Il était évident, pourtant, que le capitaine de ce navire anglais commandait des expériences douteuses sur ces pauvres bêtes, devenues d'affreux hybrides. Opale voulait caresser un ours et nénette ne tolérait point qu'on fît du mal aux moineaux. Aussi passèrent-elles des journées entières à se refaire, sans les avoir jamais apprivoisées. Il faut croire qu'elles s'étaient convaincues qu'elles étaient bien plus agréables que les nouveaux venus.

Enfin, le capitaine ordonna qu'on leur donne à manger. Les deux bêtes, plus pressées qu'aimées, s'enfuirent aussitôt. Le capitaine, en les regardant s'en aller, mit la main sur la détente de son pistolet, mais il se doutait bien que les pauvres créatures, par-dessus le marché, ne manqueraient pas de s'enfuir de leur côté.

Le sauvetage des ours hybrides ne fût pas une mince affaire et, le bateau ayant accosté dans le duché de Navarre, Opale et Nénette implorèrent l'aide du duc, ainsi que la pitié pour les pauvres ursidés affreusement mutilés. « J'étais bien loin du séjour de l'ours », témoigne la princesse. « Le soir, les poissons étaient devenus d'une grandeur presque inconcevable, des pauvres ours qui nous entendaient au milieu des nombreux cris des autres animaux. » Il n'y avait pas d'hommes dans le village, mais le duc de Guise l'avait fortement rassurée en lui assurant qu'il n'y avait pas de périls pour eux et que leurs enfants seraient toujours près d'eux. « Nous nous réconfortâmes », ajoute la princesse.

Quelques mois plus tard, le duc de Guise demande l'aide d'un père de famille de son entourage, François de Tressan, qui a aussi un troupeau d'ours. « Nous nous séparâmes avec une grande joie », raconte Nénette.

Nénette ne craignait pas de se séparer de sa femme. Car oui, Opale avait encore joué un tour : le duc de Navarre avait cru l'épouser, toutefois ce n'était pas elle mais un marteau-piqueur habilement travesti en pékin. Les deux amants se tenaient par la main.

Mais ils n'avaient pas tenu longtemps l'un contre l'autre. Dès qu'ils étaient seuls, ils s'embrassaient, de nouveau.

– Qu'est-ce que je vous ai fait? demandait-il.

– Ne vous fais pas de reproches, répondait-elle.

Profitant que le duc était affairé avec sa fausse femme, et que les anglais buvaient à la noce, Nénette avait fui avec le groupe d'ours hybrides. Pendant ce temps, Opale tentait de joindre leurs amis : Laurent, Alain, Lilas, mais aucun ne répondait. Quand elle les appela, elle recevait toujours un « Ne répondez pas ».

« Je sais que vous avez de l'argent en poche. Je vous donnerai des nouvelles en retour. »

Elle se sentait si solidaire avec les autres que les douleurs que lui causait son état de santé et le chagrin qui le gagnait chaque jour se muaient en une souffrance douce et voluptueuse. Elle laissa entendre, de temps en temps, que le duc était en train de se remarier. C'était un subterfuge qu'elle se proposait de mettre à profit.