Chapitre 29 - Partie 1
Brun pouvait enfin profiter de son harem, après une journée épuisante où il avait reçu une délégation du Salirian qui venait le menacer d’une guerre s’il continuait à razzier ses villages. L’ambassadeur était un pauvre idiot. Il représentait un royaume qui n’existait que dans l’imagination de ses dirigeants, en proie aux guerres intestines, pour savoir qui aurait un petit peu d’un pouvoir qui avait disparu avec l’arrivée des feythas. Déjà du temps de l’ancien empire Okarian, le Salirian était une province lointaine, isolée de la capitale et considérée comme attardée. Par contre, la femme de l’ambassadeur valait le coup d’œil. Il faudrait qu’il se renseigne sur elle. Ce n’était pas son style, trop grande et trop fine là où il les aimait petites et plus rondes. Un peu comme cette Deirane que son espion avait attirée à son attention. Mais il pourrait certainement en tirer un bon prix.
Sa dernière acquisition était du même style que cette petite paysanne Yriani. Il l’avait fait tatouer selon la gravure que lui avait apportée Ternine et lui avait fixé un rubis sur le front. Bon, la colle ne tenait pas longtemps et il fallait le rajuster souvent. Mais il faisait illusion. La fille avait beaucoup crié et pleuré pendant l’opération, mais elle avait trouvé le courage de l’insulter, ce qui renforçait l’illusion. C’est exactement comme ça qu’il imaginait Deirane, comme une pouliche rétive qu’il faudrait mater.
La jeune esclave se révéla parfaite. Indocile à souhait. Même les menaces ne purent la calmer et il dut la frapper pour qu’elle arrête de se débattre. Il la maîtrisa de tout son poids, lui maintenant les bras au-dessus de la tête. Malgré sa vigueur, elle ne pouvait se dégager, elle était trop menue pour ça. Quand il la pénétra, c’est en criant qu’elle l’accueillit en elle. Après avoir fait l’amour, il la lâcha. Elle lui tourna le dos. Il l’enlaça, manifestant un semblant de tendresse. Elle l’avait mérité après tout, elle avait tenu son rôle à la perfection. Elle ne s’enfuit pas, mais elle se recroquevilla sur elle-même, protégeant sa poitrine de ses bras croisés. « étrange, pensa-t-il » C’était le seul endroit de son corps qu’il n’avait pas brutalisé. Il la sentait trembler. Il comprit qu’elle pleurait et se demanda pourquoi.
Une cloche sonna, le réveillant. Il regarda sa jeune concubine. Elle s’était endormie elle aussi, seul moyen à sa disposition pour échapper un moment à ce monde. Les larmes avaient séché sur ses joues. Il se retourna pour se rendormir, agacé par cette cloche qui tintait. L’idée chemina lentement jusqu’à son esprit. Il se redressa brutalement sur son lit, ce qui réveilla sa compagne. Elle recommença à pleurer mais Brun se désintéressa totalement d’elle. L’alarme sonnait, le royaume était attaqué. Sans attendre les domestiques, il ouvrit les rideaux de la fenêtre pour faire un peu de lumière et s’habilla. Puis il s’élança dans les couloirs.
Il courrut vers la plus haute tour de son palais. De là, il pourrait voir ce qui le menaçait. En chemin il croisa Dayan, qui visiblement était également occupé avec sa compagne peu avant, et qui se rendait maintenant au même endroit que son roi.
— Que se passe-t-il ? demanda Brun, vous êtes au courant ?
— L’Helaria nous attaque, répondit le ministre, sa flotte se prépare à entrer dans le port.
— Mais pourquoi ? Nous avons bien fait attention à ne pas les provoquer.
Ils arrivèrent au sommet de la tour. De là, ils voyaient toute la ville jusqu’à la mer. Effectivement, trois navires helarieal s’approchaient de toute leur voilure. Ils seraient là dans moins d’un monsihon.
— Que pouvons-nous faire ? demanda Brun.
