Chapitre 27 : Un rêve mystérieux (1/2)
« Concentre »
Guidé par Soleya, Chris attira à lui toute l'Énergie Stellaire possible — le Souffle de Père, se corrigea-t-il. Il devait apprendre à penser comme le peuple de la surface.
Quelques semaines à Triam et il parvenait déjà à en rassembler nettement plus qu'il n'en avait jamais contrôlé dans l'Arche. Les lucioles brillantes qui constituaient son œuvre s'agglutinaient les unes aux autres, elles formaient une boule aussi lumineuse qu'un soleil tenant au cœur de ses mains. Il fut même tenté de détourner les yeux de sa création, mais s'il le faisait, celle-ci se disperserait immédiatement.
« Relâche »
Sans faire de fioriture, le jeune homme lança toute sa puissance contre le rocher en forme de menhir qui ornait le jardin de la prêtresse. Il maintint un contrôle intense sur le flux jusqu'au moment où son attaque allait atteindre sa cible. Puis tout lui échappa. L'Énergie s'égaya dans toutes les directions, laissant Chris à bout de souffle, vidé physiquement et psychologiquement.
— Cette fois, j'ai vraiment cru que j'allais le toucher, grinça-t-il.
Soleya sourit.
« Tu refuses toujours de l'accepter ? En échange de nos vœux, les prêtresses reçoivent de Père une habilité absolue à dissiper le Don. Tu ne pourras jamais me résister. »
Sa dernière phrase et le clin d'œil qui l'accompagnait n'avaient pas grand-chose à voir avec le Don, Chris l'aurait juré.
— Si Père vous a... nous as offert le Don, pourquoi en restreindre l'usage ? Je vous ai vu repousser des maladies, aider une fleur médicinale à germer ou même déplacer les rochers obstruaient un puits. Tant d'autres choses seraient possibles...
« Tu ne peux pas te contenter de suivre les règles sacrées ? Faut-il vraiment t'expliquer le fondement de chacune ? répliqua Soleya en secouant la tête. Bon, prenons un exemple : si tu utilises le Don pour déraciner un arbre, mais que le tronc tombe sur ton ami. Qu'adviendrait-il de lui ? »
— Le Don pourra le soigner.
« Vraiment ? »
Chris fronça les sourcils.
— Il faut un moment au Souffle de Père pour se restaurer...
Dans l'Arche, ils auraient parlé de recharge des particules.
« Et pendant ce temps, il sera impossible de venir en aide à ton ami qui mourra », confirma la prêtresse.
Mais ça ne s'arrête pas là.
Le jeune homme voyait clair, le culte pratiqué par ce peuple perpétuait une sorte de tradition liée à la religion. Sous couvert de lois sacrées, il établissait un code de bonne conduite. Si chacun puisait dans son environnement à sa guise, les abus seraient inévitables, ce qui sèmerait la discorde, le conflit. Ces lois maintenaient la concorde, la première menant à la seconde : "Le Don sert la communauté et non l'individu".
« Les pensées chaotiques qui émanaient de toi à notre première rencontre ont laissé place au calme du fil de l'eau, reprit Soleya en se levant. Tu sais communier avec le Don. Mon enseignement s'achève. »
— Déjà ? s'étonna Chris, sincèrement pris au dépourvu. Mais je... je sais faire appel au Don, c'est vrai, mais vous ne m'avez rien enseigné d'autre. Encore hier, Jor a réparé la jambe brisée d’un bœuf sous mes yeux. Je l'ai observé attentivement tandis qu'il manœuvrait le flux, mais n'ai pas du tout compris comment il s'y prenait.
Jor était un fermier du village, ainsi qu'un voisin de Domi. Un quinquagénaire qui semblait s'être pris d'affection pour Chris.
« Je ne peux pas t'apprendre cela. »
— Pourquoi ? Si c'est parce que je ne suis pas originaire du clan...
