Chapitre 8 : En apesanteur (1/2)

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L'écho des talons de Sélène Duverne sur les pavés se propageait dans des rues désertes. Chris les arpentait à ses côtés, contraint de forcer l'allure pour se maintenir à la hauteur de celle qui lui servait de guide. Lui portait pourtant un pantalon et des bottes confortables...

Autant pour ma fierté.

— Madame Duverne ?

— Sélène, corrigea celle-ci.

— Sélène...

Il s'attarda sur ce nom, légèrement mal à l'aise. La femme du général lui faisait forte impression, il avait la sensation de s'adresser familièrement à un homme d'état. Avec son charme magnétique, sa prestance ou tout simplement ses atours— subtil équilibre entre chic et provoquant — Sélène en imposait, tout simplement.

— Pourquoi est-ce aussi calme ? finit-il par demander. Je n'ai presque croisé presque personne depuis mon arrivée dans le quartier.

Madame Duverne lui adressa un sourire charmeur.

— La majorité des citadins sont déjà au stade. J'y serais aussi, si mon mari ne m'avait pas fait prévenir au dernier moment que tu arriverais sous peu.

Ce qui explique la tenue.

— Ce "mechaball" est donc si populaire ?

Sélène prit le temps de le dévisager cette fois, sans ralentir la cadence pour autant.

— Notre monde est parfaitement structuré, répondit-elle enfin. Nous avons un emploi du temps établi dans lequel ce championnat a sa place, un rôle central même : il s'agit non seulement d'un divertissement qui attise les passions, mais aussi d'un cadre propice aux interactions sociales.

Malgré lui, cette réponse remémora certains termes employés par Lily : "réparer" plutôt que "soigner", par exemple. La gens de ce temps avaient-ils tous une vision des choses si... pratique ?

— Nous approchons, le stade est juste au-dessus de nous, prévint Sélène.

De fait, ils atteignaient le pied de l'un des piliers gigantesques qui soutenaient la voûte du quartier martial. Pour supporter la pression imposée par la masse de roche au-dessus de leur tête, Chris ne doutait pas que le cœur de la tour soit rempli. Des bâtiments avaient cependant été "suspendus" autour, tels des champignons sur le tronc d'un arbre. Des passerelles liaient même certaines de ces constructions à celles fixées aux piliers voisins.

Chris n'eut aucun mal à deviner quelle était leur destination : l'un des bâtiments se détachait des autres autant pour ses dimensions monstrueuses que pour sa forme sphérique. Cette construction tenait en place grâce à un entrelacement d'énormes racines tout autour de lui.

Un mélange d'architecture et de maîtrise végétale ?

Les végétaux qui couvraient la construction brillaient presque autant que les cœurs de Lumineas dominant le quartier. Utiliser une plante pour s'éclairer ne le choquait plus, mais compter sur des racines — fussent-elles gigantesques — pour soutenir un bâtiment en l'air ? Chris frémit à l'idée d'y poser le pied.

Arrivés à la base de l'énorme pylône, Sélène le guida vers une structure verticale qui ressemblait de loin à une tige posée contre la tour. Elle présenta un badge devant un détecteurs — les habitants de l'Arche en étaient décidemment friands — et une porte à double-battant s'ouvrit, révélant une cage d'ascenseur particulièrement spacieuse. Le jeune homme n'aurait pas été surpris qu'il soit possible d'y faire tenir cent personnes.

Quelques instants plus tard, l'élévateur s'immobilisait une centaine de mètres plus haut. Lorsque les portes s'ouvrirent, Chris fut une fois de plus pris par surprise : le couloir qui s'ouvrait à lui était feutré et garni de portes dorées. Un dépaysement choquant, eût égard au style "sobre et efficace" incarné par le monde des Arches. Par ailleurs, tout était calme à cet étage. Il se serait davantage crut à l'entrée d'un hôtel huppé que dans un stade.

— Hé bien ? Presse-toi, ça va bientôt commencer ! l'encouragea Sélène, déjà engagée dans le corridor.

Le couloir donnait sur une succession de portes en bois foncé et ouvragé, espacées de quelques mètres seulement. Aux côtés de Sélène, Chris se sentit ridicule avec son uniforme bleu des plus ordinaires. Il n'était pas à sa place.

Des individus en uniforme blanc montaient la garde devant certaines portes. Heureusement, Sélène indiqua l'une des premières issues et il n'eut à affronter le regard d'aucun de ces militaires.

