Chapitre 11 - Partie 3

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Elle se releva.

— Le chef s’appelle Stranis, dit-elle, un de ses hommes l’a appelé comme ça.

— Stranis, dites-vous ?

Le soldat retourna le nom dans tous les sens dans sa tête.

— Ce nom ne me dit rien, mais nous allons faire des recherches. Nous trouverons bien d’où il vient.

— J’en doute, répondit Saalyn, hors des villes vous n’avez aucun recensement fiable de votre population. Vous ne trouverez rien.

Elle jeta un dernier coup d’œil sur les deux cadavres avant de s’éloigner en direction du hangar où les prisonniers avaient été conduits.

— Naturellement, je vous recommande la plus grande discrétion sur cette affaire, lui lança le chef de l’escouade.

— Au contraire, je ferais un maximum de bruit là-dessus, répondit-elle.

— Pourquoi ?

— Parce que si les gens savent qu’il a tendance à tuer ses complices, il pourrait avoir du mal à en recruter pour ses prochaines opérations.

— Vous pensez qu’il y en aura d’autres ?

Elle opina de la tête.

— Je pense que dans le futur nous allons entendre très souvent parler de ce Stranis.

Öta la regarda s’éloigner. Puis il examina le bassin. Il ne trouva rien. Mais il était de construction récente. La vase n’avait pas encore eu le temps de se déposer. L’eau ne gardait aucune trace d’un éventuel nageur. Il rejoignit sa maîtresse d’arme.

Sur la place, la jeune fille, encore sous le choc des derniers événements, recevait les soins de deux gardes en attendant le véhicule qui devait la reconduire chez elle. Il trouva Saalyn, sur le bord de la rivière, à regarder les étoiles. Il toussota pour annoncer son arrivée.

— Tu crois que Wotan a raison, demanda-t-il, que les étoiles sont semblables à notre soleil avec des mondes autour et des gens qui y vivent ?

— Nous en avons eu la preuve il y a un siècle quand les Feythas sont venus, répondit-elle.

— Certains suggèrent qu’ils venaient de notre monde, d’un endroit encore inconnu.

— « Certains » sont des imbéciles. J’étais là quand ils sont arrivés. J’ai vu les miracles de leur technologie. Et Muy a vu des choses que personne n’avait vu avant elle et personne ne reverra avant longtemps.

— Et on sait de quel monde ils venaient ?

— Non. Mais on sait d’où viennent les nouveaux peuples.

Elle désigna une étoile proche de celle qui permettait aux marins de retrouver le nord, une étoile que rien ne distinguait de ses voisines plus brillantes.

Öta médita un instant sur l’astre que lui montrait sa compagne. Quand elle baissa la main, il lui passa un bras autour des épaules pour la ramener à l’intérieur. Mais elle résista, sans toutefois repousser le stoltzen.

— Il y a quelque chose qui ne va pas, remarqua Öta.

Il connaissait suffisamment bien celle qui le formait pour savoir quand elle allait mal.

— Sans blague, répondit Saalyn.

— Si tu me disais tout.

Elle prit un long moment avant de répondre.

— J’ai perdu mon sang froid, dit-elle enfin.

— Ça arrive aux meilleurs.

— J’ai massacré ce type, il était désarmé.

— C’était un criminel, il avait enlevé une jeune femme et il s’apprêtait à cambrioler une banque.

— Ce n’est pas une excuse. Ce n’est pas contre lui que ma colère était dirigée, mais contre Jergo. Il a pris pour un autre.

— Jergo est mort.

— Pas pour moi.

— Comment ça. ?

Öta était surpris.

— La dernière fois que je l’ai vu il était vivant. Et en bonne santé. Vous m’avez délivrée, vous l’avez tué. Mais je n’y ai pas assisté.

— Peut-être que voir sa tombe pourrait t’aider. Brun lui a fait construire un mausolée monumental. On aurait dit qu’il honorait une femme aimée, au lieu d’un simple marchand. Mais mettre les pieds en Orvbel n’est peut-être pas une bonne idée.

— Peut-être pas en effet, confirma-t-elle. Ce que je voudrais, c’est voir la tête de Brun.

— Brun est roi. Nous ne pouvons pas l’attaquer sans déclencher une guerre. Et vu le racisme que ressent le reste du continent à notre égard, il trouverait tous les alliés dont il aurait besoin pour nous résister, quand bien même notre cause serait juste.

— J’en suis consciente. Il est intouchable. J’en viens presque à regretter qu’il n’effectue plus de raids pirates sur nos terres. Nous aurions une bonne excuse pour répliquer.

