Chapitre 14

7 minutes de lecture

Wotan quitta Elmin le lendemain. Il voyageait avec une petite escorte de quatre gardes des deux sexes. Il avait tenu la promesse faite à Saalyn, les trois prostituées l’accompagnaient. Tout le monde chevauchait sur un hofec nain, le fameux lézard-dragon que les stoltzt utilisaient comme monture. Les trois femmes s’étaient faites facilement à l’idée de grimper sur ces fauves et n’avaient pas tardé à les maîtriser. Il faut dire que les hofecy étaient des animaux très intelligents, ils s’étaient vite adaptés à leur cavalière. Et il n’était pas sûr que ce soit elles qui les dirigent. Il était plus vraisemblable qu’ils décidaient eux-mêmes de leur trajet, se calquant sur leurs congénères.

Tout l’équipage menait bon train en direction de l’ouest. L’objectif était de rejoindre le fleuve. À la hauteur d’Elmin, il n’y avait pas moyen de descendre jusqu’à sa rive, en tout cas Wotan n’en connaissait pas. La falaise était trop haute et trop raide. Mais elle n’était pas hors de portée des catapultes d’une frégate helarieal. À défaut de transporter le pentarque, le navire pourrait donc assurer sa protection.

Ils chevauchaient depuis moins d’une demi-journée quand un incident interrompit le voyage. Un groupe d’une dizaine d’humains barrait la route. Les voyageurs s’arrêtèrent à une distance raisonnable. Wotan attendit, imperturbable. Les gardes n’avaient pas sorti leurs armes, mais ils étaient devenus extrêmement vigilants.

Celui qui semblait être le chef s’avança.

— Nous ne vous voulons pas de mal, dit-il.

— Alors pourquoi nous avez-vous monté une embuscade ? demanda Wotan.

— Vous avez quelque chose qui nous appartient, rendez-le-moi et vous pourrez continuer votre chemin.

— Tout ce que nous transportons nous appartient.

D’un geste large de la main, le chef désigna les trois femmes. Wotan regarda dans la direction.

— Je ne comprends pas, dit Wotan, ces hofecy ne transportent rien.

— Les femmes, dit l’homme, elles sont à moi.

— Ce n’est pas vrai, s’écria Silmenare, moi je ne t’appartiens pas.

D’un geste de la main, Wotan lui intima le silence.

— Vous parliez de quelque chose, pas de quelqu’un. C’est pour ça que je ne comprenais pas.

Le chef manifesta son agacement en croisant violemment les bras. Mais quelques-uns de ses complices se sentaient mal à l’aise. Leur victime était trop désinvolte. Ils commençaient à se demander s’ils ne l’avaient pas sous-estimée.

— D’autant plus, que l’esclavage étant interdit en Yrian, continua le pentarque, les personnes ne peuvent pas appartenir à quelqu’un. Ces trois femmes ne peuvent pas être à vous.

Le chef remarqua à son tour que le ton de la dernière phrase avait changé. Il était plus dur, manifestant de l’autorité. Il ne se démonta pas pour autant.

— Il n’y a pas de représentants de la loi ici, dit-il, il n’y a que moi. Si tu refuses de me rendre les filles, je les reprendrai de force.

— Viens les prendre.

Toutefois en disant ça, les gardes avaient sorti leur arme, une lance courte mais à la pointe de pierre polie mortellement acérée.

— Si tu y arrives, compléta Wotan.

— J’y arriverai. Tu n’as que quatre gardes, nous sommes dix. Et vu le peu de marchandises que tu transportes, tu n’as pas dû choisir les meilleurs.

— Tu penses pouvoir nous tuer ? Non, seulement j’en doute. Mais si réellement tu y arrivais, tu serais pourchassé par la garde royale. Tu n’aurais nulle part où fuir.

— Personne ne regrettera la mort de cinq serpents. Je recevrais des félicitations pour ça.

— Il est possible que le roi te félicite en privée pour cet acte. Mais il enverra ensuite ta tête en Helaria pour calmer mes sœurs.

Le proxénète dévisagea longuement le pentarque.

— Qui es-tu ? demanda-t-il enfin.

— Il était temps, c’est la première question que tu aurais dû poser.

Pour toute réponse, Wotan leva la main droite et montra la bague qu’il portait au majeur. La compréhension vint d’un des complices.

— C’est le roi d’Helaria, s’écria-t-il.

— Pentarque seconde, corrigea Wotan.

— Mais il a une si petite escorte, geignit le chef.

— Parce que je n’ai pas besoin de plus. Chacun de ces gardes est un soldat d’élite. À lui seul il pourrait maîtriser votre troupe pathétique. Mais ils ne sont rien en comparaison de moi.

Le chef hésita un long moment avant de répondre.

— Quel que soit l’endroit où vous les cacherez, je les retrouverai, dit-il.

— Il y a beaucoup d’endroits que vous ne connaissez pas, répliqua Wotan.

— Je vous laisse partir, mais nous nous reverrons.

Wotan croisa nonchalamment les bras sur l’encolure de sa monture.