Il faut que j'arrive à dépasser ce blocage : je m'apprête à vivre un moment chez l'un des plus hauts gradés de l'Arche !

— Voici notre loge, introduisit madame Duverne.

Dès que la porte fut ouverte, un brouhaha de cris et de chants le cueillit à froid ! Ignorant les quatre sièges molletonnés meublant le petit balcon, il fut irrésistiblement attiré par la rambarde.

Je n'ai plus entendu pareille cacophonie depuis... ai-je déjà connu ça ?

Des rangées de gradins bondés s'étiraient à perte de vue. Des dizaines de milliers de personnes se pressaient là, peut-être même des centaines de milliers ! Depuis sa sortie du coma, il n'avait pas aperçu plus d'une vingtaine de personnes à la fois. Il se sentit soudain... moins seul.

L'édifice se présentait à la façon d'un colisée antique, avec des rangées de sièges en étage. En revanche, plutôt qu'une scène une immense sphère occupait le centre de la bâtisse. À vue d'œil, Chris estima l'objet à pas moins de cinquante mètres de diamètre. La boule géante apparaissait comme transparente — floue, mais il devinait la tribune opposée — pourtant il ne repérait rien à l'intérieur. Elle semblait parfaitement vide.

— Tu devrais t'assoir, l'invita Sélène.

La voix de son hôtesse le ramena sur terre. Cette dernière avait déjà pris place et lui indiquait le siège voisin du sien. Entre eux, Chris remarqua une petite table sur laquelle trônaient deux coupes contenant un liquide gazéifié.

— En quoi consiste ce sport exactement ? questionna-t-il tandis que la foule entonnait un nouveau chant.

Si le morceau lui était inconnu, l'air lui rappelait vaguement des musiques pop rock de son temps.

— Les joueurs entrent en scène, contra Sélène en souriant.

Comme les mots de la femme du général mourraient, des plaques de métal géantes se mirent en mouvement au-dessus le stade. Les racines éclairait l'enceinte furent bientôt dissimulées, puis de puissants projecteurs furent dirigés sur la sphère centrale.

Un grondement joyeux se répandit dans les travées. Chris remarqua que deux plateformes s'élevaient au cœur du "terrain de jeu". Elles s'immobilisèrent au centre de la structure, révélant deux groupes de silhouettes impressionnantes. Penché en avant, le jeune homme tentait encore de déterminer de quoi il s'agissait lorsque Sélène tapota doucement la rambarde sous son nez. Une plaque de métal se décala, révélant un écran. Celui-ci présentait une image grésillante du centre du terrain.

— Il y a deux équipes de six, annonça Sélène.

— Et ils portent quoi ? Des armures ?

Chacun des joueurs était engoncé dans une combinaison qui lui donnait davantage l'air d'un robot que d'un être humain. À y regarder plus attentivement, cet équipement n'était pas si massif qu'il lui avait paru au premier abord : les renforts semblaient concentrés sur les articulations ou dans le dos, il pouvait deviner certaines parties du corps des participants. Par contre, tous portaient un casque.

Les deux équipes se distinguaient par la couleur de leur équipement : une en rouge, l'autre en vert. Cependant, des spécificités apparaissaient au sein de chaque camp. Un joueur portait ainsi des sortes d'antennes, un autre avait été affublé d'ailes de mouche dans le dos. En fait, pas un n'était parfaitement semblable à l'autre.

— C'est bien le terme "d'armure" qu'on emploie, confirma Sélène. Outre son caractère protecteur, cet attirail comporte des propulseurs et un bouclier individuel. Le tout est alimenté par un générateur à puissance fixe, homologué par la ligue. Pour le reste, chacun est libre de modifier sa tenue à sa guise. Alors, as-tu une idée du contenu du spectacle qui t'attends maintenant ?

Perdu par ces informations catapultées, Chris prit le temps d'observer les deux groupes qui semblaient se défier du regard. Lui-même fronça les sourcils : pouvaient-ils seulement bouger avec tant de poids sur le dos ? Alors qu'il songeait que Lily se trouvait peut-être parmi eux, sans prévenir, les deux plateformes cédèrent d'un coup !

Ces estrades chutèrent comme des pierres ! Le jeune homme bondit sur ses pieds, incapable de reprendre une respiration... jusqu'à ce qu'il découvre que les joueurs n'avaient presque pas bougé ! Les concurrents lévitaient dans les airs !

