Chapitre 18 : Leçon brutale (1/2)

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Une odeur de sapin et d'épicéas lui chatouillait les narines, tandis qu'un souffle de vent — faible mais glacial — caressait son visage. Avant même d'ouvrir les yeux, il sut où il se trouvait. Il ne passait plus une nuit sans qu'il ne se retrouve dans ce cabanon, perché sur cet arbre colossal.

Le regard de Chris se porta sur le mobilier. Lors de sa précédente visite, il avait fracassé les chaises et jeté la table par la fenêtre. Trouver ces meubles à leur place et en parfait état ne le surprit pas outre mesure, cependant. Dehors, le soleil trônait bien haut dans le ciel alors qu'il aurait dû faire nuit.

Des rêves ordinaires, oubliés si tôt éveillé, le jeune homme en faisait toujours. Ceux dans la cabane étaient différents : il vivait pour de bon ces chimères-là. Chris s'y sentait parfaitement conscient, savait que rien n'y était réel, même s'il ne contrôlait rien. Il ne pouvait s'empêcher d'atterrir à cet endroit, ni ne pouvait se forcer à se réveiller.

— Alors, tu vas jouer leur jeu ? l'interrogea une voix familière.

Chris leva les yeux sur l'Ombre, qui traversait la pièce nonchalamment. Il distinguait presque parfaitement sa silhouette désormais, celle d'un individu grand et massif, quoiqu’un peu moins que lui.

— Le jeu de qui ?

Il questionnait, tout en sachant qu'il n'obtiendrait pas de réponse. Il n’en obtenait jamais. L'ombre lui sourit, des dents blanches au milieu d'une tâche de ténèbres, puis un cri imperceptible retentit dans le lointain. Chris en entendit rapidement un autre, plus proche : « Ils arrivent ! Ils sont là ! ». Ces cris se multiplièrent, se répercutèrent dans la pièce, venant de partout à la fois. Le cabanon se mit à trembler, puis le plancher explosa, précipitant le jeune homme dans le vide. Chris se laissa tomber sans s'inquiéter.

Il se redressa tranquillement, parfaitement alerte, dans le lit du complexe militaire où on l'avait assigné la veille. Un haut-parleur, dans le couloir, braillait des ordres.

« Rassemblement ! Exercice d'invasion sur le terrain C ! »

Des voix et des bruits de course se faisaient déjà entendre devant sa porte, mais le jeune homme resta sur place.

Dites-moi que ça ne va pas être comme ça tous les jours ! songea-t-il en se passant la main sur le front.

Maussade — ces rêves étranges semblaient empiéter sur son temps de repos —, Chris dégagea ses pieds des draps et entreprit d'enfiler son uniforme. Un petit symbole ornait la poitrine de son habit blanc, une coquille d'œuf brisée. Il l'identifiait comme un cadet de l'armée de l'Arche. Une image qui clamait qu'il venait de naître et avait tout à apprendre, selon Lily.

Je suis censé participer aux entraînements collectifs ?

Personne n'avait jugé bon de lui dire ce qu'impliquerait sa "formation". Il attendit un moment, mais on ne vint pas frapper à sa porte. Ce ne fut donc que pour répondre à l'appel de son estomac que Chris se décida à sortir. Il trouva rapidement le réfectoire, au bout d'un couloir voisin, et se servit à un self sans que personne ne fasse attention à lui. Le jeune homme prit place dans un coin isolée et jeta des coups d'œil discrets à son entourage en mangeant. La plupart des convives sortaient à peine de l'adolescence, mais il repéra quelques têtes familières parmi les plus âgés. Certains participaient au service dans les cellules. Il s'efforça de garder la tête basse.

— Bonjour Chris, bien dormi ? le salua soudain quelqu'un dans son dos.

Le jeune homme n'eut pas le temps de se retourner que la nouvelle venue tirait une chaise pour se joindre à lui.

— Major Taller ?

