Chapitre 3 : Le 9 mars 2020

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Le huitième étage de l'Institut Haut-Cour tranchait avec celui dont venait Chris : il ne s'agissait gère plus que d'un petit corridor, cinq portes contre plusieurs centaines au cinquième. Le professeur Garner passa un badge sur le boîtier attenant à la première et un double battant s'activa. Il fit signe au jeune homme d'entrer à sa suite tandis que Yurian, qui les suivait, alla naturellement se poster devant l'entrer, droit comme un i et le regard planté droit devant lui.

Chris oublia son surveillant attitré dès qu'il découvrit les dimensions de la pièce, comparables à celles d'un gymnase ! Circulaire, un plafond en forme de dôme couvert par un entrelacs de racines phosphorescentes, la pièce était étonnement... vide. Tout juste y avait-il une sorte de panneau de contrôle au centre, avec quelques claviers et écrans de petite taille. Cela semblait risible.

— C'est ça le « planétarium » ? questionna le jeune homme. Il n'y a rien ici.

Il ne savait pas exactement à quoi il s'était attendu, à une grande bibliothèque peut-être ? Ou à un télescope géant ? Dans son esprit, "planétarium" rimait bien avec "observatoire".

— Je comprends ta réaction, affirma le professeur avec un fin sourire, mais tu ne va pas être déçu crois-moi. Approche du centre.

Le scientifique portait une tenue encore plus ridicule que le jour de leur rencontre, chose que le jeune homme aurait pourtant juré impossible. Cette fois, il s'agissait d'une sorte de large robe rouge avec des frou-frous. Combiné au physique relativement massif de cet homme, avec sa mâchoire carrée et son crâne dénudé, le résultat était sidérant. Chris s'efforçait de ne pas le regarder, mais il n'avait rien d'autre sur quoi se fixer à cet endroit.

Garner pianota sur un clavier, très semblable à ceux d'ordinateurs du vingt et unième siècle. Un petit bras articulé se déploya par-dessus le bureau et le scientifique présenta une fois encore son badge, à la suite de quoi un grondement se fit entendre. Il semblait provenir du sol.

Un flash de lumière inattendu obligea Chris à se protéger les yeux. Lorsqu'il les rouvrit, il flottait dans l'espace ! En réalité, une projection du système solaire se déployait autour de lui, les planètes gravitant autour des deux hommes tandis qu'un soleil majestueux brillait par-dessus le panneau central.

— Des hologrammes ? s'exclama Chris, finalement impressionné.

Le professeur Garner acquiesça tout en enfilant une paire de gants très fins. Ensuite, il fit quelques mouvements avec ses doigts et le décor changea, zooma : ils se retrouvèrent légèrement en retrait par rapport à la lune, face à la Terre qui tournait lentement sur son orbite.

— Chris, tu nous as beaucoup questionné sur notre technologie, introduisit Garner. Tu t'étonnais tu peu de changement, compte tenu du temps passé « selon nous », n'est-ce pas ?

Le jeune homme grimaça en raison du sous-entendu, il n'avait pas enterré tous ses doutes mais hocha la tête. Il se concentra sur les petits détails sur la surface du globe. Il avait vraiment l'impression de voir sa planète depuis l'espace, la Terre telle qu'il s'en souvenait. Une vision magnifique.

— La raison à cela, continua le scientifique, est que l'humanité a fait face à un la plus grande épreuve de son existence. Bien... allons directement au moment clef.

Il fit un nouveau geste et tout s'immobilisa. L'Europe était plongée dans l'obscurité.

— L'environnement que nous visualisons est une représentation de la nuit du 9 mars 2020, annonça Garner.

— C'est...

— La dernière nuit dont tu te souviennes à ton époque, oui.

Tandis qu'il parlait, la vue s'approchait de plus en plus de la lune, jusqu'à ce que quelque chose attire l'attention de Chris. Un tout petit objet, brillant, s'approchait de la Terre.

— Une météorite ? proposa-t-il.

— Un objet stellaire d'approximativement dix mètres de diamètre, confirma Garner.

— Et il va... entrer en collision ? Ne me dites pas que...

— La Terre subit chaque année de nombreux impacts météoritiques, expliqua le scientifique. Un objet de cette taille n'est pas rare et sans grand danger. Celui-ci, repéré par tes contemporains, était destiné à tomber au beau milieu de l'océan, après avoir perdu l'essentiel de sa masse dans l'atmosphère.