Dans les gradins, la foule rugit de plus belle. Chris entendit un petit rire dans son dos et se tourna vers Sélène, qui le fixait d'un air amusé.

— Ils volent ? explosa-t-il.

— Ils sont en apesanteur, corrigea Sélène. Je t'ai parlé de propulseurs, tu vois le lien maintenant ? Regarde, les deux capitaines se rapprochent pour le salut rituel.

Mêlant le geste à la parole, la femme du général toucha leur petit écran et l'image zooma sur deux compétiteurs qui se rapprochaient l'un de l'autre. Tous deux semblaient s'appuyer sur leurs mains pour se déplacer, une scène qui rappelait irrésistiblement les mouvements aériens d'un héros en armure du vingtième siècle...

La carrure du vert était incroyable. Avec son équipement, il avait vraiment l'air d'un véritable robot de combat, ne lui manquait qu'une paire de canons sur les épaules. La combinaison du rouge pâlissait en comparaison : bien plus fine, toute juste était-elle munie de sortes d'ailerons derrière les quatre membres et d'un casque rouge vif qui rappelait le bec d'un oiseau. Tandis que Chris s'attardait sur ce dernier, la protection partit tout à coup en arrière, révélant le visage de son propriétaire : Lily.

La jeune femme qui portait toujours ses cheveux aussi courts avait ceint un bandeau aux couleurs de son équipe sur le front. Elle avait quelque chose de différent pourtant... Chris lui trouva quelque chose d'héroïque à cet instant. Il s'agissait peut-être de son sourire carnassier, ou du regard brûlant d'exaltation qu'il avait l'impression de discerner sur la vidéo.

Les deux opposants se tendirent une main, dans un geste qui tint davantage d'un échange de coups que d'une salutation respectueuse. La foule s'égosilla si fort en réponse que Chris cru sentir un tremblement dans le stade entier. Puis une voix s'imposa dans tout l'espace :

« Bonjours à tous mes amis ! Aujourd'hui la ligue de L'Arche IV nous réserve un duel monumental ! Les Aigles ardents poursuivent leur remontée fulgurante, pourront-ils décrocher un nouveau titre ? »

L'assistance répondit avec un tonnerre d'applaudissements et de hurlements joyeux. De puissantes acclamations « Les Aigles, les Aigles ! » explosèrent de toute part. Chris ne parvint pas à identifier de zones spécifiquement dédiées aux supporters d'un camp ou de l'autre.

Les membres de l'équipe de Lily levèrent triomphalement leurs bras en l'air, puis firent mine de saluer la foule. Lily réintégra leur rang en adressant elle aussi des signes enthousiastes à ses partisans.

« Si la course au titre n'est plus possible pour eux, les Ogres destructeurs ont montré de belles choses cette année ! Ils ont même écrasé les Aigles lors de leur précédente confrontation ! Sauront-ils renouveler cet exploit ? » reprit le présentateur, suivi par une nouvelle ovation.

— La dernière fois, Lily était convalescente, intervint madame Duverne tandis que Chris se rasseyait.

— Donc ils flottent dans les airs et se servent de propulseurs pour bouger... quel est le but du jeu ?

—Tu vois les triangles lumineux qui viennent d'apparaître de chaque côté du terrain ?

Chris se concentra. En effet, deux zones bien déterminées brillaient désormais d’un éclat bleuté. Après avoir salué le public, les deux équipes s'éloignèrent l'une de l'autre et, sur l'écran vidéo de leur loge, le jeune homme vit apparaître une petite carte "stratégique". Chaque compétiteur était représenté par un point de la couleur de son équipe.

La position prise par les deux groupes permettait de deviner qu'ils entendaient défendre la zone bleutée de leur côté, il s'agissait donc logiquement de l'objectif du camp adverse. Un tube se déploya alors au sommet du terrain avant de lâcher un petit objet rond qui descendit lentement. Le jeune homme eut un éclair de compréhension.

— Une balle, c'est donc une sorte de handball moderne ? déduisit-il.

— Je ne connais pas le sport dont tu parles, mais s'il s'agit d'un jeu où l'on se saisit de la balle à la main, cela y ressemble. Bien sûr, je te réserve quelques surprises...

« Que le match commence ! » s'égosilla le présentateur.

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