Chapitre 11 - Partie 1
Le jour de l’assaut était arrivé. L’entrepôt n’était pas une forteresse, la garde de la ville n’aurait aucun mal à l’investir. Mais quelqu’un devait s'introduire dans la place pour protéger l’otage. C’est Saalyn qui devait s’en charger.
Déguisée en prostituée, dans la rue la plus large qui menait au repaire des malfaiteurs, elle attendait. Celui qui sortait chaque soir les ravitailler n’allait pas tarder à revenir. Elle jeta un bref coup d’œil au guerrier libre qui, le cas échéant, devait jouer le rôle de son souteneur. Elle était parfaitement capable de se défendre seule si un concurrent avait voulu l’ajouter à son cheptel. Mais cela aurait décrédibilisé sa couverture. Et puis, le jeune humain, de passage au consulat avec son maître, était trop heureux de travailler avec la célèbre Saalyn. Cette célébrité présentait un avantage, elle ne manquait jamais de volontaires quand elle en cherchait.
La femme qu’ils avaient sauvée, quelques jours plus tôt, avait parlé. Elle avait donné une description assez précise des lieux. L’étage n’était pas comme elle l’avait cru à l’origine, un appartement privé, mais un atelier de confection désaffecté. Il était constitué d’une grande pièce unique à laquelle s’adjoignaient un bureau et une réserve d’un côté. Une petite zone d’habitation, guère plus qu’un campement, occupait le mur opposé avec quelques paillasses à la propreté douteuse. Une table, quelques chaises et un réchaud composaient le reste de l’ameublement. Elle avait compté sept ou huit hommes, elle n’avait pas fait attention. Et parmi eux, deux stoltzent. Elle n’avait par pas vu de femme prisonnière, mais pendant son bref passage, l’un des occupants était entré dans la réserve avec une gamelle de nourriture. Il en était ressorti les mains vides moins d’un stersihon plus tard. S’il y avait une prisonnière, c’est là qu’elle se trouvait.
Par contre, elle avait à peine esquissé le portrait des résidents. Leur chef était un homme, assez bien fait de sa personne, avec un bouc soigneusement taillé. Il s’était montré relativement doux avec elle, ce qui était rare dans sa profession. En revanche, quand l’un de ses subordonnés avait commis une erreur, elle avait été incapable de dire laquelle, il lui avait balancé dans le visage un direct du gauche qui l’avait étalé sur le sol du premier coup. C’est d’ailleurs comme ça que ses hommes l’appelaient : « Le Poing ». Ce nom ne signgifiait rien pour Saalyn. Cependant, il figurait sur une bonne part des ordres de mission des guerriers libres de passage au consulat. Depuis un peu plus de onze mois, on lui attribuait de nombreux méfaits. Il avait donc commencé à exercer au moment où la guerrière libre s’était réfugiée à l’ambassade d’Helaria à Sernos, ce qui expliquait qu’elle n’en eût jamais entendu parler.
Depuis deux jours déjà, la garde de la ville préparait l’assaut. Elle avait été prise d’une frénésie de contrôles, vérifiant les papiers des prostituées habituées aux bords de la rivière. Naturellement, très peu d’entre elles étaient en règle, la plupart se retrouvèrent en prison. Il n’en restait quasiment aucune aux abords de l’entrepôt. Et la seule correspondant aux critères des brigands était Saalyn. Quelques collègues écartaient les éventuels clients. Mendiants, ivrognes, drogués en manque, ils jouaient tous les rôles à la perfection, ce qui laissait la guerrière libre tranquille.
Elle était tellement perdue dans ses pensées qu’elle n’entendit pas qu’on l’appelait.
— Eh toi ! Combien pour la nuit complète ?
C’était le rabatteur du groupe.
— Ça dépend. Pour faire quoi ?
— La totale.
— La totale, ça va douiller. T’as assez de fric ?
Il sortit une bourse bien garnie.
— De l’or, dit-il.
Et il l’ouvrit pour lui montrer les pièces éclatantes comme le soleil. Le visage de la guerrière libre s’éclaira.
— Avec ça, tu peux m’avoir toute la nuit avec tous tes potes de toutes les façons que tu veux.
— Ça tombe bien, on est huit.
— Huit !