— Surpris de me voir ? Pas autant que moi, sûrement. Je devrais être partie en mission à cette heure, mes ordres ont changé à la dernière minute. Je mise sur l'intervention de notre chère amie... décidemment...

Lily ?

— Fini ton plateau, on va faire un tour dehors, trancha la militaire.

En suivant le major, Chris découvrit une succession de terrains dégagés qui s'alignaient devant le complexe militaire. Un groupe manœuvrait, sous les invectives tranchantes d'un instructeur. Peut-être le groupe convoqué dans son dortoir.

Le jeune homme repéra également un terrain de basket et un autre de tennis, ou du moins un sport utilisant un filet. Il se fit la réflexion que ce secteur aurait mieux porté le nom de "Quartier martial" que ne le faisait le centre de l'Arche.

— Suis-moi. On nous a fournis du matériel, annonça Taller en le guidant à l'écart de la troupe.

— C'est toi qui vas me former ?

— Il faut bien que quelqu'un s'y colle, non ?

Ils finirent par atteindre un terrain rocailleux largement isolé. Chris reconnu sans mal le dispositif placé au centre de l'espace : un générateur de bouclier. Il y avait également des mannequins. Ces éléments lui laissaient un souvenir cuisant.

Ou ils n'ont pas peur des réminiscences, ou ils manquent singulièrement d'imagination...

Taller s'approcha du moteur et sortit de ses proches un petit objet couleur ambre. Elle le glissa dans la machine qui se mit aussitôt à vrombir. Le jeune homme fronça les sourcils : l'écran énergétique attendu n'apparaissait pas, à la place l'air se contenta de vaguement se troubler face à lui.

— Le bouclier est actif ?

— Tu ne le vois pas ? Bien, voilà déjà un point intéressant, souleva le major.

— Comment ça ?

— Je ne t'ai pas encore dégagé de la racine de Pikral. Cette plante a été créée pour se nourrir d'Énergie Stellaire, pour empêcher les Sauvages de la manœuvrer. Cependant, au final, nous ignorons quel effet cela fait aux porteurs.

— Je ne suis pas...

— ... un Sauvage, oui, excuse-moi. Mais peux-tu me décrire exactement ce que tu vois ?

Chris s'y appliqua. De fait, il pensait bien voir l'énergie qui constituait le bouclier, mais ses yeux refusaient de faire le point. Lorsque le major injecta une dose d'Énergie à son collier et que la plante retomba sur ses épaules, sa vision s'ajusta à la manière d'un myope qui enfile ses lunettes. Une petite paroi translucide apparut pour de bon devant lui : elle formait un cercle de deux ou trois mètres de diamètre, tout au plus.

— On ne pourrait pas me retirer cette chose de manière définitive ? proposa le jeune homme.

— Seulement lorsque ta formation sera achevée. Mais tu es tranquille pour un moment avec la dose que je t'ai mis là.

— Et je dois faire quoi ? Comment me jugera-t-on "prêt" ?

— J'imagine que tu devras faire une démonstration suffisamment convainquante, subodora la militaire en haussant les épaules.

Chris grimaça. S’il n'était plus entre quatre murs, il devait toujours danser sur la musique qu’on lui imposait. Les paroles de l'Ombre lui revinrent en mémoire : « Tu vas jouer leur jeu ? »

— On commence par quoi ? questionna-t-il.

Le regard du major se dirigea vers le moteur, puis revint sur lui.

— J'ai combattu des Sauvages, mais n'ait jamais pensé à de leur demander comment ils procédaient, rétorqua-t-elle.

Chris la fixa, éberlué. Il ne s'était pas attendu à l'entendre plaisanter. Taller semblait toujours si mortellement sérieuse.

— Donc, en fait, je dois me débrouiller tout seul, conclut-il.

— À chaque fois que tu as fait... quelque chose... tu étais au contact d'un bouclier, pas vrai ? reprit le major. Je te propose de commencer par ça.

