Le royaume de Sylvia
Après deux jours de chevauchée incessante, les deux aventuriers franchirent la frontière de l’Empire avec la Sylvia, laissant Dave sans voix devant le changement drastique de paysage à la ligne de frontière, passant de grands champs de blé à une forêt touffue parcourus de chemins de terre.
— C’est complètement dingue…
Astrid ne put s’empêcher de rire.
— Ce qui est dingue, c’est que tu ne connais vraiment rien des terres de Pangée. Tu t’émerveilles devant tout ce que tu croises comme le ferait un enfant de cinq ans.
Dave grogna.
— Je sais, tu me le répètes tout le temps…
Il se redressa sur sa monture en fronçant les sourcils.
— C’est bizarre, mais on dirait que les arbres bougent…
Astrid acquiesça.
— Il me semblait te l’avoir dit quand je t’ai parlé des nations de Pangée. Ici, c’est la nature qui dirige, et si tu ne la respectes pas, tout et tout le monde essayera de te tuer, même les arbres.
Dave acquiesça lentement avant de murmurer.
— Pas étonnant que Terre soit la déesse tutélaire de la nation, dans ce cas.
— Et pas étonnant que le seul accès au temple se fasse depuis la capitale. Allez, en route.
Les chevaux repartirent au pas tandis que Dave regardait partout autour de lui sous le regard bienveillant d’Astrid, pour atteindre la capitale au soir du troisième jour. Les gardes de la cité refusèrent de croire que Dave était le nouvel empereur, peu enclins à imaginer une personne de ce rang se déplaçant sans escorte, et l’adolescent finit par couper court au débat en sortant l’épée de Sol, et immédiatement l’un des gardes partit en courant vers le palais avertir le roi Atellan. Une vingtaine de minutes plus tard, cinq personnes revêtues de bures vertes et aux visages cachés par leurs capuches rabattues vinrent les rejoindre à l’entrée de la capitale sylvienne. La première personne retira sa capuche pour dévoiler un visage aux traits fins, aux lèvres fines et aux grands yeux bleus, dont la longue chevelure d’un blond intense faisait ressortir les oreilles légèrement pointues et la couronne de feuilles d’or entrelacées qui reposait sur son front.
L’homme baissa humblement la tête avant de s’exprimer d’un ton calme et posé.
— Bonsoir, et bienvenu dans ma capitale, Hérault des Anciens Dieux
Dave et Astrid échangèrent un bref regard avant de descendre tous deux de leurs montures et s’incliner à leur tour.
— Bonsoir, roi Atellan. Je me nomme Dave Kazinsky, Hérault des Anciens Dieux et nouvel empereur de l’Empire. Je viens à vous, accompagné de dame Astrid la Vagabonde pour solliciter votre aide.
Le roi Sylvien haussa un sourcil dubitatif.
— Nouvel empereur ?
Dave se pinça les lèvres.
— Longue histoire, mais dont la fin justifie que je fasse appel à vous et vous demande de l’aide.
Le roi acquiesça lentement avant de faire demi-tour.
— Alors, nous serons mieux au palais qu’ici. Mes gardes s’occuperont de vos montures. Suivez-moi.
Astrid et Dave échangèrent un regard perplexe alors que le roi repartait vers son palais avec ses quatre compagnons, et après quelques secondes, Astrid se mit en route à son tour, suivie de près par Dave. Ils parcourent la ville en silence, Dave découvrant la cité avec émerveillement sans qu’Astrid fasse la moindre remarque à ce sujet, trop occupée à en faire de même, et après quelques minutes, le roi Atellan prit la parole.
— La magie de Terre est très puissante, et notre déesse nous comble de ses bienfaits. Nous lui en rendons grâce chaque jour, bien conscients de la chance que nous avons.
— C’est impressionnant… Et si… Harmonieux…
Le roi Sylvien se tourna vers Astrid, un sourire sincère sur les lèvres.
— Je vous remercie. Mais, pour avoir déjà visité la Nordie, je sais que vous jouissez vous aussi de vastes et splendides espaces de nature.
— Mais, pas aussi somptueux…
Partout autour d’eux s’élevaient des arbres géants à travers lesquels s’étendait la cité, répartie sur différents niveaux de hauteur du sol jusqu’au plus haut des cimes, en se reposant sur les branches pour bénéficier de points d’appui naturels, donnant à la ville une allure naturelle la faisant se fondre dans le décor comme si elle n’était qu’un prolongement de la végétation. Il s’écoula encore quelques minutes avant que Dave prenne la parole.