Un moment, elle exprima de l’appréhension, mais le sourire revint très vite. Elle passa les bras autour du cou de son client, écrasant ses seins largement dénudés contre sa poitrine.
— Je suppose qu’on va chez toi, chez moi on rentre tout juste à deux.
L’individu l’écarta de lui. Il la palpa rapidement pour chercher une arme. Elle se laissa faire en gloussant quand il fouilla l’entrejambe. Il trouva un petit couteau en bois brut à l’intérieur de la cuisse. Totalement inefficace, il pouvait faire mal, mais même pas blesser. Il était destiné à calmer un client récalcitrant.
— C’est à moi ! s’écria-t-elle en essayant de le saisir, rends-le-moi !
Mais il le tint hors de sa portée.
— Après, répondit-il. En attendant il reste avec moi.
Il le passa à sa propre ceinture. Il la prit par le bras et l’entraîna derrière lui, non sans une certaine douceur. Sachant ce qu’il lui réservait après sa prestation, Saalyn fut surprise.
La guerrière jeta un coup d’œil à son garde du corps. Il avait tout vu. Elle escomptait qu’il avait aussi tout entendu. Elle espérait surtout que les gardes se mettraient en place très vite. Sinon, face à huit personnes et sans armes, elle serait obligée de jouer son rôle jusqu’au bout, ce qui ne l’enchantait pas.
Alors qu’ils traversaient la place, un garde de la ville les arrêta.
— Où allez-vous ? demanda-t-il.
Le malfaiteur désigna l’entrepôt.
— Je vis là-bas, dit-il.
— Dans un entrepôt. ?
— Mon patron nous loge. C’est dans mon contrat.
— Je parie qu’il vous donne juste une paillasse entre deux caisses.
— C’est pas à ça que je m’attendais quand j’ai signé, mais oui.
Le garde s’esclaffa.
— C’est toujours comme ça. Y’a pas plus radin que les patrons.
Il allait s’éloigner quand l’homme le retint.
— Que se passe-t-il ? Pourquoi tous ces contrôles.
— Il y a eu un cambriolage dans une maison.
— Ah ! Et où ça ?
— Sur la berge à une demi-longe d’ici.
De la main, il désigna l’aval avant de reprendre.
— C’était il y a deux jours.
— Ils ont volé beaucoup.
— Ben non, rien justement.
— Ce n’est pas un cambriolage s’ils n’ont rien pris.
— Je suppose que non.
Le soldat allait pour partir quand il ajouta.
— On pense qu’ils préparent un mauvais coup, mais lequel ?
— Et tout ça pour une maison cambriolée ?
— Officiellement oui. Mais je crois qu’en réalité notre bailli veut nettoyer les rues avant la fête du printemps.
L’homme s’esclaffa. Il regarda le garde aborder une autre personne.
— Voilà qui va intéresser Stranis, murmura-t-il.
— Qui est Stranis ? demanda Saalyn.
— Tu le sauras bien assez tôt.
Puis il entraîna la stoltzin vers le bâtiment. Avant de disparaître dans la porte, la guerrière jeta un bref coup d’œil vers la place. Elle put voir quelques personnes se déplacer rapidement. Les guerriers libres avaient commencé à se mettre en place. Tout devrait bien aller.
Le malfrat entraîna Saalyn à travers l’entrepôt jusqu’à l’escalier qui menait à l’étage. Là, il la fit passer devant lui pour grimper.
— À droite, lui lança-t-il, troisième porte.
Obéissante, elle longea la passerelle, compta les portes et attendit.
— Entre, ordonna-t-il.
Elle tourna la poignée. Derrière il y avait un couloir sombre, à peine plus long que large. Il débouchait dans une grande salle qui occupait presque toute l’étage. Normalement, de grandes fenêtres l’éclairaient. Mais la lumière du soleil couchant avait obligé les occupants à allumer quelques chandelles fixées au mur ou posées sur une table. L’endroit était sombre, mais il faisait suffisamment clair pour lire. La guerrière remarqua la propreté et l’ordre des lieux. Propreté relative, mais cela en disait long sur l’efficacité avec laquelle leur chef se faisait respecter. Dans le fond, sur le mur le plus étroit, elle repéra trois portes. Selon les indications de la jeune femme qu’elle avait sauvée, la prisonnière était dans celle du milieu. Rien ne la distinguait des autres, aucun garde ne la surveillait. Mais à quoi cela aurait-il servi ? Elle ne pouvait aller nulle part sans passer par cette salle.
