Chapitre 16 - Partie 2
Les Helariaseny semblaient avoir touché le moins possible aux lieux lors de son aménagement. Les quais qui entouraient toute la partie distale de la grotte étaient constitués des mêmes pierres blanches et noires. Ils semblaient avoir lissé les parois pour mettre en valeur le motif. Des môles flottants s’ancraient sur les colonnes. Et leur système d’éclairage ne produisant pas de fumée salissante, ils ne s’étaient pas privé de l’illuminer. Ternine avait l’impression d’être en plein soleil de midi plutôt que plusieurs centaines de perches sous la terre.
L’ancien espion se tourna vers Littold. Elle le regardait d’un air goguenard. Elle connaissait l’effet des lieux sur les nouveaux venus. Elle avait souvent assisté à cette transformation qui se produisaient en eux, cette surprise intense puis cet émerveillement qui se lisait sur le visage.
— Vous n’étiez jamais venu à Imoteiv, remarqua-t-elle simplement.
Il secoua la tête de dénégation, incapable de prononcer un mot. Maintenant il comprenait pourquoi c’était Imoteiv la capitale de l’Helaria et pas une ville plus imposante comme Neiso.
— C’est incroyable que la nature ait pu créer tant de beauté, parvint-il enfin à dire.
— La nature peut faire beaucoup plus, répondit Littold, mais en l’occurrence elle n’est pas responsable de ça.
— Comment ça ?
— Regardez mieux.
Ternine regarda la grotte une seconde fois. Il examina les ouvertures dans la paroi au niveau du quai ou celles plus en hauteur, accessibles par des balcons et des escaliers. Certaines fermées par des portes étaient certainement des entrepôts et des bureaux ; d’autres des couloirs qui s’enfonçaient dans le cœur de la ville. Et parmi elle, un très grand tunnel grouillant d’activité droit devant eux et un autre plus petit mais surveillé par un poste de garde à leur gauche. Il les montra à Littold.
— La route vers Jimip et celle vers la Résidence, répondit-elle, mais ce n’est pas cela que je voulais vous faire remarquer. Regardez les colonnes, c’est le plus apparent.
Il reporta son attention sur elles sans rien remarquer. Et soudain il comprit. Elles étaient alignées, espacées avec une précision mathématique. Soit la nature était un géomètre hors pair, soit elles n’étaient pas naturelles. Il en fit la remarque.
— Exact, répondit-elle.
— Mais comment avez-vous fait, du stuc ?
— Non c’est vraiment de la calcite. Nous avons fait couler l’eau saturée sur une base de pierres maintenues en place par du ciment.
— Ça a dû prendre du temps ?
Elle acquiesça de la tête.
— Pendant la saison des tempêtes, nous sommes cloîtrés dans nos grottes. Nous avons le temps de nous occuper de notre environnement. Et nous avons eu plus de mille ans pour les édifier.
Il était vrai que de tout temps, l’océan au sud du continent était balayé par des cyclones violents qui se suivaient avec régularité un tiers de l’année. Ils étaient responsables de l’habitat troglodyte de la plupart des îles de l’archipel (en ce sens, Honëga était une exception). La situation avait même empiré depuis la fin de la guerre contre les feythas et les catastrophes écologiques qui en avaient découlé. Mais jamais il n’avait entendu dire que les Helariaseny étaient cloîtrés chez eux. Au contraire, nombre de leurs plus brillantes réussites venaient de ces cyclones. Si leurs grottes, malgré leur étendue, étaient si propres, c’est parce qu’ils avaient su utiliser la puissance du vent pour les nettoyer. L’eau qu’ils utilisaient provenait en grande partie de celle que leur apportait la pluie. En tout cas, jusqu’à ce qu’ils apprennent à dessaler l’eau de mer. Et puis maintenant, il voyait ça. Un port construit tel une œuvre d’art. Un travail qui s’étalait sur plusieurs générations – des générations de stoltzt – et qui était certainement encore en cours aujourd’hui.
Le bateau était sur le point d’accoster. Les remorqueurs avaient cédé la place à de solides gaillards qui tractaient le navire le long des quais. Littold n’attendit pas la fin de la manœuvre. Elle donna une tape sur l’épaule de son invité.
— Venez, dit-elle.