— Je trouve beau le fait que la nation sylvienne ait ainsi accepté, et intégré, sans difficulté les membres d’autres nations désireux d’adopter le même mode de vie que vous. Vraiment très beau.
— Ça n’a rien d’extraordinaire pour nous. Le tracé des frontières ne représente rien à nos yeux, car nous ne sommes qu’un seul et même peuple, celui des terres de Pangée. Nous voici arrivés.
Le roi et son escorte s’arrêtèrent aux pieds d’un escalier de bois décoré de fleurs menant jusqu’à un immense palais semblant créé naturellement par les racines et les branches des arbres avoisinants, haut de trois niveaux et large d’une centaine de mètres, dont les murs étaient percés à intervalles réguliers de magnifiques vitraux représentant divers paysages, et dont l’immense double porte s’ouvrait lentement, laissant Astrid et Dave muets et contemplatifs. Après un rapide sourire, le roi Atellan reprit.
— Si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer.
Ils gravirent les escaliers pour arriver immédiatement dans une immense salle dans laquelle se tenaient de longues tables de banquet, et, au bout, un trône fait uniquement de ramures de cerfs géants des forêts Sylviennes. Le roi partit s’y asseoir alors que son escorte l’encadrait, tandis que du personnel apportait deux larges fauteuils qu’ils posèrent face au trône, à un bon mètre de distance.
— Je vous en prie, prenez place.
Astrid et Dave échangèrent un bref regard avant de s’exécuter, et à peine étaient-ils assis que le roi reprit.
— À qui vais-je parler ? À l’empereur ? Ou au Hérault des Anciens Dieux ?
Dave hésita quelques secondes avant de répondre.
— Les deux, mon roi. Parce que si j’ai besoin de votre aide dans ma quête, j’aurais aussi souhaité recréer avec vous les relations diplomatiques que mon prédécesseur a sciemment négligées.
Le roi acquiesça lentement.
— Votre franchise est une bonne chose. Mais avant tout, expliquez-moi pourquoi votre prédécesseur a abdiqué pour vous.
Astrid sourit, ce qui intrigua l’elfe, et Dave expliqua simplement.
— C’était un démon du Roi Noir qui avait volé l’identité du véritable empereur. Ma quête de Hérault des Anciens Dieux l’a placé sur mon chemin, et nous avons dû nous livrer un combat à mort, dont je suis ressorti victorieux, même s’il s’en est fallu de peu pour que je décède moi aussi…
Le roi acquiesça de nouveau avant d’ajouter.
— Et en vertu des lois de l’Empire, vous avez hérité de la couronne.
— Exactement.
Atellan reporta son regard sur Astrid et demanda après quelques secondes à l’avoir observée.
— Et pourquoi une fière Nordienne accompagne-t-elle un Empiréen ? Êtes-vous sa compagne ?
Astrid et Dave ouvrirent tous deux de grands yeux étonnés avant qu’Astrid se mette à rire aux éclats.
— Non, par tous les Anciens Dieux ! Pardonnez-moi, mon roi, mais cette question est tellement drôle !
Dave bougonna.
— Ouais, bah, ça va… Que tu rigoles à chaque fois qu’on te pose la question devient vexant…
Astrid retrouva un peu de son sérieux, avant d’expliquer.
— J’ai une dette d’honneur envers Dave, et il a accepté que je l’accompagne dans sa quête pour m’en acquitter, voilà tout.
— Ce qui explique que vous portiez l’armure lourde du vent et que vous soyez équipée du marteau de guerre de feu de Sol.
Les deux aventuriers regardèrent le roi, surpris, quand celui-ci ajouta en souriant.
— Je n’étais certes qu’un enfant, à l’époque, mais j’ai eu l’insigne honneur de rencontrer le précédent Hérault des Anciens Dieux et son acolyte qui, comme vous, a reçu de la part de nos divinités les présents que vous portez. Sachez qu’il faut le voir comme un honneur, car je connais bien des aventuriers qui n’ont jamais reçu le moindre cadeau de la part des Anciens Dieux. Ils vous estiment digne et valeureuse, et je ne doute pas que si l’empereur Dave n’avait pas été de ce monde, vous auriez pu être Hérault à sa place.
Astrid gonfla sa poitrine d’orgueil alors que le roi continuait.
— D’autant plus que la réputation d’Astrid la Vagabonde est venue jusqu’à mes oreilles, et vous êtes connue pour être une guerrière courageuse et juste en toute circonstance.
Astrid inclina respectueusement la tête.
— Je suis honorée.