— Mais ça n'a pas été le cas ?

Garner sourit. L'image changea encore, trop vite pour Chris qui en fut légèrement déséquilibré. Ils n'étaient pas très loin du sol désormais, un paysage coloré — quoique plongé dans l'obscurité nocturne — se déployait sous eux. Le jeune homme pouvait deviner une grande ville au centre. Puis la météorite holographique passa à travers lui. Rouge comme le magma, embrasée, elle se dirigea vers l'agglomération comme un boulet de canon.

— Cet objet a défié la logique, reprit le scientifique. Il n'a pas subi de dégât au contact de l'atmosphère, tout juste a-t-il été légèrement dévié... une bien mauvaise nouvelle, puisque cela l'a propulsé droit vers le continent européen. Et, personne ne se souciant vraiment de cet évènement, il n'y a pas eu d'alerte à temps.

— Quelle est cette ville ? questionna Chris.

Bien sûr, il connaissait déjà la réponse. Tandis que Garner les rapprochait une fois de plus, il ne fut pas surpris de reconnaître le clocher de la cathédrale de Strasbourg. Puis la météorite s'écrasa en plein cœur de la ville historique, une boule de feu se propagea aussitôt autour du point d'impact.

Garner les fit reculer, Chris commençait à s'habituer à la sensation que cela produisait. Le souffle coupé, il observa une onde de choc qui se dessinait en marge de l'explosion, l'accompagna des yeux tandis que les bâtiments étaient pulvérisés les uns après les autres. C'était comme regarder un film catastrophe en trois dimension, mais qui se passait chez lui !

— Accélérons, annonça Garner.

L'onde destructrice perdit vite en ampleur, la poussière de l'impact retomba et le jour vint éclairer un large cratère, entouré par des ruines et des incendies. Chris ne trouvait pas les mots, ce territoire ravagé était sa ville, celle où il avait passé les trois dernières années de sa vie. Elle venait d'être pulvérisée sous ses yeux. Toute la région avait été balayée comme un fétu de paille sous un orage.

Puis vint la réalisation : il ne s'agissait pas d'un film. Cette scène se serait réellement produite, auquel cas sa famille, ses amis...

— Près de deux millions de morts, annonça le professeur en devançant ses question. Deux fois plus de blessés graves et, bien sûr, une région complètement ravagée. Une catastrophe sans commune mesure depuis les guerres de la première partie du vingtième siècle.

Le regard de Chris dériva vers la bordure du cratère. Il pouvait situer sa résidence universitaire dans cette zone, vaporisée. Cette pensée lui sembla aussitôt égoïste, si tant de personnes avaient perdu la vie. De fait, il se découvrit à genoux, sans souvenir de s'être laissé tomber. Le jeune homme se releva en prenant appuis sur le panneau central — dont il avait presque oublié la présence.

— Vous m'avez montré ça pour... vous pensez que c'est cet évènement qui m'a propulsé dans le futur ? Que, d'une manière ou une autre, cet impact...

— C'est une théorie, en effet, approuva Garner. Quoique tirée par les cheveux et dénuée du moindre début d'explication scientifique. Mais ce que je t'ai promis, c'est l'Histoire de l'humanité depuis ton époque, pas la réponse à ce qui t'es arrivé.

— Que voulez-vous dire ?

— Cet impact, si horrible qu'il ait été, n'était que le précurseur d'une tragédie bien plus grave. L'objet stellaire qui s'est écrasé sur Strasbourg est communément nommé "l'Artefact", ou encore "la Pierre du Renouveau". Une appellation qui frôle de mauvais goût, selon moi. Cette Pierre se révéla un mystère sans pareil : en étudiant sa surface, les spécialistes en vinrent à la conclusion qu'il s'agissait d'un élément qui ne pouvait pas exister naturellement. Puis les gens ont commencé à tomber malade.

— Malade ?

— Dans la semaine qui suivit le crash, de nombreuses personnes ont commencé à se plaindre de nausées et de migraine aiguës, surtout en Europe centrale. Faisant déjà face à une épidémie mondiale, le monde s'est mis à en craindre une seconde, mais il n'y avait pas trace de virus chez les victimes.

— C'était la météorite, devina Chris.

Garner hocha la tête avec gravité.