— Capituler sans conditions.
— Il n’en est pas question. Ils ne sont que trois.
— La dernière fois, une seule frégate a incendié la moitié de la ville. Et là j’en distingue au moins deux. Avec deux fois plus de force contre nous que lors de la précédente attaque, nous n’y survivront pas.
Brun bouillait de rage.
— Ils font ça pour nous humilier, nous obliger à nous rendre avec seulement trois navires. En plus ils les qualifient de légers.
— Ils sont plus fort que nous, nous devons bien l’admettre.
— Si nos ancêtres avaient fait correctement leur boulot il y a cent ans, nous n’en serions pas là.
Dayan regarda la menace qui approchait.
— Il faut mettre nos plus beaux atours, dit Dayan, apparaître le plus royal possible et pas comme des gueux.
— Ça n’aura aucun effet sur des Helariaseny.
— C’est de la politique. Tous les détails comptent.
Moins d’un monsihon plus tard, les deux hommes étaient prêts. Brun avait revêtu une tunique au col droit. Elle était en soie blanche brodée de fils d’or. Une ceinture tressée en cuir doré mettait sa taille svelte en valeur. Comme bijoux, il n’avait presque rien. Il portait un seul anneau, une émeraude énorme à la main droite, symbole de la royauté d’Orvbel et sur le front, une tresse en fils d’or portant également une émeraude au milieu du front. Il était assis sur son trône, attendant que l’envoyé de l’Helaria entre. Une marche en dessous, sur un siège qui ressemblait à une version miniature du trône royal, Dayan portait une tenue similaire, mais avec un liseré argenté et n’avait que sa bague, un saphir de taille moyenne. Les deux hommes donnaient l’impression de seigneurs riches, habillés avec goût et sûr d’eux. Ils n’avaient nul besoin d’étaler leur puissance à travers un luxe tapageur.
Ce n’était par contre pas le cas du reste de la cour. Tout ce que le royaume comptait de nobles s’étaient alignés de part et d’autres de l’allée qui reliait la porte de la salle au trône entre les colonnes de marbre qui soutenaient le plafond. Leur tenue reflétait leur richesse par leur opulence, ce n’était que couleurs vives, broderies en fils d’or, bijoux à profusion. Comme ils étaient peu nombreux – l’Orvbel était un petit royaume – ils avaient été rejoints des quelques ministres qui composaient le gouvernement et de toute leur famille, afin de grossir la foule.
L’ensemble était complété par des esclaves choisies pour leur beauté, seulement vêtues de quelques bijoux en or et en argent. Elles avaient été coiffées, maquillées, soigneusement apprêtées pour en mettre plein la vue. Certaines étaient debout derrière le trône, d’autres étaient allongées, la tête reposant sur une de leurs mains, sur une profusion de coussins qui couvraient l’estrade royale. Toutes les ethnies étaient représentées, depuis la pâleur okariane jusqu’à la noirceur naytaine en passant par le doré shacandsen. Leur seul point commun étant leur beauté. Brun avait hésité avant de les faire venir. Mais il savait qu’une telle vue ne pourrait que hérisser les Helariaseny. Ils avaient trop souffert de l’esclavage. Comme l’Orvbel était un État souverain avec ses propres lois, ils ne pourraient rien faire. Il ne pouvait résister au plaisir d’une vengeance, aussi petite soit-elle.
La grande porte s’ouvrit. Un garde entra.
— L’ambassadeur de l’Helaria et sa suite, annonça-t-il.