— Et nos affaires ? Je n’ai rien préparé.
— C’est avec ce navire que nous repartirons. Vos affaires restent ici.
— Et d’ici là ?
— Vous logerez avec moi à la Résidence. Je pense que nous y trouverons quelques draps et un lit pour vous caser.
La Résidence. Le palais pentarchial de l’Helaria. L’endroit d’où les pentarques dirigeaient leur empire. Si on lui avait dit quelques jours plus tôt qu’il y logerait en tant qu’invité, il aurait traité son interlocuteur de mythomane.
Littold s’écarta de la rambarde. Elle épousseta les manches de son chemisier, geste plus destiné à remettre les plis en place qu’à éliminer une saleté inexistante. Puis elle désigna à ses pieds un bagage qui avait échappé à la vue de Ternine. Il faut dire que l’ancien espion faisait plus attention aux merveilles qui l’entouraient, dont la jeune stoltzin faisait partie, plutôt qu’à l’équipement du navire. S’il avait encore travaillé pour Brun, celui-ci l’aurait sermonné, voire puni, pour tous les secrets offerts à sa vue qu’il avait laissés échapper. Mais son ancien roi l’avait trahi. En tentant de le faire assassiner, il l’avait libéré de toute allégeance.
— Vous voulez bien vous occuper de cela ? demanda Littold.
— Bien sûr.
Le bagage était long et étroit. Il était lourd, mais pas autant que sa taille le laissait supposer. Une lanière facilitait son transport. Il la passa à son épaule.
— Suivez-moi, ordonna-t-elle simplement.
Il s’écarta pour la laisser passer. Il la suivit des yeux, gagnant un bref moment de plaisir devant sa silhouette que mettait en valeur sa tenue décontractée – un chemisier léger et une jupe assortie qui s’arrêtait au-dessus du genoux, les deux en lin écru – avant de lui emboîter le pas.
Ils n’attendirent pas longtemps sur le pont avant que bateau ne soit amarré et la passerelle mise en place. Ils remontèrent le ponton jusqu’au quai principal d’un pas alerte. Ternine remarqua qu’aucun garde ne leur emboîtait le pas. Mais en y réfléchissant, qui aurait osé s’en prendre à la fille de deux pentarques en plein cœur de la Pentarchie ?
Littold les dirigeait vers le tunnel qui s’ouvrait dans la paroi juste en face d’eux. En s’approchant, Ternine pu voir que des panneaux indiquaient sa destination. C’est la première fois qu’il voyait ça. Et pourtant c’était une idée simple à mettre en œuvre. Les autres royaumes auraient tout à y gagner à en poser chez eux. Ils étaient rédigés en helariamen, ce qui était suffisant vu que cette langue était devenue la lingua franca du commerce international. L’yriani se posait bien en concurrent, mais il était limité au continent d’Ectrasyc.
Le tunnel était animé, c’était une artère majeure de la ville. Et il était organisé comme tel. Tout le long il y avait des grandes portes, des entrepôts certainement, et à intervalle régulier l’ouverture plus large d’un tunnel. L’ensemble était organisé comme une ville avec des avenues séparant des pâtés de maison, des places, des marchés, sauf que tout était sous terre. Toutefois, il ne vit rien ressemblant à des lieux d’habitations. Il estima qu’elles devaient être plus loin. Mais au bout d’une demi-longe, ils étaient sortis de la zone aménagée et il n’y avait toujours pas de maison. Il était surpris, une demi-longe seulement. La ville était petite. Comment pouvait-on la considérer comme la capitale de l’Helaria ? Et où logeaient les gens ? Il posa la question à Littold.
— Quelques niveaux au-dessus, répondit-elle.
Il aurait du y penser. Les humains construisaient leurs villes en surface. Elles n’avaient qu’un seul niveau de bâtiments. Mais Imoteiv était bâtie dans l’épaisseur de la falaise. Elle pouvait comporter plusieurs étages. Il était en plus logique de séparer les lieux d’habitation des lieux de travail pour le confort de tous.
— Combien y a-t-il de niveau ? demanda-t-il.
— Dix-sept vers le haut, en comptant celui-ci, et huit vers le bas, répondit-elle.