Le jeune homme acquiesça et s'approcha de l'écran énergétique. Il posa une main contre lui et trouva la force d'opposition attendue, rien de plus. La barrière demeurait parfaitement fixe, quoi qu'il fasse, et ne dégageait pas de chaleur.

— C'est plus fin, moins solide que la dernière fois, annonça-t-il néanmoins.

— Tu le vois ?

— Je dirais plutôt que le sens... c'est dur à expliquer.

— Tu as raison, en tous cas. La réserve d'énergie est plus petite que celle de ton expérience avec... bref, j'ai la consigne de ne te donner accès qu'à une puissance très limitée pour chaque essai.

Chris acquiesça distraitement.

Elle est au courant de ce qui s'est passé avec le colonel.

— À défaut de savoir comment les Sauvages utilisent leurs "pouvoirs", reprit Taller, je peux te donner quelques bribes d'informations sur eux. Pour commencer, notre technologie exploite des batteries, mais les Sauvages peuvent puiser de l'énergie directement dans leur environnement.

— Comment ça ?

— Tu te souviens que c'est en étudiant des fragments de la Pierre du Renouveau que nous avons découvert cette énergie ? L'atmosphère en est saturée à la surface.

— Je vois, ils puisent dans ces particules... mais vous, comment chargez-vous vos batteries ?

— De la même manière, par l'intermédiaire des dômes qui protègent les Arches. Ils filtrent ces particules, mortelles pour nous je te rappelle, et récoltent l'énergie qu'elles contiennent.

Ce procédé rappelait quelques notions de chimie étudiées par Chris.

— Et qu'arrive-t-il aux particules déchargées ?

— Le dôme les repousse, puis elles se rechargent naturellement. La durée de ce processus reste imprévisible, ce qui place une limite à la quantité d'énergie exploitable quotidiennement par une Arche, précisa la soldate. Nous ne pouvons pas la dépenser sans compter.

— Donc, il n'y a aucune de ces particules dans l'air que nous respirons ?

— Heureusement ! Même si le corps humain peut en tolérer une dose infime. Le processus de filtration a été rendu particulièrement efficace avec le temps, tout le matériel utilisé par les Patrouilleurs se base d'ailleurs sur cette technologie.

Tout en laissant glisser sa main paresseusement sur la surface du bouclier, Chris fut soudain intrigué.

— Quel est votre rôle ? Les Patrouilleurs, je veux dire.

La soldate grimaça.

— Tu en sait déjà aussi long sur nos activités que les civils de l'Arche, cela devra te suffire, trancha-t-elle sèchement.

Chris fixa la militaire, étonné par sa réaction.

— Tu as bien assez de sujets de réflexion comme ça, se défendit-elle. Pour information, il existe des sources d'Énergie Stellaire plus conséquentes : les éclats importants de l'artefact. Les Sauvages portent souvent des bijoux sertis de fragments de la Pierre.

Plus intéressé par ce que Taller refusait de lui révéler que par la "leçon" qu'elle lui prodiguait, Chris se retint d'insister. Il ne souhaitait mettre mal à l'aise ou braquer celle qui se présentait comme l'un de ses rares alliés.

Mais j'ai bien l'intention d'en apprendre plus à ce sujet !

— Ces morceaux de pierre céleste, ils se rechargent également ? demanda-il plutôt.

Le major sourit, comme si elle devinait le cheminement de ses réflexions.

— Cela aurait été bien pratique, mais le matériau brut s'effrite pendant l'extraction. Peut-être trouverons-nous une manière d'extraire l'énergie moins brutale ? Cela-dit, lorsque les Sauvages utilisent leurs colifichets comme arme, ceux-ci tombent également en poussière.

« Je pense que cela suffit pour pour aujourd'hui. » annonça soudain quelqu'un dans leur dos.

Chris se tourna vivement pour dévisager le colonel Fisher. Il n'eut besoin d'aucune étincelle pour qu'un brasier s'empare de lui.

— Qu'est-ce que vous faites là ? explosa-t-il.

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