Brun prit une pose plus royale sur son trône. La délégation helarieal entra. Et tout le décorum mis en place par Brun s’effondra. L’envoyée de la Pentarchie était une gems. Elle était de grande taille, une tête de plus que Brun qui lui-même n’était pas petit, mince et musclée. Sa peau était sombre, un violet très foncé. Ses yeux par contre étaient rouges, ils semblaient briller dans la pénombre, comme deux braises. Elle arborait une fine queue de presque la longueur de son corps et deux petites cornes de part et d’autre du front. Quant à sa tenue, comme tous les membres de son peuple, elle méprisait les vêtements, réservés aux petites gens selon elle. Elle n’avait qu’une chaîne en or autour de la taille, dont chaque maillon représentait un petit crane. Elle portait un coffre en bois précieux soigneusement ouvragé : le présent diplomatique de l’Helaria. Il semblait assez lourd, mais elle le soulevait sans effort. Son escorte n’était guère plus rassurante. Il s’agissait de deux drows, vêtus d’une tunique semblable à celle de Brun, mais noire, sans fioriture, serrée à la taille par une ceinture de cuir. Ils avaient tous les deux une dague du côté droit et une grande épée dans le dos. Le tout en acier. Les meilleures armes pour les meilleurs guerriers. Et ils portaient une demi-armure qui leur protégeait tout le bras droit ainsi qu’une partie du torse. Des combattants expérimentés, dangereux.
De tous les peuples qui vivaient en Helaria, les pentarques avaient choisi les seuls qui n’accordaient aucune importance à l’esclavage.
L’ambassadeur s’avança jusqu’à la première marche de l’estrade royale, déposa son cadeau et recula. Aucune salutation, ni aucune autre marque de respect. Elle laissait juste la place à celui qui viendrait ouvrir le coffre. Cela hérissa Brun. « Que disent les Helariaseny déjà, pensa-t-il, ah oui : un Helariasen ne s’agenouille jamais, même devant son roi. » Et a fortiori devant un roi étranger. Le fait est que cette garce de guerrière libre, quand elle était en son pouvoir, ne s’était pas agenouillée. Elle avait crié à s’en arracher les cordes vocales, elle avait hurlé, elle avait supplié parfois, mais jamais ils n’avaient pu lui faire mettre un genou à terre.
Il reporta son attention sur l’ambassadrice. Elle était belle, bien plus que la plupart de ses concubines. Mais elle ne l’attirait pas. Au contraire, elle le terrifiait.
— Je suis Panation Tonastar, je viens au nom de ma pentarque Wuq vous remettre ce présent.
— Vous direz à votre pentarque que nous sommes honorés de sa considération, répondit Dayan.
— Ma pentarque vous fait dire aussi que la prochaine fois qu’elle sera obligée de faire un tel présent, elle l’amènera elle-même.
La formulation intrigua Brun, ainsi que Dayan.
— Je ne comprends pas, dit-il.
— À l’avenir, tâcher de régler vos affaires hors de l’Helaria.
Elle attendit, sans ajouter un mot. Dayan se leva, il descendit les quelques marches jusqu’au coffre. Il était fermé par une petite serrure en métal doré, mais pas en or. Elle lui tendit la clef. Il se demanda un instant d’où elle la sortait. De sa place, il sentit la chaleur que sa main dégageait. Les gems, contrairement aux stoltzt, étaient chauds, très chauds. C’était avec appréhension qu’il prit le petit objet. Si elle lui avait saisi le poignet, elle l’aurait gravement brûlé. Peut-être même aurait-il perdu la main. Déjà là, sans la toucher, la température de son corps tout proche le faisait transpirer.
La clef était brûlante. Il la fit passer d’une main à l’autre pour la laisser refroidir. Il se savait ridicule et il était sûr que c’était la raison pour laquelle c’était la gems qui la lui avait donnée et pas un des drows. Quand il put la manipuler, il l’entra dans la serrure, la tourna, et ouvrit le coffre. Dedans, il y avait deux têtes humaines reposant sur un lit de paille. Entre elle, une main était étalée, les doigts écartés. De son trône, Brun blêmit en voyant le contenu. Quant à Dayan, il retenait sa rage.
— Ma pentarque espère que c’est le dernier message envoyé de la sorte, reprit-elle. Pour ma part, s’il y en a un autre, je me serais fait un plaisir de vous le porter. Mais je crains qu’elle n’invoque son rang pour prendre ma place.
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