Chapitre 9 - Partie 2

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Des bruits sur la rive l’alertèrent. De toute évidence, son plongeon n’était pas passé inaperçu. Ils venaient vérifier que personne ne sortait du tunnel. Elle s'enfonça, entraînant sa compagne sous l’eau. Là, juste à la profondeur nécessaire pour ne pas être repérée, elle observa. Quelques vinsihons plus tard, elle vit des lampes éclairer la surface. Les malfaiteurs la cherchaient. Heureusement, l’opacité de l’eau était telle que même si le stoltz qu’elle soupçonnait être leur complice se lançait à leur poursuite, il ne les trouverait pas.

Pour ne pas faire de bruit, elle se laissa couler passivement. Quand elle estima avoir atteint une profondeur suffisante, elle commença à nager.

Elle savait qu’il y avait des poissons dans la rivière. Mais elle ne s’était pas doutée qu’il étaient en si grand nombre. Attirés par la traînée de sang que lâchait la blessée derrière elle, ils affluaient. Certains étaient presque aussi gros qu’elle. Avec leur mâchoire qui mesurait presque un quart de leur corps, ils pouvaient facilement lui arracher une main. Pour la première fois depuis le début de l’expédition, elle se sentit en danger. Elle sortit son couteau pour se défendre.

Le premier qui lança l’offensive était un petit, de la taille de son bras. D’un coup, elle lui ouvrit le flanc sur presque toute sa longueur. Blessé, il tenta de fuir. Mais il devint la proie de ses congénères qui se jetèrent sur lui. Cela donna un répit à Saalyn qui en profita pour s’échapper.

Sa passagère se mit soudain à se débattre. Elle n’avait plus de souffle et paniquait. La guerrière libre resserra son étreinte et lui bloqua le nez. Les lumières éclairaient toujours la surface. Pourtant elle avait parcouru une bonne distance. Elle ne pouvait pas remonter pour respirer. Pour elle ce n’était pas bien grave, elle était très loin de ses limites. Mais pour la jeune femme qu’elle tentait de sauver, il fallait espérer que sa destination ne se trouvât plus très loin. Il lui restait un stersihon tout au plus avant qu’elle mourût. Elle n’attendit pas que le corps s’amollît. Bien au contraire, elle reprit sa progression vers l’aval sans perdre de temps, entraînant l’humaine derrière elle. Au bout d’un instant, elle sentit qu’elle s'évanouissait. Elle espérait qu'elle n'allait pas atteindre sa destination avec un cadavre.

Sur la rive, les lumières la suivaient. Elles ne progressaient pas aussi vite qu’elle, signe qu’elle n’était pas repérée, mais ils cherchaient quelque chose. C’était la preuve qu’ils connaissaient les capacités des stoltzt à la nage. Cela confirmait la présence d’au moins un parmi eux. Elle les distançait, mais elle craignait que ce ne fût pas suffisant pour émerger en toute sécurité au point de rendez-vous. D’autant plus qu’elle allait devoir remonter à la surface pour se s'orienter.

Au-dessus d’elle, la poursuite sembla cesser. Les lumières s’étaient immobilisées. Mais les poissons étaient revenus à la charge. Elle comprenait pourquoi on avait retrouvés très peu de corps. Elle dut s’arrêter pour se défendre. Un gros, de sa taille, passa à l’attaque. Une gueule pleine de dents fonça sur elle. Elle l’evita de justesse. Elle se tourna pour lui faire face. Mais il n’était pas seul. Un deuxième se présenta par le côté. Elle surveillait les deux, mais doutait d’arriver à les tuer. Elle esquiva une seconde fois. Le monstre la frôla. Elle s’était trop refroidie, ses réflexes s’étaient émoussés, elle avait surestimé ses capacités. Elle allait mourir ici, ou allait être obligée d’abandonner sa compagne.

Soudain, une forme massive déboula sur elle. Elle se précipita vers le plus petit des deux prédateurs et l’éventra. L’autre délaissa la proie vivante et dangereuse qu’il convoitait pour cette nouvelle plus facile. Öta se retourna alors vers son mentor et lui fit signe de remonter. Ils étaient arrivés au point de rendez-vous.

