Mariella aimait particulièrement la nuit, quand elle pouvait profiter du calme. Dans un rêve, elle avait vu son avenir changer, un soir, au clair de lune. Elle faisait une rencontre extraordinaire. C'est pourquoi elle se rendait tous les jours dans un endroit secret, connu d'elle seule.

Elle appréciait les enfants et leur énergie communicative, mais lorsqu'elle avait fini sa journée auprès d'eux, elle n'était pas contre un peu de plénitude. Elle s'éloignait du brouhaha et des sollicitations diverses des membres de sa famille et se retrouvait avec ses pensées, toujours tournées vers le lointain.

Au moment du crépuscule, lorsque le soleil déclinait, elle s'allongeait sur un rocher et chantait. La musique l'apaisait. Bientôt elle se retrouvait entourée d'oursins, de crevettes et de langoustines charmés par sa mélodie.

Ils n'étaient pas les seuls, ce soir-là, à être envoûtés. Non loin de la côte, un pêcheur avait posé sa barque et essayait d'attraper dans son filet des palourdes, des étoiles de mer ou bien des poissons pour nourrir sa famille. Ses cannes accrochées au bord du bateau tanguaient au rythme doux des vagues. Le temps était calme, le ciel bleu limpide. Quelques étoiles brillaient intensément. Il s'était assoupi sur le petit tas de cordes qui lui servait de siège. Il serrait ses maigres vêtements autour de sa poitrine. Ses pieds nus reposaient au fond du bateau. Aucun bruit ne se faisait entendre.

Soudain, il perçut une étrange mélodie. Il ne savait pas s'il devait avoir peur. On ne pouvait être indifférent à cet air envoûtant qui transperçait l'atmosphère. Il se disait qu'une îlienne s'était certainement éloignée du groupe pour faire sa toilette. Mais dans la nuit quelque chose scintillait et illuminait un bout de roche.

Il se frotta les yeux, encore et encore pour mieux voir ce qui brillait. Il fit avancer doucement sa barque vers l'apparition lumineuse. Il veillait à ce que les clapotis produits par ses coups de rame dans l'eau n'attirent pas l'attention. Ainsi il s'approcha peu à peu d'une silhouette. C'était un corps de forme allongée. Il distingua un buste surmonté d'une charmante tête avec un visage mutin et une bouche délicate. Elle était tournée vers le ciel, ses bras ondulaient en rythme. Son corps se terminait par une queue de poisson aux écailles multicolores. C'était un ravissement pour cet homme simple qui n'avait jamais rien vu d'aussi merveilleux.

Cramponné à son bateau, silencieux, ébahi, il réalisa qu'une sirène se trouvait devant lui. Sa mère lui avait raconté de nombreuses histoires de pêcheurs qui s'étaient perdus, attirés par les chants de ces magnifiques créatures. En l'observant il se dit que cette apparition extraordinaire ne pouvait être maléfique. Tous ses sens étaient en éveil, son corps frissonnait. Il avait une grande chance, celle de rencontrer une nymphe légendaire.

De père en fils, on racontait qu'elles détenaient des pouvoirs célestes. Il se demandait quelle attitude adopter. Se taire, l'aborder ? Lui parler ? Mariella le découvrit soudain tout près d'elle. Elle fut surprise, mais un beau sourire illumina aussitôt son visage. Naturellement, de sa voix douce et limpide, elle lui demanda :
— Êtes-vous un de ces hommes qui attrapent les poissons ?

— Oui, je suis un pêcheur, c'est mon métier. Notre seule nourriture quotidienne se trouve ici, dans la mer.

— Pauvres poissons !, s'exclama-telle. Je les affectionne tout particulièrement, ce sont mes amis.

— Je comprends, mais nous n'avons rien à manger, répondit le pêcheur en baissant les yeux.
— Je ne vous en veux pas, c'est ainsi que fonctionne l'univers, je suppose.

— En effet, nous n'avons pas le choix.
Il regarda attentivement cette apparition miraculeuse. Sa voix tremblait un peu, ses jambes flageolaient. Il voulait que ce moment dure le plus longtemps possible. Est-ce qu'elle allait disparaître comme par enchantement ? Était-elle magique ?

— Savez-vous ce qu'on dit sur les sirènes ?, osa-t-il lui demander pour qu'elle reste encore un peu auprès de lui.

— Oui, il paraît qu'elles entraînent au loin les pêcheurs qui ne reviennent jamais. C'est une légende ! Je ne suis pas comme ça !, s'exclama-t-elle, tout en découvrant sa dentition parfaite. Je suis tellement heureuse de rencontrer un humain et de lui parler. Jusqu'ici je n'en avais vus que de loin.

— Mon rêve, c'est de mieux vous connaître, déclara-t-il. Je suis le plus heureux des hommes. Pouvez-vous rester longtemps hors de l'eau ?

