Vie éphémère
Rien. Je ne ressentais rien. Aucune émotion, aucun sentiment. Rien ne me traversait l’esprit. Pourquoi ? Je venais de mourir. Comment ? Ce n’est pas si simple à raconter…si vous voulez le savoir, voici mon histoire…
Je m’appelle Eliane, et j’ai 12 ans. Enfin, je ne sais pas si c’est toujours le cas étant donné que je suis un fantôme. Bref.
Tout a commencé avec la disparition de mon arrière-grand-mère lorsque j’avais 8 ans. Ça a été très dur pour moi, car j'étais très attachée à elle. Alors je me suis créé un monde imaginaire où elle était toujours là, à mes côtés. Je me réfugiais dans cet univers fictif lorsque je ne me sentais pas bien, quand je voulais être seule. Cela arrivait très fréquemment ; à un tel point que cela finit par devenir ma réalité. Je parlais de ma Mamy au présent, et cela étonnait mon entourage, mais peu m’importait, je pensais qu’ils étaient bêtes car ils étaient adultes.
Je n’avais pas d’amis à l’école. Tout ça parce que je mettais de vieux habits démodés et que je parlais peu. Tous les soirs en rentrant de l’école j’allais dans les bois, ou au cimetière, afin de retrouver Mamy et lui raconter ma journée. « N’écoute pas ce que disent les gens, car ils sont idiots. Tu es un trésor. » me disait-elle .souvent. Puis elle me prenait dans ses bras et me berçait. Comme j’aimais sa présence ! Elle était rassurante, calme, si aimante ! Être dans ce monde était une échappatoire à la brutalité de ce monde trop dur pour une enfant.
Les mois s'enchaînent, dans une perpétuelle monotonie. Plus le temps passait, et plus les autres enfants étaient méchants et brutaux envers moi. J’avais peur d’en parler à mes parents, de peur qu’ils ne me prennent pas au sérieux une fois de plus et me disent que ce ne sont là que des enfantillages.
J’avais peur et souffrais de ne pouvoir exprimer ma douleur. Le fantôme de Mamy était de plus en plus présent à mes côtés, chaque jour plus fort. Elle me poussait à me renfermer sur moi-même, afin de devenir le centre de mon intérêt. Elle ne m’apparaissait pas toujours sous la forme charnelle que j’avais connue, mais aussi sous la forme d’une petite fille, d’une belle jeune femme, ou même encore sous la forme d’animaux ! On pourrait trouver cela étrange, mais cela ne me venait à l’esprit. C’était normal. Elle aurait tout aussi bien pu m’apparaître dans le vent que je l’aurai reconnue, car il y avait entre nous une sorte de connexion inexplicable qui s’était mise en place au fil du temps.
C’est par un jour ensoleillé que ma vie fût totalement brisée en miettes. Et je n’y étais pas prête. Si on m’avait dit que des gens allaient s’amuser à me casser en morceaux, jamais je n’y aurais cru. Et pourtant…
J’étais en classe de cinquième quand c’est arrivé. Pour une fois, j’avais fais un effort sur ma tenue, car c’était le jour de la photo de classe, et je voulais me fondre dans la masse. Je m’étais même maquillée ! Une amie d’une autre classe vint à ma rencontre quand j’arrivais au collège, et me fit un compliment quand à mon effort. Cela me fit sourire, car nous savions toutes deux que je n’aimais pas devoir en arriver là.
Malgré tout, je faisais tout mon possible pour être invisible. C'était dur, le matin, de me lever en sachant que je devais me maquiller et passer des heures à trouver une tenue “ à la mode”.
Le temps n'alla pas en s'arrangeant… Mamy me manquait terriblement… Je passais de plus en plus de temps en dehors de la maison ou avec les chiens de ma voisine. Mais tout ce temps passé loin de la maison m'éloignait de ma famille. Je reconnais aujourd'hui sans honte que j'en étais consciente mais que je jugeais cela nécessaire. Ils ne voyaient pas que j'allais mal de toute façon.
En dehors de mes cours de dessin je ne touchais plus à un seul crayon, ne serait-ce que pour faire un simple coloriage. Les filles qui m'embêtaient au collège étaient dans mon groupe de dessin, et faisaient comme si de rien n'était, alors que nous savions bien ce qu'il en était. En plus, elles étaient jalouses de moi car notre prof me préférait à elles. Dès qu'elle avait le dos tourné, je les entendais me critiquer à voix basse, mais de façon à ce que je puisse les entendre. Ici aussi, je n'avais pas de répit.
Un jour je cru devenir amie avec une fille de ma classe. Elle me raconta que le garçon le plus populaire des 5ème avait flashé sur moi et qu'il voulait savoir si c'était réciproque. Bien évidemment je lui répondit que non. Cette scène se répéta plusieurs fois, jusqu'au moment où je fini par répondre oui. Je n'aurai, je pense, jamais dû céder. Je me disais que le fait de sortir avec lui allait signifier la fin de mes ennuis. Ah ! Que non.
Il avait quatorze, et je dois reconnaître qu'il était mignon ! Les brimades ont certes diminuées lorsque j'étais avec lui, mais cela ne s'est pas arrêté pour autant. Un jour, alors que j'étais assise à l'ombre du préau avec lui, le groupe de peste est venu s'asseoir à côté de nous. Elles étaient amies avec lui. Bref. L'une d'elle me proposa de me coiffer, je ne sais pas pourquoi, mais j'acceptais. Sans doute pour être aimable aux yeux de mon petit copain. Ce dernier se leva pour aller voir un de ses potes, me laissant seule avec les harpies. Au bout de quelques minutes, je vis les filles assises en face de moi se mettre à rire. Aussitôt, par réflexe, je me passais la main dans les cheveux… Du sucre ! Cette vipère ne m'avait nullement coiffée, mais s'était amusée au contraire à me décoiffer et à m'étaler du sucre dans les cheveux.