« Non, cela n'a rien à voir. Il serait plus juste de dire que tu ne peux pas apprendre. Cette utilisation du Don t’est inaccessible. »
Le jeune homme attendit patiemment qu'elle continue — à Triam, tout dépendait de la capacité à patienter.
« La matriarche devait t'en parler, mais j'imagine que ce n'est pas très grave si je t'en touche un mot avant, abdiqua Soleya en soupirant. As-tu remarqué que lorsque tu fais appel au Don, ta sphère est plus petite et lumineuse que s'il est manipulé par quelqu'un d'autre ? »
— Je pensais que c'était lié à la quantité de Souffle invoqué.
« Certains parviennent à contrôler étonnamment beaucoup de Souffle, mais tu n'es pas de ceux-là. Même si j'observe ce phénomène pour la première fois, je sais de quoi il s'agit : de la Concentration Supérieure. Une particularité encore plus rare, seuls quelques élus de Père la possèdent. Tu ne trouveras personne comme toi à Triam. »
— Alors, pour soigner ou faire pousser les plantes comme vous, je devrais...
« Tu ne peux pas changer la manière dont tu concentre le Don, c'est inné. Chris, quoi qu'il arrive, tu ne dois jamais essayer de soigner quelqu'un. Avec la Concentration Supérieure, tu ne ferais qu'aggraver les choses. »
— Mais alors, qu'est-ce que je peux faire ?
Soleya se leva.
« Les enfants seront bientôt là, il est vraiment temps de partir. Je vais prévenir la matriarche que ton initiation est terminée, elle voudra te voir. Chris... Même si je n'ai plus rien à t'apprendre, n'hésite pas à revenir me voir. J'aurais toujours du temps à t'accorder. »
La prêtresse lui adressa un sourire bien plus qu'amical. Il se détourna en frissonnant.
Les femmes de ce peuple sont vraiment dangereuses...
Quittant le jardin de Soleya, Chris croisa la route d'une dizaine de bambins. Tous lui sourirent et le saluèrent, leurs yeux brillants de curiosité. Il appréciait la franchise de la jeunesse : les adultes s'échinaient à faire mine de ne pas le remarquer, mais il n'était pas dupe. Il lui faudrait du temps pour se faire accepter.
Est-ce mon but ?
Renonçant à rejoindre directement le village, Chris opta pour une promenade. Jor le salua de loin, occupé par les semences. Le jeune homme suivit les chemins à travers champs aussi loin qu'ils menaient, puis continua avec la piste qui rejoignait les lignes de crêtes. Il suivait cet itinéraire presque chaque jour, découvrant la vallée de Triam sous tous les angles. Depuis son arrivée, le soleil avait été au rendez-vous. Le froid de l'hiver semblait parti pour de bon.
Posté sur l'un des sommets solitaires qui dominaient le relief, Chris observa longuement les chèvres sauvages qui paissaient aux alentours. Entre les maisons de Triam — qui rayonnaient sous les rayons du soleil —, il distinguait les habitants à l'œuvre comme autant de fourmis ouvrières. L'endroit était magnifique et il sentait une bonté profonde chez ces gens, mais cette sensation de ne pas être à sa place persistait. On menait une vie austère à Triam, rythmée par une succession inamovibles de rituels et d'activités professionnelles.
Chris avait appris que des marchands originaires d'autres clans viendraient les visiter durant la saison estivale. Il songeait à les accompagner, pour découvrir d'autres terres. Pouvait-il quitter Domi ?
Je me demande ce que fais Lily. Ça fait presque un mois maintenant...
Aux côtés de Lily, il pensait pouvoir accepter ce monde, cessait de se lamenter sur ce qu'il avait perdu. Désormais, il ne pouvait plus songer à l'Arche sans voir ses imperfections : une sauvegarde artificielle d'un monde perdu, profondément corrompue. Restaurer l'ancien monde ? Une absurdité, rien d'autre.