— Et moi, je suis sincère.
Il s’installa plus au fond dans son trône tout en prenant une profonde respiration avant de reprendre.
— Compte tenu de l’heure avancée, je vous suggère que nous dînions tout en parlant. Un banquet ne pourra être préparé dans un délai aussi bref, et je vous prie de m’en excuser, mais, en revanche, un dîner peut nous être servi dans ma chambre afin que nous discutions au calme. Est-ce que cette idée vous convient ?
Dave acquiesça.
— Je vais être honnête, roi Atellan, je préfère de loin cette solution. Je me sens mal à l’aise lors des repas cérémoniels… En fait, lors de n’importe quelle cérémonie…
— Bien.
Le roi fit un signe à un personnel qui partit en courant vers les cuisines alors que le roi se levait de son trône.
— Alors, si vous voulez bien me suivre une fois encore.
Dave et Astrid le suivirent jusque dans une immense chambre dans un des coins de laquelle se trouvaient une table ronde et quatre chaises. À peine étaient-ils installés que des assiettes garnies de viande et de légumes leur étaient apportées, accompagnées d’un vin rouge brillant que le roi entreprit de leur servir tout en dévisageant Dave.
— Alors, comment souhaitez-vous que je vous appelle ? Empereur ? Hérault ?
Baissant les yeux, gêné, l’adolescent répondit dans un murmure.
— Dave, tout court, c’est très bien…
Le roi Atellan haussa un sourcil circonspect avant de répondre.
— Visiblement, il n’y a pas que les cérémonies qui vous mettent mal à l’aise. Les cérémoniels aussi. Ou bien, est-ce juste quand il s’agit de vous ?
— Juste quand il s’agit de moi… Je ne m’habitue pas au prestige qui est maintenant le mien, ça ne correspond pas à la vie que j’ai vécue jusque-là…
— Bien, Dave. Commençons, dans ce cas, par le plus compliqué. Quelles relations diplomatiques aimeriez-vous développer avec le royaume de Sylvia ?
Dave jeta un bref coup d’œil à Astrid qui lui sourit pour l’encourager avant de reporter son attention sur le roi.
— Toutes les relations possibles, qu’elles soient politiques, militaires, culturelles, économiques. Comme vous pensez que nous ne sommes qu’un seul et même peuple, je pense de mon côté que nos différences sont faites pour être mélangées, et que c’est de notre diversité que naîtra une force commune.
Atellan acquiesça.
— Voilà qui est joliment pensé et joliment dit. Et quelle relation, parmi toutes celles citées, voudriez-vous voir se développer en première ?
— La culturelle.
Le roi fronça les sourcils, aussi Dave reprit-il.
— Il faut que nos cultures soient échangées et comprises si nous voulons que nos différences ne nous opposent plus. Des échanges culturels sont les piliers d’une réelle interaction à venir, bien plus que des relations économiques ou militaires. Bien entendu, j’ai conscience que nos armées devront s’allier pour affronter le Roi Noir, mais, selon moi, apprendre à se connaître est plus important que d’apprendre à se battre côte à côte.
Le roi resta silencieux quelques secondes avant de joindre les index sous ses lèvres.
— Je ne cacherais pas être agréablement surpris par la tournure que prend cette discussion, Dave.
L’intéressé but une gorgée de vin pour se donner de la contenance alors que l’elfe reprenait.
— Je m’attendais à ce que tu mettes en avant les liens militaires et financiers, plus lucratifs à l’Empire, mais non. Tu préfères des activités plus triviales, comme si nous étions en temps de paix. Et j’aime ça. Tu préfères échanger sur nos natures profondes, et œuvrer à une paix durable en réfléchissant à après la victoire du peuple de Pangée sur le Roi Noir, et c’est noble. Je ne peux qu’abonder dans ton sens, ce qui n’aurait pas été le cas si tu avais privilégié l’argent et la guerre. Je peux même dire que j’ai, de fait, hâte de mettre tout ceci en œuvre.
La bouche de Dave s’entrouvrit de stupeur, et après quelques secondes, le roi Sylvien se mit à rire.
— Allons, Dave, reprends-toi. Tu viens simplement d’avoir la preuve que, même si tu détestes tout ce qui est cérémonial, tu feras un bon empereur.
Astrid posa une main sur l’épaule de Dave qui la regarda pour lui découvrir un large sourire.
— Tu vois, quand je dis que tu te sous-estimes.
Le regard de Dave passa de son acolyte au roi avant de revenir à Astrid, avant que le jeune homme esquisse un sourire.