Derrière eux, la ville s’endormait peu à peu. L’action était finie, et pourtant, la nuit commençait à peine. La stoltzin frissonna. Öta la prit par les épaules pour la tourner vers lui. Puis avec beaucoup de délicatesse, il prit le visage entre ses mains. Elle le laissa faire. Du pouce, il sécha une larme qui venait de naître au coin de l’œil. Pour la première fois, il se rendit compte à quel point elle était vulnérable, à quel point ses épreuves en Orvbel l’avaient blessée. Un moment, il eut envie d’embrasser ses lèvres qui paraissaient si douces. Il était persuadé qu’elle le laisserait faire. Mais il ne pouvait pas. Elle était son maître, il était son élève.

L’instant passa. Elle se dégagea.

— Retournons auprès de Careile, dit-elle.

Il lui prit la main. Ils s’éloignèrent de la rivière en longeant le mur du hangar pour rejoindre la place. Les soldats s’étaient rassemblés devant la porte. Les trois kidnappeurs survivants avaient été attachés derrière un cheval, les mains liées. La jeune femme qu’ils venaient de sauver avait droit à une carriole fermée. Une petite escorte l’entourait. Saalyn s’approcha. Le garde s’écarta pour la laisser passer. Elle y grimpa et s’installa sur la banquette libre. La fille du capitaine la regarda, un regard de frayeur dans les yeux. Mais il passa vite.

— On m’a dit que c’est vous qui m’avez libérée.

— J’ai monté l’opération, répondit Saalyn.

— Je vous remercie de tout cœur. Sans vous, je ne serai plus vivante.

Elle lui prit les mains et les serra de reconnaissance.

— Je n’ai fait que mon travail, répondit Saalyn.

— De votre point de vue peut-être. Qu’allez-vous faire maintenant ? Vous allez sauver quelqu’un d’autre ?

Saalyn lui fit un petit sourire.

— Mon travail n’est pas de sauver les gens, mais d’enquêter sur toutes les missions que l’on me confie. J’ignore ce que le roi d’Yrian a en réserve pour moi.

— Le roi d’Yrian ? Pas vos pentarques ?

La jeune rescapée était étonnée.

— Étant basée à Sernos pour l’année en cours, je prends mes ordres de votre roi.

— Je vois. Il est possible que nous nous revoyons alors.

— C’est probable.

La jeune femme enlaça Saalyn, la serra fort contre elle. La stoltzin avait l’habitude de ce genre d’effusion. Malgré toutes ces années, elle continuait à en éprouver de la gêne. Au bout d’un moment qu’elle estima suffisant, elle repoussa Careile.

— Je dois y aller, dit-elle, j’ai mon rapport à faire. En quintuple exemplaires.

— En quintuple exemplaires !

— Pour le capitaine de la garde, votre père, pour le roi, pour mon archonte, pour mes pentarques et ma copie personnelle.

— C’est pas un peu pénible ces rapports ?

— J’écris l’original en helariamen, des scribes se chargent de la traduction et de la copie.

Elle ouvrit la porte pour descendre.

— Que vont devenir ces criminels ? demanda la jeune femme.

— Rien de bien enviable. Il ne fait pas bon d’être criminel en Yrian.

— Vous ne pouvez pas être plus précise ?

— Je ne pense pas que vous voudriez que je le sois.

— Vous cherchez à m’épargner. Mais avec ce que j’ai vécu ces derniers jours, ce n’est pas utile.

— Ce que vous avez vécu n’est rien à côté de ce qu’ils vont vivre.

Saalyn descendit sur le marchepied.

— Encore merci, dit la jeune humaine.

— C’est moi qui vous remercie, répondit Saalyn.

— De quoi ?

— De m’encourager à continuer.

— J’espère que vous parviendrez à vaincre vos démons.

La guerrière libre quitta le véhicule pour rejoindre son élève qui l’attendait en compagnie des gardes. Elle jeta un coup d’œil sur les prisonniers qui n’en menaient pas large.

Et ils avaient raison. Ils avaient séquestré la fille d’un officier de l’armée royale en vue de s’en prendre aux biens de l’État. En Yrian c’était un crime. Et les crimes étaient punis de mort. Ils étaient dociles, espérant la clémence du juge. Mais ils se trompaient. Ils seraient condamnés. Les plus chanceux seraient vendus comme esclaves aux royaumes qui géraient les mines du désert empoisonné. Les autres resteraient en Yrian, à la disposition des chirurgiens qui auraient besoin de parfaire leurs connaissances en anatomie ou de perfectionner leur art.

La stoltzin n’éprouvait cependant aucune pitié pour eux. Ce qu’ils avaient infligé à cette femme, elle ne l’oubliera jamais. Et toutes ces prostituées assassinées, comme s’il s’agissait de sous-êtres. Elles avaient une vie, une famille, des enfants pour certaines. Ils avaient brisé tant de vies, par cupidité, qu’elle estimait qu’ils méritaient leur sort.

Elle se laissa entraîner par Öta vers les montures que les gardes avaient amenées.

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