À défaut de mal du pays, je découvre le mal du temps.
Ses souvenirs avaient tendance à s'estomper. Les visages de sa famille, de ses amis, les endroits qu'il affectionnait, tout devenait de plus en plus flou. Il s'effrayait à ne plus se souvenir de la couleur des cheveux de sa propre sœur ! Le temps passait sans qu'il n'en sache davantage sur ce qui lui était arrivé. Débarrassé des épreuves, il devait faire face à cette réalité : pour le meilleur ou pour le pire, il était coincé dans ce monde.
« Reviens »
Ce message lui parvint à la limite de la conscience. Un lien privilégié se développait entre Domi et lui, elle seule parvenait à le contacter lorsqu'il s'éloignait à ce point du village. Chris leva les yeux et fut surpris de constater que l'astre solaire se rapprochait dangereusement de la colline à l'opposé de la vallée. Comme en témoignait son derrière endoloris, il avait passé tout l'après-midi sur son perchoir.
Légèrement ankylosé, le jeune homme s'empressa de revenir vers les habitations. Il en avait soupé des nuits à la belle étoile durant son voyage jusqu'à Triam. À son entrée dans le village, il ne fut pas surpris de ne pas croiser âme qui vive dans les rues. Le soleil avait disparu derrière un massif ceint d'une lueur rougeoyante.
J'ai manqué les Remerciements du crépuscule, Domi va m'en vouloir...
Il poussa doucement la porte de sa maison et entra prudemment. Les lampes à huile brillaient, mais il ne vit personne dans la pièce principale. Le jeune homme eut tout juste le temps de se demander où était passé son amie qu'elle franchit la porte de la salle d'ablutions. Ruisselante de l'eau de son bain, Domi était nue comme au jour de sa naissance et les flammes des lampes révélaient absolument tout ce qu'il y avait à voir...
Au prix d'un effort — bien plus important qu'il n'aurait dû l'être —, Chris se détourna, accompagné par un rire moqueur de la jeune femme. Elle aurait dû être gênée au moins !
« C'est bon, je suis couverte », signala Domi un instant plus tard.
Lorsqu'il se retourna, il la découvrit drapée dans ses fourrures. Celles dans les lesquels il passait chaque nuit. Et elle lui souriait à pleines dents.
Elle veut me rendre fou ?
« Tu rentres tard, les montagnes peuvent être dangereuses la nuit », lui reprocha la jeune femme en s'approchant.
Ses pieds nus laissaient de petites traces humides derrières eux. Chris releva vite les yeux, sans trouver où les poser. Une épaule de Domi demeurait découverte et ses cheveux ruisselaient dessus. Il sentait dans l'air un parfum d'épicéas et de violette.
Lily, pense à Lily !
— Désolé, je me suis laissé absorber par le paysage.
Ce n'était qu'un demi-mensonge.
« Tu as manqué les Remerciements. La matriarche a demandé à te voir dès que possible, tu vas avoir droit à un de ses fameux sermons et je te défie de t'en plaindre ! »
Chris avait du mal à discerner ce que Domi pensait vraiment de cette transgression.
— Je dois y aller tout de suite ?
« Attendre ne feras qu'aggraver les choses, crois-moi j'en sais quelque chose. »
Acquiesçant, le jeune homme se détourna, non sans s'attarder sur le bout de sein que Domi venait de découvrir en replaçant sa cape improvisée.
Non, je n'ai pas le droit de la voir comme ça !
Il claqua rapidement la porte derrière lui, remerciant mentalement Soleya pour ses leçons de fermeture d'esprit. Cheminant vers le temple, le jeune homme croisa la route de Kal qui revenait à la maison. Il espéra que Domi aurait eu le temps de se sécher et s'habiller, si son mari la trouvait nue dans ses couvertures, il se ferait forcément des idées.
Il faut vraiment que je pense à autre chose !
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