— Pas moi, dit-il, je ne vous laisse pas partir. Je ne tiens pas à garder un ennemi armé derrière moi.

— Vous allez nous tuer ? demanda le chef au bord de la panique.

— Non, rien d’aussi barbare. Par contre vous allez nous remettre toutes vos armes, votre ceinture et vos chaussures.

Un garde avait sorti un grand sac de ses fontes. Il descendit de son hofec et passa devant les brigands.

— Vous nous dépouillez maintenant ? J’ignorai que les rois d’Helaria étaient des voleurs.

— Vous retrouverez le tout trois longes plus loin sur la route. Nous les laisserons sur vos chevaux. En vous dépêchant, vous pourrez les récupérer avant ce soir.

Humilié, le proxénète laissa tomber ses armes et sa ceinture dans le sac. Ses complices se délestèrent également de leurs biens. Wotan prit quelque chose de ses fontes et le rajouta dans le sac.

— Petit cadeau de ma part, dit-il, vous en aurez besoin pour vos pieds dans trois longes.

Le garde remonta sur sa monture et fixa le sac derrière lui. Ses trois compagnons avaient eu le temps de rassembler les chevaux des brigands. Ils les avaient attachés en une longue file. L’un d’eux tenait la longe de celui de tête.

Un signe de tête et la troupe se remit en route.

Une prostituée remonta jusqu’à hauteur de Wotan.

— Vous les laissez partir ? demanda-t-elle.

— Comme vous pouvez le constater, répondit Wotan.

— Mais ce sont des criminels. Je connais leur chef. Il s’appelle Revin, il dirige le plus gros réseau de prostitution d’Elmin.

— Et ? Ça me concerne ?

— Des dizaines de mes consœurs sont réduites en esclavage par ce type.

Wotan tourna la tête vers la jeune femme.

— Si vous avez laissé ces hommes vous dominer à ce point, vous n’avez à vous en prendre qu’à vous-même. Personnellement, je n’ai aucune pitié pour ceux qui se laissent faire sans réagir. Vous êtes les descendants de ceux qui se sont levés pour chasser les feythas. Battez-vous, bon sang !

La violence de la réaction du pentarque surpris Silmenare.

— Vous n’avez pas de prostituées en Helaria ? demanda-t-elle.

— Si, mais nous n’avons pas de proxénètes. Ceux qui ont essayé n’ont pas survécu.

— Les Helariaseny savent se défendre, vous êtes éduqués comme ça.

— Le combat fait partie de notre éducation, mais même chez nous tout le monde n’a pas les aptitudes pour ça. C’est pour ça que les guerriers libres existent.

La jeune Alminatie réfléchit un moment à ces paroles.

— Les guerriers libres pourraient nous libérer ?

— C’est exactement ce que Saalyn vient de faire pour vous.

Wotan s’était calmé.

— Si vous allez chercher de l’aide, vous l’aurez. Mais si vous vous laissez faire sans réagir, ne vous attendez pas à en recevoir.

— Vous ne connaissez pas la cruauté de ces gens, certains n’hésitent pas à mutiler pour contrer toute tentative de révolte.

— Même contre des délinquants de bas étage, il faut une certaine stratégie pour les vaincre. Je ne dis pas que vous devez résister à tout instant, mais il faut savoir saisir le moment pour agir.

— Je trouve amusant que vous me disiez cela, alors que le gouvernement de l’Helaria est le premier propriétaire de maisons closes sur le continent.

Wotan sourit.

— Ce n’est qu’une fiction juridique. L’Helaria ne participe pas au fonctionnement de ces maisons. Parfois un guerrier libre s’en sert de base arrière, mais c’est à peu près tout. Mais qui oserait s’attaquer à une propriété du gouvernement helarieal ? C’est l’un des moyens que ces femmes ont trouvé pour ne pas se laisser dominer.

— Il y en a d’autres ?

— Payer des gardes pour assurer leur protection.

— Quelle différence y a-t-il entre donner son argent à un maquereau ou à un soldat ?

— Une énorme différence. Vous choisissez les gardes, l’argent que vous êtes prêtes à leur verser et tout ce qui concerne son activité. Le proxénète, c’est lui qui choisit pour vous.

Silmenare médita sur ces paroles.

— Un jour, je reviendrai à Elmin, dit-elle, et je délivrerai mes compagnes de l’emprise de ces esclavagistes.

— Permettez-moi d’en douter, répondit Wotan.

Elle tira sur son écharpe pour montrer la cicatrice qui lui barrait la gorge.

— Vous en doutez, mais je ne permettrais plus que cela se reproduise.

— Dans ce cas, vous recevrez toute l’aide que je pourrai vous apporter.

Il lui adressa un salut de reconnaissance de la tête. Elle y répondit. Puis se laissa distancer pour rejoindre ses consœurs.

Il fallut quatre jours de chevauchée pour atteindre Sernos. La première chose que fit la jeune femme, une fois arrivée à l’ambassade, fut d’aller voir l’instructrice en chef pour apprendre à se battre. À sa grande déception, aucune de ses deux compagnes ne l’imita.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Laurent Delépine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0