La fin d'Hogarth

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Le soleil émergea des nuages, inonda la vallée. Il retira sa capuche et nous laissa découvrir son visage. Il me fallut un instant pour reconnaître les traits poupins aujourd'hui mangés par une barbe drue. Des yeux autrefois rieurs à présent habités par une lueur sauvage.

Le jeune Bayle. Devenu orphelin après la bataille de Foxcroft, nous l'avions escorté jusqu'à l'une des antennes du Royaume comme la loi de Gardenia nous l'imposait. Et nous l'avions laissé aux soins de la garnison en faction. Nos routes s'étaient séparées là. Pour toujours, avais-je cru.

 " Très heureux de vous revoir, capitaine MacKenzie.

 - Je ne peux pas dire que le plaisir soit réciproque.

 - Une vie pour une vie, capitaine.

 - Que racontes-tu là, ignoble vermine ?

 - Je vous prierai de surveiller votre langage, capitaine Wynne. Un guerrier contre l'enfant, voilà ce que je veux dire. Vous avez jusqu'au lever du jour. Nous vous attendrons au pied du pont. "

Il s'évanouit avec ses hommes dans les profondeurs de la forêt. J'aidai Hogarth à se mettre debout. Ses blessures m'inquiétaient, surtout celle à son flanc droit. Il gardait son bras appuyé contre son ventre et grognait à chaque pas mais il refusa l'aide proposée.

Au village, le cri des femmes emplit le crépuscule quand on ramena les corps des époux tombés au combat. Dans le regard éperdu des enfants, je me revis la nuit où ma mère était morte dans l'une des tours du château de mon père. Et là aussi, j'étais fautif.

On emmena Hogarth dans la hutte de l'homme-médecine. Silencieuses, deux vieilles femmes m'entraînèrent vers le lac panser mes plaies. L'eau froide sur mes blessures chassa la fureur du combat. Tout à coup, l'épuisement s'abattit sur moi. Je tremblai sous la morsure de l'hiver et la frustration de ce combat. Accepter le marché de Bayle revenait à renier notre quête à travers le monde. Je m'y refusai.

On immobilisa mon épaule dans une écharpe et on banda mon poignet d'un linge serré. Puis les deux femmes m'emmenèrent auprès d'Hogarth. L'homme-médecine sortit de sa hutte et il secoua la tête. Je n'avais pas besoin de mots.

Mon vieux complice était si pâle que je le crus mort pendant un instant puis il remua sur sa paillasse :

 " Ne dis rien, compadre. Je sais que les nouvelles ne sont pas bonnes. Demain, j'irai...

 - Ne dis pas n'importe quoi, Hogarth. On sait tous les deux que je suis celui que Bayle veut.

 - On se moque de ce qu'il veut, Mack. Mes blessures ne guériront pas, c'est à moi d'y aller. Et tu sais comme moi que nous résisterons jamais à une nouvelle attaque.

 - Ce n'est pas une raison pour abdiquer.

 - Ils ont gagné, Graeme. Peu importe ce que tu en penses.

 - Je refuse.

 - Garde tes larmes, frère. Le marché est la seule chose à faire pour sauver cette dynastie.

 - NON ! "

Je sortis sous les étoiles indifférentes et glaciales. Le sang frappait mes tempes comme un marteau sur l'enclume. Derrière moi, la tenture de la hutte s'écarta et une main se posa sur mon épaule :

 " Je sais ce que tu ressens. C'est la fin de la route pavée pour nous, Graeme.

 - Je ne peux pas, Hogarth. Pas après Tully.

 - Retourne à Gardenia. Forme un nouvel équipage et remets-toi en chasse si c'est ce que tu veux. Ou alors...

 - Alors quoi ?

 - Ou alors, tu peux aller encore plus au sud. Je me dis que ton enfant doit être grand maintenant. Tu aimais beaucoup ce pays. Et Ruth est une femme bien.

 - Rachel.

 - Rachel, oui. Ton père est un idiot, Graeme. Il a sacrifié son fils pour une loi stupide et par fierté. C'est l'heure de la retraite pour nous deux et je suis fier d'avoir combattu à tes côtés si longtemps. Tully l'était aussi. Alors fous le camp d'ici pendant qu'il te reste quelques plumes.

 - Je ne sais pas quoi dire, Hogarth.

 - Il te reste juste à vivre ta meilleure vie. Et je suis heureux d'avoir le temps de te dire tout ça. Allez, viens, la nuit commence à peine. "

Dans les heures pastels du petit jour, j'accompagnai Hogarth jusqu'au pont de pierres. De la brume montait du ravin. Bayle et ses hommes se tenaient là. Le jeune garçon d'autrefois à qui j'avais enseigné les rudiments du combat au katana souriait à la manière d'un loup.

Mon vieil ami retira le talisman qu'il portait depuis toujours au cou. Sa Rose de Bantry. Pour la première fois, je ne la vis pas uniquement comme une figure de cuivre sertie de pierres précieuses. J'en ressentis toute la force de protection, toute la symbolique émanante. Elle pesait lourd dans ma paume.

Quand il arriva au milieu de l'édifice, Bayle laissa filer la fillette.

J'ignore les derniers mots d'Hogarth mais il souriait avec tendresse et résignation quand il se tourna vers moi. Il disparut avec Bayle dans les profondeurs de la montagne.

Contrairement à Tully, il n'aurait pas de sépulture mais je crois que c'est son cœur qu'il m'a donné ce jour-là dans ce cercle de métal.

Quant à moi, je partis pour le Sud.

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