L’endroit déniché par le disciple se révéla encore plus discret que le premier. Il se situait dans l’arrière-cour d’une maison, isolée des voisins par des murs hauts. Pour le moment les lieux étaient vides. Mais l'apprenti les avait investis plus tôt dans la journée. Il aida Saalyn à sortir la jeune femme de l’eau. Elle ne respirait plus. Il l’allongea sur le sol de gravier et lui ouvrit le corsage.

Saalyn était épuisée. Et frigorifiée. Elle tomba à genoux, incapable de parcourir un pas de plus.

— Chargez-vous de Saalyn, ordonna Öta, réchauffez la.

Les deux prostituées la soutinrent pour s’éloigner de la rivière, elles l’installèrent sur un petit banc de pierre qui rajouta au froid. Elles l’enveloppèrent dans une couverture et commencèrent à la frictionner. La guerrière libre se laissa aller entre les mains attentionnées.

— Les bouillottes, dans le sac, dit Öta tout en s’occupant de sa patiente.

Lentice ouvrit le sac que l’apprenti désignait. Elle en sortit une de ces bouillottes mises au point dans un lointain royaume désertique au bord de la Grande route de l’est. C’était une sorte de poche étanche remplie de liquide. Quand on le tordait violemment, le liquide se cristallisait en dégageant beaucoup de chaleur. Il suffisait de le réchauffer, en l’exposant par exemple au soleil du désert, pour le rendre à nouveau utilisable. La jeune femme en voulait une depuis longtemps. Mais elles étaient trop chères. Et là elle en avait une vingtaine, une vraie fortune, sous les yeux. Avec l’aide de sa compagne, elle les activa toutes et les glissa sous la couverture, directement contre la peau de la Saalyn. Elles chauffaient trop pour être tenues à la main sans douleur par une humaine, mais une stoltzin ne courait aucun risque de brûlure.

De son côté, Öta s’était occupé de la victime des ravisseurs. Il s’était assuré que le cœur battait toujours. Il était faible, mais perceptible. Il chassa ensuite l’eau de ses poumons. Il se révélèrent vides, Saalyn l’avait bien protégée. Il lui bascula la tête en arrière et lui souffla dans la bouche. La poitrine se souleva, puis retomba. Il recommença, et encore. Et encore. Et encore

Les deux humaines le regardaient faire, tout en continuant à réchauffer la stoltzin. Elles étaient à la fois intéressées par la technique qu’il utilisait, et surprises que quelqu’un se donnât tant de mal pour sauver une personne exerçant leur métier. Elles vivaient en compagnie des deux Helariaseny depuis un bon douzain pourtant.

Au bout d’un moment, la jeune femme respira de nouveau seule. Öta la surveilla. Puis estimant qu’elle était tirée d’affaire, il referma son corsage. Il s’occupa alors de sa compagne. Elle allait bien. Elle était juste engourdie par le froid. Les stoltzt ne régulaient pas leur température aussi bien que les humains. Ils supportaient que leur corps descendît plus bas que pour ces derniers, mais au prix d’une réduction de leurs performances. Et comme elle était légère, Saalyn perdait sa chaleur beaucoup plus vite qu’une personne de la corpulence d’Öta. C’est l’adrénaline qui l’avait soutenue. Quand elle s’était retrouvé en sécurité et que la tension était retombée, la physiologie avait repris le dessus, elle s’était effondrée.

— Nous allons dormir à l’intérieur, annonça Öta. Nous ne partirons que demain. Nous serons plus discrets au milieu d’une foule.

Les deux femmes approuvèrent ces paroles. L’apprenti serrait son maître contre lui. Elle cherchait sa chaleur ; en vain, les stoltzt en produisaient peu. Il la confia aux deux femmes pour ramener la blessée. Il la souleva délicatement dans ses bras et la porta à l’intérieur.