Dès que je m'en rendis compte, je me levais et allais au toilettes pour essayer de m'en enlever un maximum. Fort heureusement j'avais une brosse à cheveux dans mon sac, ce qui m'aida dans mon désarroi. Cet après midi la je ne suis pas allée en cours. Je suis restée enfermée aux toilettes jusqu'à la fin des cours. Et lorsque la sonnerie de fin de journée retentit je me précipitais dans le bus en faisant en sorte de ne croiser personne qui me connaisse. Hélas, tout le monde savait qui j'étais. J'étais la risée du collège. Les quelques mètres qui me séparaient du car me parurent être des kilomètres, et je sentis les regards moqueurs peser sur mon dos. Aussitôt assise, je mis mes écouteurs afin de ne plus entendre personne. Une amie vint s'asseoir à côté de moi. Voyant mon mutisme, et ne s'offusqua pas, car elle avait assisté à toute la scène de l'après midi de loin. À peine le car fut-il arrivé dans mon village je pris mes jambes à mon cou pour être à la maison le plus vite possible. La première chose que je fit fut d'éviter de croiser mes parents, ensuite j'allais me doucher afin d'effacer toute trace de mon malheur.
Ce soir là, j'avais beau avoir envie de pleurer je me retins. Il était hors de question que mes parents se doutent de quoi que ce soit. J'ai au moins réussi ça…
Mais j'étais tellement maussade que chaque parole prononcée à mon égard était pour moi comme une agression. Cela ne plut pas à mon père…Peu avant le dîner, le ton monta, et il finit par me soulever par le bras et me frapper.
C'est ainsi que s'enchainèrent les mois.
Mamy était toujours à mes côtés. Je lui parlais tellement souvent que j'oubliais la réalité. En cours, je n'étais plus qu'un corps vide. À la maison, j'étais soit un fantôme soit le centre de l'attention, mais jamais dans le bon sens du terme.
Ma vie n'avait plus aucun sens.
C'est là que Mamy se fit plus présente. Elle m'encourageait à être plus souvent avec elle, ce qui m'isola encore plus de ma famille.
Les semaines se suivirent, vides d'amour et de vie. Coups de poings, coups de pieds, gifles…tout cela était mon quotidien.
Mon petit copain n'intervenait jamais. Sans doute pour conserver son statut de “mec le plus populaire”. Un jour même, alors qu'il parlait à ses potes et que j'étais à ses côtés, un garçon lui dit qu'il n'était pas capable de me toucher les seins. Sans me consulter ne serait-ce que du regard, il posa sa main sur ma poitrine devant tout le monde. Une fois encore, j'étais pétrifiée et n'eut aucune réaction. Mais comme j'étais idiote pour ne pas réagir ! Une bonne gifle bien placée lui aurait fait comprendre que je n'étais pas une chose ! Même lui ne me respectait pas.
Vers la fin de l'hiver, Mamy me dit qu'elle savait comment arrêter mon malheur.
“rejoins moi”, me dit-elle. La rejoindre ? Ah ça oui j'en avais envie. Mais comment ? À ma question, elle me répondit qu'il me suffisait de mourir. “Ce n'est pas douloureux, c'est comme s’endormir”, insista-t-elle. Mais comment devais-je faire pour mourir ? Il y a bien des façons de mourir. Après qu'elle m'eut dit ça, lorsque j'allais dans la forêt je mettais ma vie en danger de toutes les façons possibles, je prenais des médicaments, me mutilais, j'eus même envie une fois de me laisser tomber de ma fenêtre.
2 mois avant la fin des cours, on me changea de collège. Enfin...on me remit dans mon ancien collège en vérité. Je n'y retrouvais que des gens qui m'étaient devenus parfaitement étrangers. Seules 3 filles m'accueillirent. Ce sont ces 3 mêmes filles qui m'avaient écrits des lettres tout au long de l'année. Je cru être heureuse à nouveau. Illusion dérisoire !
Ici aussi il y avait des gens malveillants. Et que trop.
Je ne me fit plus frapper. C'est le seul avantage que j'y vis. Mais insultes et coups bas fusaient.
Mamy n'aimait pas trop ce changement. Elle me dit un jour de mai que de toute façon je ne serai jamais heureuse, et qu'elle le savait car elle était un fantôme. Cela me heurta. Ma Mamy. Un fantôme. Ça ne m'avait jamais traversé l'esprit. Pour moi, elle n'était jamais partie. Dès lors que je le sû, je ne la vis plus du même œil. Elle commençait à s'estomper.
Le pire arriva. Je ne parviens plus à voir son visage. J'oubliais sa voix, son odeur, son contact.
Cela me fut plus qu'un supportable. J'en devins presque hystérique.
Lorsqu'elle disparut complètement, j'en devins folle.
En rentrant du collège, au lieu de monter dans ma chambre comme à l'accoutumée, j'allais dans la forêt. Je m'installais dans un recoin connu de moi seule. Là, je sortis mon opinel et me trancha les veines.
Adieu, monde infâme. Adieu, bourreaux. Adieu. Adieu…
Bonjour, Mamy ! Bonjour bonheur éternel !
Fin.
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