— L'Artefact avait commencé à libérer une forme de radiation. Au départ modéré, le flux de particules ne cessa de s'accélérer. En à peine deux semaines, toute la planète était concernée. Dans le même temps, les symptômes s'aggravaient et de s'accéléraient : deux mois après l'impact, des patients sans problème au lever mourraient de terribles hémorragies le soir même.

— On a bien dû faire quelque chose, s'emporta le jeune homme. Ils ont bien dû faire le lien non ?

Le professeur lui accorda un petit sourire.

— Un beau miracle pour ton époque : toutes les nations se sont associées en un rien de temps. Elles ont permis la construction rapide d'un sarcophage, comparable à ceux déployés lors des catastrophes nucléaires. Cette union historique fut à la hauteur de son échec : la radiation stellaire ne fut même pas freinée.

Chris maîtrisa un frisson tandis que l'affichage holographique reprenait de la distance avec la Terre. Des chiffres s'affichèrent à l'écran, des pourcentages qui ne cessaient de grimper partout sur le globe, tandis qu'un compteur de jours s'égrainait.

— De quoi s'agit-il ? s'inquiéta-t-il. De la progression de la contamination ?

— Des décès, rectifia Garner.

Chris se raidit tandis que l'horreur grandissait en lui. La barre des 50% avait été depuis longtemps franchie sur la totalité du globe ! Puis soudain, de grosses tâches rouges se déployèrent, sur l'Europe, la Russie et les États-Unis.

— Qu'est-ce que...

— Oui, cela devient difficile à lire... trop de données, constata froidement le professeur. Il s'agit du deuxième impact.

— Un deuxième météore ? explosa Chris.

— Non, mais cela ne valait guère mieux : les réactions nucléaires s'emballèrent tout à coup.

— Comment ? Mais quel rapport avec...

— La radiation stellaire se mit à libérer une forme d'antimatière... le procédé m'échappe,  un de nos experts pourrait t'en dire plus, mais je doute que tu en comprennes beaucoup plus que moi. Le fait est que des réactions se sont emballées, d'autres ont été neutralisées. Certaines centrales sont allées jusqu'à explosion, la plupart ont été désactivées à temps. Mais cet ultime coup de boutoir fit basculer pour de bon l'ancien monde dans le chaos.

Sous les yeux de Chris, la Terre qui continuait de s'assombrir. Naturellement, le jeune homme se concentrait sur la France : les 90% de morts avaient été dépassés. Neuf personnes sur dix avaient péri en l'espace de six mois et le phénomène ne s'arrêtait pas. Cela dépassait largement ce qu'il pouvait encaisser, réaliser. Il ne réfléchissait plus, ne parvenait plus à aligner une pensée cohérente. Non, il ne pouvait pas accepter ça.

La projection s'éteignit, laissant le planétarium réapparaître tel qu'il était à son arrivée. L'immense salle semblait glaciale désormais, comme une tombe.

Combien de temps resta-t-il sans bouger, sans parler, les yeux dans le vide ? Le professeur Garner ne le brusqua pas, il attendit calmement.

— Où sommes-nous ? demanda enfin Chris, d'une voix éteinte.

— Lorsqu'ils se sont rendu compte qu'il s'agissait de la seule façon de s'abriter, pour un temps, des radiations stellaires, l'élite de ton époque a opté pour des abris souterrains. L'Arche IV est l'un des cent-vingt sites destinés à la sauvegarde de l'humanité. Je ne parles pas uniquement des êtres vivants : la technologie, le savoir, toute l'Histoire a ainsi été sauvée.

Une fierté évidente se dégageait des propos du professeur, mais Chris ne pouvait partager son enthousiasme à cet instant. Son regard s'attarda sur le plafond de roche veiné de bleu. Il se trouvait donc sous terre. Cela expliquait l'énorme grotte découverte la veille.

— Vous n'avez jamais regagné la surface ?

— La radiation est toujours là, stabilisée. Sans les progrès scientifiques réalisés par les survivants, cette plaie aurait fini par nous atteindre même ici.

— De quels progrès parlez-vous exactement ?

Le professeur se caressa un instant le menton, puis secoua la tête.

— Tu vas avoir bien trop de questions. Je vais te fournir une carte d'accès, Yurian t'expliquera comment te servir de la console. Tu pourras venir chercher par toi-même les réponses à tes questions.

Tenté de protester, Chris y renonça : épuisé, vidé par cette séance de révélations, le jeune homme n'avait qu'une hâte : retrouver lit et digérer.

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