— Oui, quelques heures.

— Que mangez-vous ?

— Des algues, des herbes de tortue. Et vous, comment faites-vous pour pêcher ?

— Je lance mon filet loin dans la mer, il coule et je serre les extrémités pour enfermer mes prises.

C'est un travail difficile.

— Pourquoi pêchez-vous la nuit ?

— Parce que les poissons sont calmes. Ils somnolent, ainsi ils sont pris par surprise.

— Mon rêve est de voyager dans la mer si possible sans que mes parents le sachent car ils ont peur de l'inconnu et craignent de me laisser partir explorer ce monde si merveilleux. Auriez-vous une solution pour qu'enfin il se réalise ?

L'homme réfléchit, essayant de trouver un moyen de s'échapper pour cette jolie créature.

— Ma mère m'a parlé d'une formule magique que les sirènes utilisaient autrefois, paraît-il. Elle lit beaucoup. Elle a découvert celle-ci dans un vieux grimoire.

— Ce serait formidable ! Vous rappelez-vous cette phrase magique ?

— Je sais que nous devons la prononcer la nuit en tenant un poisson dans notre main. Il faut ensuite souffler sur le poisson pour que le vœu se réalise, expliqua-t-il.
— Accepteriez-vous qu'on essaie ensemble ?

— Pourquoi pas ? Je ne suis jamais parti en voyage, je pourrais vous accompagner dans les profondeurs, qui sait ?

— Croyez-vous à la magie ?

— Oui, je pense qu'un monde meilleur existe pour ceux qui savent l'utiliser. Voyez-vous, ce soir, je parle avec une sirène, alors, oui, tout est possible.

Il prit sa tête entre ses mains, essaya de se concentrer. Mariella faisait de son mieux pour modérer son impatience. Son sourire éclatant éclairait ce petit coin rocheux, sa queue s'agitait doucement dans l'eau. Elle souhaitait tellement que ça fonctionne.

— Je me rappelle !, dit-il soudain. Elle m'a dit : "Si un jour tu veux connaître le monde des sirènes, répète trois fois :

— Anda me, anda me, anda me !"

Je dois d'abord pêcher un poisson, sinon le sort ne sera pas complètement réussi. Je vais vous aider, dit Mariella, je n'ai jamais pêché de ma vie ! Le pêcheur l'aida à se hisser sur le bateau. Il n'en revenait pas, une sirène se trouvait sur sa modeste barque. Il attrapa son matériel et prépara une canne pour la demoiselle. Il mit un appât au bout de l'hameçon et tendit le tout à Mariella. Elle se positionna de façon à ce qu'elle puisse au moment voulu ramener le poisson dans le bateau.

— Dès que vous sentez qu'il mord à l'hameçon, vous tirez d'un coup sec !, lui conseilla-t-il.

Elle n'avait pas beaucoup de force dans ses bras. Elle doutait de ses capacités. Cependant, elle voulait apprendre et sa récompense serait d'obtenir une prise. Le pêcheur s'installa à ses côtés avec un grand sourire. Ce moment était magique et comme irréel. Un homme et une sirène sur un bateau en train de pêcher. Chacun patienta comme il put, les fils demeuraient tendus, immobiles dans l'eau. Pas un seul poisson ne venait piter.

La lune éclairait l'embarcation. Ces deux êtres improbables ainsi réunis offraient un charmant spectacle. Tout à coup, la canne de Mariella vibra dans ses mains délicates. Les à-coups puissants la déstabilisaient, elle devait serrer fort la tige de bois pour ne pas être entraînée dans l'eau. Le pêcheur lâcha la sienne pour venir à son aide. Leurs quatre mains enserraient le manche. Il actionna le moulinet qui remonta leur prise, un joli poisson brillant et plat.

— Hourra ! crièrent-ils en choeur.

Le pêcheur décrocha le poisson de l'hameçon, le déposa dans ses deux mains et commença à dire la formule :

— Anda me, anda me, anda me !

Il souffla dessus avec l'énergie de celui qui était rempli d'espoir. Il donna la main à Mariella, dans l'attente de ce que lui réservait l'avenir. Rien ne se produisit. Sa mère ne lui avait-elle pas dit des sornettes ? S'y connaissait-elle vraiment en formules magiques ?

Il commençait à maudire sa naïveté lorsque son filet qui était plongé dans l'eau remonta à leur niveau. Ils furent soulevés par un courant d'air chaud et installés ensemble au creux des mailles. Chacun s'étonna de ce qui venait d'arriver. Ils se regardèrent, les yeux arrondis par la surprise. Ils empoignèrent alors les bords de leur embarcation aussi confortable qu'un hamac. Celle-ci s'immergea dans l'eau chaude de l'Océan avec ses deux occupants aussi ravis que stupéfaits par ce voyage improvisé. Où les emmenait-il ?