire, il fit demi-tour pour s’orienter vers la gauche du bateau, et passa devant l’escalier menant à la terrasse du yacht.
- Sasha, Sasha, appela t-il, à voix basse.
Zigzaguant entre les obstacles sur sa route, il s’extirpa de la dernière grande marche en s’accrochant à la rambarde. Bien stabilisé, il se pencha et aperçut aussitôt des bras attachés au cordage d’une bouée pare-battage orange et un corps à demi-immergé dans l’eau.
– Sasha, merde.
L’agent dénoua les nœuds et tira de toutes ses forces pour remonter son amie. Ses bras n’étaient pas très musclés, mais l'adrénaline décupla sa force. À l’aide de son genou, il bascula l’actrice pour la mettre à terre.
– Sasha, Sasha tu m’entends ? Ouvre les yeux !
La jeune femme ne répondit que d'un claquement de dents.
Charlie décocha trois grosses baffes dans la figure de son amie pour la réveiller.
– Allez, allez !!
L'actrice reprit légèrement connaissance.
– Allez, on doit se tailler ! Accroche-toi ! On va te réchauffer.
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