Un homme de taille moyenne mais très musclé interpella le guide de Saalyn. Il les entraîna vers lui. Vu de près, il semblait très jeune. Il avait éprouvé le besoin de vieillir son apparence en portant la barbe. Il correspondait au portrait du chef de la bande tel que l’avait fait la prostituée. La guerrière libre grava son visage dans sa mémoire. Si c’était lui qui était le maître d’œuvre de toute l’opération, elle allait certainement le revoir dans le futur. Elle apprit plus tard qu’il s’appelait Stranis et elle ne se trompait pas. Il devint très connu. Mais pour l’heure, il en était au début de sa carrière.
— Que se passe-t-il dehors ? demanda-t-il.
Au moment où elle entendit la voix de l’homme, Saalyn sentit ses jambes devenir en coton et ses entrailles se liquéfier. Elle sentait la panique sur le point de la submerger, elle dut faire un effort immense pour rester immobile.
— Les gardes de la ville sont excités comme des abeilles, répondit son guide.
— J’ai remarqué, mais pourquoi ?
— C’est pas pour nous. Ils recherchent des cambrioleurs. En fait, ils appellent ça des cambrioleurs, mais ils n’ont rien volé.
— Explique-toi mieux, tu n’es pas clair.
— Une bande de squatteur s’était installée dans une maison plus bas sur la rivière. Ils n’ont rien volé, juste occupé les lieux.
— Des squatteurs ?
— Le garde n’avait pas l’air de trop y croire. Il pensait à une base arrière pour un mauvais coup.
Stranis réfléchit un moment, la main sur le menton.
— Stranis, appela le bandit, inquiet du mutisme de son chef.
— Laisse-moi réfléchir. Une bande prépare un mauvais coup. Et ça juste le jour où on a été visité.
— On n’est pas sûr de l’avoir été. C’était juste un bruit dans le bassin qui nous l’a fait penser, mais on n’a rien trouvé.
— Même pas la pute.
— Un gros poisson a dû l’emmener. C’est pour ça qu’on les jette à l’eau. Et c’est lui qui aura fait du bruit dans le bassin.
— Tu dois avoir raison.
— C’est quoi cette histoire de fille et de poisson ? demanda Saalyn en jouant l’inquiétude. Je ne veux pas qu’il m’arrive quelque-chose.
Elle n’avait pas eu besoin de se forcer beaucoup pour simuler la peur dans sa voix. Le chef de la bande s’intéressa enfin à la stoltzin qu’il dévisagea comme elle-même l’avait fait un instant plus tôt. Cela ne manqua pas d’étonner cette dernière, vu la façon dont ses charmes étaient exposés, ce n’est pas son visage qu’il aurait dû regarder. Il coula quand même un bref regard sur son décolleté. Il conclut son examen par une tape sur l’épaule de son compagnon.
— Une stoltzin, remarqua-t-il.
— Il n’y avait rien d’autre.
— Enfin, tu t’es surpassé ce soir. Si elle baise comme elle est roulée, on ne va pas s’ennuyer cette nuit.
Saalyn, sous ce qui, dans la bouche de cet homme, pouvait passer pour un compliment, se força à afficher un sourire qui se voulait sensuel sur son visage. Stranis se désintéressa du duo. Il désigna trois personnes et les entraîna à sa suite. Tous ensemble ils sortirent. Dans le lot, Saalyn identifia deux stoltzt, ce qui ne la surprit pas.
La guerrière libre se demanda si ses compagnons avaient eu le temps de se positionner autour de l’entrepôt. Elle jeta un coup d’œil circulaire autour d’elle. Il restait quatre hommes dans la pièce. Un nombre de combattants à sa portée, vu qu’elle ne devait pas les vaincre mais les empêcher d’atteindre la prisonnière. Ils avaient interrompu leur activité et la dévisageait, anticipant les moments agréables qui se préparaient.
— C’est quoi cette histoire de fille dans un bassin ? redemanda Saalyn.
— C’est rien, répondit l’homme, une fille qui a fait une mauvaise chute dans le fleuve.
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