Öta n’avait pas occupé toute la maison, seulement le salon et la cuisine. Il déposa la survivante inconsciente sur un canapé en cuir. Il contrôla qu’elle respirait toujours. Derrière lui, les deux alminatii guidaient sa compagne. Saalyn manifestait cette docilité qu'on les stoltzt en état d’hypothermie. Il n’aimait pas la voir comme cela, elle qui était si vive quand elle était en pleine possession de ses moyens. Il fit asseoir l’une des femmes et cala la stoltzin contre lui.

En préparant la mission, il savait dans quel état allait être Saalyn. Les bouillottes étaient épuisées. Elles produisaient une chaleur intense, mais pour une courte durée. Il avait donc prévu un tas de couvertures. Il en étala une sur sa compagne et une autre sur la blessée. Puis il en prit une pour lui et s’installa dans un fauteuil libre. La dernière femme du groupe vint le rejoindre.

En la sentant se blottir contre lui, il pensa que Saalyn et lui avaient engagé deux prostituées et qu’elles avaient fait beaucoup de choses, mais aucune en rapport avec leur métier. Il n’avait couché avec aucune des deux bien qu’elles fussent mignonnes. Et Saalyn n’avait pas de goût pour ça. Bon, il les avait un peu chahutées au début, peloté quelques seins ou pincé des fesses à portée. Mais ça n’était pas allé plus loin. Il n’était pas étonnant qu’elles s’accrochassent à eux. Elle devait bien se douter qu’elles ne seraient jamais payées pour la totalité de leur prestation. Apparemment, le ticket de passage vers la Pentarchie était un motivateur suffisant. Elles auraient certainement effectué le voyage depuis longtemps, comme tant d’autres avant elles, si leur proxénète n’y avait veillé. D’ailleurs, il se tenait bien tranquille celui-là. Tôt ou tard, il allait s’inquiéter de la disparition de deux tapineuses. C’était sans aucun doute déjà fait. Il n’allait pas mettre longtemps à remonter la piste. Même s’il ne présentait pas de danger, il risquait de tout faire rater en attirant l’attention sur eux au mauvais moment. Il était temps que cette mission se terminât.

La veille, Öta avait pris soin de parquer une calèche fermée dans le garage au cas où ils auraient dû partir en toute discrétion. Ce genre de véhicule, signe d’une certaine aisance, n’aurait jamais été arrêté par des brigands en pleine ville. Surtout en plein jour avec des patrouilles en permanence dans les rues. De toute façon, jamais on n'irait chercher une prostituée dans l’une d’elles.

Le jeune stoltzten revêtit un costume de cocher. Il avait prévu des vêtements pour les filles aussi. Lentice devait interprêter une grande dame, Saalyn et Ralsynthe étaient ses suivantes. On faisait moins attention aux domestiques. Si la calèche était fouillée en route, elle aurait plus de facilité pour agir. La blessée allait jouer son propre rôle. Elle était toujours inconsciente, Lentice lui prendrait la tête sur les genoux, comme une sœur aînée protégeant sa cadette malade.

Saalyn avait retrouvé toute son énergie. Elle aida son compagnon à organiser leur départ. Aucune trace d’eux ne devait rester dans la maison. Elle fit le tour des lieux, vérifiant qu’ils n’avaient rien oublié.

Enfin, les quatre femmes entrèrent dans la cabine. Öta, fidèle à son rôle, ouvrit le portail de la demeure. Il monta sur son banc et guida l’attelage dans la rue. Puis il referma derrière lui. Le quartier, purement résidentiel, était quasiment vide. Il conduisit habilement les chevaux sur les chaussées pavées jusqu’à atteindre une grande artère, noire de monde. Leur destination n’était pas l’hôtel de passe qui leur avait servi si longtemps de base, mais le consulat d’Helaria dans la direction exactement opposée. La foule gênait leur progression, mais ils n’étaient pas pressés. D’autant plus qu’elle assurait leur sécurité. Ils mirent plus d’un monsihon pour rejoindre leur objectif.

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