Aga éponyme

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Leur insatiable curiosité titillée par cet étrange confrère aux ailes rigides, les mouthes se sont décrochées de la paroi et planent en un cercle nonchalant quelques mètres au-dessus de l’aile volante. Se détachant sur le noir de l’immense falaise, elles forment une ombrelle blanche et cliquetante et accompagnent D’hé dans sa descente.

Plus haut, sommant l’escarpement abrupt, les murs de la forteresse, d’où l’engin a décollé quelques instants auparavant, sont maintenant invisibles.

Joignant l’utile à l’agréable, quelques mouthes laissent flotter à la traîne de longues oriflammes de plumes vaporeuses dans lesquelles viennent se prendre des spores d’aiguidahr. Ainsi puisent-elles dans l’air du soir distraction tranquille et nourriture substantielle.

Détournant le regard de son escorte inopinée, D’hé essaie de se concentrer sur le pilotage de son engin. Tentant d’alléger la traction des sangles sur ses épaules, il déplace le poids de son corps vers l’avant. Mauvaise idée, une vive douleur se propage dans ses avant-bras ankylosés. Il laisse échapper un râle plaintif vite emporté par le vent.

La fatigue commence à peser sur ses maigres forces et ralentir sa course en allant chercher les vents ascendants devient de plus en plus difficile. Tout en se maudissant pour sa mauvaise condition physique, il comprend pourquoi personne ne l’a suivi dans sa fuite. Pouvoir se maintenir dans les airs jusqu'au coucher du soleil semble bien compromis. En contrebas, aussi belle que menaçante, la forêt d’Haiguidahr étale ses mortelles aiguilles sur des kilomètres carrés.

Dans la journée, pour se protéger de l’ardeur du double soleil bleu, les feuilles s'enroulent en cônes serrés, la pointe tournée vers le ciel transformant la forêt en une immense peau de roul’ssin étalée sur le vallonnement des collines. La multitude de ses pointes acérées devient mortelle pour tout ce qui tombe du ciel en plein jour. De nombreuses Mouthes, incapables de saisir un courant ascendant ou trop épuisées pour remonter en siphonnant l’air, en ont fait la triste expérience.

Au coucher du soleil, pour mieux capter la brume nocturne, les feuilles d’Haiguidahr se déploient dans un léger bruit de soie froissée. En un instant, l’étrille funeste se transformerait en un gigantesque voile froufroutant, accueillant confortablement tout ce qui s’y laisserait choir. Pour l’heure, mélangée au bleu du double soleil couchant, l’angoissante sylve, après avoir étalée toutes les nuances de vert imaginables, s’estompait vers l’Est jusqu’à atteindre un vespéral jaune d’or.

Les chances de D’hé de rester en vol et en vie jusque-là, se raréfient sérieusement. Son existence oisive n’était pas la préparation idéale pour ce genre d’épreuve. Mal maîtrisée, son aile enchaînait les virages à une allure de plus en plus rapide, lui faisant amèrement regretter son manque d’entrainement.

A croire que toutes les bonnes chances ont une fin, Il allait s’acquitter dans la douleur d’une vie saturée de plaisirs faciles et de débauches en tous genres.

Comme il l’avait lu dans de nombreux ouvrages oubliés, attirés par sa mort imminente, les derniers événements de sa pitoyable vie affluent en images brouillonnes.

Se superposant aux frondaisons verdâtres en contrebas, il revoit sa fuite éperdue de la citadelle, poursuivit par ses propres gardes et chose incroyable, Néhantot’hal vociférant pour les encourager.

Au milieu de ces regrets d’enfant gâté, l’image de sa mère revient par intermittence, tantôt triste, aux bords des larmes, tantôt les traits fermés et l’air farouche. Ses avertissements, surtout, résonnent avec insistance dans sa tête. Ses remontrances incessantes concernant sa consommation de fêtes et d’alcool. Comment avait-il pu être assez stupide pour les ignorer et abandonner ainsi sa couronne ?

Il tente de puiser du réconfort dans le souvenir de périodes agréables, mais rien de n’arrive à remonter du flot d’angoisse qui le submergeait. A croire qu’il n’a toujours été que malheureux.

Au moins aurait-il appris que la souffrance était plus facile à infliger qu’à supporter.

N’accordant plus qu’une attention distraite au maniement de sa voile, sombrant corps et âme, il s’enfonçait avec faiblesse dans un amas de piteux souvenirs. Mal protégés du vent, ses yeux pleurent, floutant le paysage en contrebas.

Soudain, à la clarté des soleils couchants, un reflet mordoré attire son attention. D’un mouvement rapide sur son épaule, il s'essuie le visage et plisse le regard pour limiter l'éblouissement, observe attentivement le chatoiement qui s'élève au-dessus des frondaisons mortelles.

Espoir aussi ténu qu’inattendu, un objet dérive doucement dans les airs et semble grimper à sa rencontre. Sans vraiment en prendre conscience, il dirigea lentement son aile dans sa direction.

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