— Je n’ai fait que dire ce qui me semblait juste.
— Et tu as bien fait, parole de roi. Mais maintenant, parlons de ta quête. De quels Dieux as-tu reçu la bénédiction ?
— Guerre puis Sol.
Atellan acquiesça.
— Ce qui explique ta venue. Sol t’envoie trouver le temple de son épouse, Terre, n’est-ce pas ?
Dave acquiesça avant d’ajouter.
— J’avais prévu de faire le tour des pays pour renforcer nos liens, mais ma quête a fait passer la Sylvia avant les autres.
— Ton honnêteté est tout à ton honneur. Sais-tu quels artefacts se trouvent dans le temple de Terre ?
Dave fit non de la tête, et le roi Sylvien reprit.
— Tu y trouveras le Sac d’Abondances. Il te permettra de stocker tout ce que tu y souhaites sans que cela pèse le moindre gramme sur tes épaules.
Dave ouvrit de grands yeux étonnés, tandis qu’Astrid demandait.
— Savez-vous s’il y a autre chose d’utile là-bas ?
Atellan lui sourit.
— Oui. Une légende parle d’un diadème enchanté qui protège la personne qui le porte. Je ne doute pas une seconde qu’il te reviendra.
Dave réfléchit quelques secondes avant de poser une question à son tour.
— Mon roi, avez-vous une idée du défi qu’il nous faudra relever quand nous y serons ?
Le roi le dévisagea avant de répondre, peiné.
— Non, je suis désolé… Le précédent Hérault et son acolyte ont refusé de nous le dire. Je pense qu’ils ont reçu pour consigne de la part de Terre de ne pas révéler les secrets de son temple, aussi je ne pourrais pas t’aider, je suis navré.
Dave acquiesça.
— Ce n’est pas grave. Et pour tout vous dire, je m’y attendais. Comment prouver qui je suis et ce que je vaux si on me mâche le travail ?
— En effet. En revanche, je ne vous ouvrirais pas le passage demain. Je souhaiterais que cette journée soit utilisée pour célébrer nos nouveaux liens, et, de ce fait, je vous ouvrirais l’accès au temple de Terre après-demain, pour que vous puissiez vous reposer un peu. Est-ce que ceci vous convient ?
Dave sourit.
— Avec plaisir.
— Voilà qui est parfait.
Le reste du repas se fit en discutant des échanges culturels possibles, et quand le dîner fut terminé, Astrid et Dave furent conduits dans deux grandes chambres dans lesquelles les attendaient des baignoires d’eau fumante et parfumée. Le jeune homme s’y plongea immédiatement pour laisser ses muscles se détendre de ces quelques jours de chevauchée, avant qu’Astrid passe la tête par sa porte.
— Je peux entrer ?
Lui lançant un rapide coup d’œil, Dave répondit en souriant.
— Bien sûr.
Il prit une serviette qu’il étendit par-dessus la baignoire, et Astrid se mit à rire.
— Tu sais que tu ne caches rien que je n’ai déjà vu ?
— Et alors ?
— Bien. Alors, si tu le sais.
Elle tira un tabouret et s’assit aux côtés de Dave avant de reprendre.
— Que penses-tu de tout ceci ?
L’adolescent réfléchit avant de répondre.
— Ça me semble trop facile… Je m’attends à un défi corsé.
Astrid acquiesça avant d’ajouter.
— Je ne m’attends pas à un combat. Terre n’est pas une divinité guerrière.
Dave approuva.
— Je ne sais pas à quoi m’attendre, et ça m’inquiète…
Astrid lui sourit.
— Moi, pas. Tu es l’Hérault des Anciens Dieux, tu sauras quoi faire. Ces défis sont taillés à ta mesure.
— Puisses-tu dire vrai…
Astrid rigola avant de se relever.
— Allez, tu devrais sortir de ce bain avant que l’eau ne devienne froide. Il serait dommageable qu’elle ne réduise la taille de tes attributs, et que l’empereur et Hérault des Anciens Dieux ait mauvaise réputation à ce sujet.
Dave la fusilla du regard avant de l’éclabousser.
— Sors de là ! Laisse-moi un peu d’intimité, pour une fois !
Astrid rigola avant de s’enfuir en courant, laissant le jeune homme enfin tranquille dans son bain. Il entreprit alors de se frictionner tout le corps avant de sortir et de se sécher au coin du feu, pour aller se coucher quelques minutes plus tard, épuisé, dans le lit moelleux qui lui avait été prêté, et s’y endormir presque immédiatement.
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