Donc vingt-cinq en tout. Il refit ses calculs en se basant sur la distance parcourue depuis le port et considérant que la ville était carrée – ce qui était loin d’être sûr – et il trouva une taille supérieure à celle d’Orvbel, proche du tiers de Sernos. On était bien loin du petit village qu’il avait imaginé tout d’abord.
Imoteiv était connue depuis très longtemps car c’était là que les tisserands avaient installés leurs ateliers. Ternine désirait se procurer une de ces œuvres d’art. Mais même les plus petites étaient hors de ses possibilités. Au moins, il avait espéré qu’en traversant la ville, il passerait devant les ateliers de fabrication des tapisseries, une des trois productions traditionnelles de l’Helaria – avec l’hydromel et les mercenaires. Mais la structure en niveau des lieux ne l’avait pas permis. Il en fut déçu.
La sortie de la ville n’avait quasiment pas diminué le trafic. Ce qui n’avait rien d’étonnant. Cette voie reliait Imoteiv à Jimip et de là rejoignait les autres villes de l’île. C’est alors qu’il remarqua un détail qui aurait dû le frapper dès le port. Le balancement des hanches de sa compagne avait dû bien lui troubler l’esprit pour qu’il passe à côté. Il n’y avait aucun animal autour d’eux. Quelques lézards sur les murs – certainement l’équivalent local du rat – et des insectes. Mais les mulets, chevaux, voire des animaux de compagnie, étaient totalement absents. Les charrettes elles-mêmes étaient tirées par des personnes. Et certains, vu leur musculature digne d’un hofec, en avaient fait leur métier.
— Vous n’avez pas de chevaux ? demanda-t-il.
— Pas dans les grottes, répondit Littold.
— Ça simplifierait bien la vie pourtant.
— Un animal ça fait des crottes. Mal entretenues, ces grottes deviendraient un véritable cloaque insalubre. Introduire des mulets ici surpasserait les possibilités des services de voirie.
— C’est vrai que l’endroit est propre. Et il ne sent pas le renfermé. Il y a même un léger courant d’air.
— Ça demande une discipline de tous les instants.
— Les Helariaseny sont tous des gens soigneux…
— Ne dites pas de bêtises, l’interrompit Littold, les Helariaseny sont comme tout le monde. Nos rues sont propres parce que nous les entretenons. Mais nous avons aussi nos quartiers sordides. Et ce qui se passe derrière les portes des maisons peut être très différents. Certains vivent dans une vraie décharge tellement ils sont malpropres. La ville dispose de nombreux services, comme des conduits de vide-ordure, mais certains ne s’en servent pas. Mais ça doit être pareil en Orvbel ou au Salirian.
— Ça l’est certainement. Sauf qu’au Salirian nous n’avons pas de service de voirie. Les gens jettent tous dans les rues et ce sont les pluies qui nettoient.
— Il ne pleut pas dans nos grottes. Nous devons nettoyer nous-même, conclut la stoltzin.
Au bout de trois calsihons, ils arrivèrent à Jimip. Contrairement à Imoteiv, il n’y avait pas d’entrepôt. Mais la ville étant par le passé le point d’entrée des invasions, il y avait de nombreuses casernes. Avec la construction de Ruvyin sur le continent, elles étaient devenues inutiles. La plupart avaient été abandonnées. Il ne subsistait qu’une petite garnison pour les cas d’urgence. Quelques-uns de ces lieux avaient été toutefois récupérés par la Bibliothèque. On pouvait voir à côté des portes les plaques qui indiquaient quel maître bibliothécaire occupait les lieux.
Ils arrivaient au cœur de la ville. Ils descendaient une avenue large et haute qui s’étendait sur plusieurs niveaux. Des passerelles et des escaliers permettaient d’atteindre les passages situés à différentes hauteurs. Mais la destination de Littold était située au niveau du sol. C’était une porte de grande taille à double battant, largement décorée de moulures et de dorures. Pour l’identifier, le texte n’était pas écrit sur une plaque fixée au mur, mais gravé dans la paroi, les lettres helarieal s’extrayaient d’un fond lissé avec tant de soin qu’il semblait poli. Ternine le déchiffra. Ils se trouvaient devant l’entrée de la Bibliothèque, l’un des lieux les plus prestigieux de la Pentarchie.
Annotations
Versions