Chapitre 32

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Cela faisait plusieurs jours que l’Orvbelian était arrivé à Honëga. Keren avait suivi la voie habituelle que les espions de la cité-État utilisaient pour entrer discrètement dans la Pentarchie en évitant les postes frontières. Un navire l’avait déposé sur une plage déserte, de nuit, sur la côte ouest de la province de Lumensten. À cause du chaos qui y régnait, son activité agricole était indigente, elle devait donc faire venir de grandes quantités de nourriture pour éviter que sa population ne meure de faim. Les pentarques avaient pris des mesures énergiques pour améliorer la situation, mais il faudrait encore des années avant que les effets ne se fassent sentir. En attendant de nombreux bateaux accostaient au port et repartaient tous les jours pour assurer sa survie. Il était donc facile d’en partir et de là rejoindre n’importe quel autre port de cette thalassocratie. La petite cité maritime de La Tour, capitale de la province, et ses abords immédiats avaient été suffisamment sécurisés pour que malgré l’état de la région, l’opération présenta peu de danger. Malgré ses handicaps, la province fonctionnait, participant de façon non négligeable à l’économie de la Pentarchie, ce qui laissait présager de ses potentialités une fois qu’elle serait pacifiée.

Malheureusement pour Keren, la première mesure des pentarques avait été d’assurer la sécurité de la capitale en menant une chasse contre les malfrats. Parfois, elle s’apparentait à une véritable guerre civile. La présence militaire était importante et la surveillance très efficace. Quelques calsihons après son arrivée, il était pris en chasse par deux de ses homologues helarieal. Son trajet via Kushan, Imoteiv et enfin Honëga était rapporté presque en temps réel aux pentarques.

Sans les consignes de Dayan, il n’aurait jamais su où aller. Retrouver son compatriote au milieu de plus six cent mille individus revenait à chercher la célèbre aiguille dans la botte de foin. Il était espion, pas enquêteur, et n’avait aucune idée sur la façon de procéder.

L’idée du premier ministre d’Orvbel était simple. Si les deux assassins avaient pu être identifiés, c’est qu’ils avaient au moins tenté de passer à l’acte. Cela ne présageait cependant pas de la réussite de leur mission. La Pentarchie considérait la tentative de meurtre de la même façon que le meurtre lui-même. Que leur mission ait réussi ou pas, les deux assassins envoyés par l’Orvbel avaient été condamnés à mort et exécutés. L’Helaria entretenait des archives. Le jugement avait été transcrit en plusieurs exemplaires. L’un d’eux avait été déposé dans la bibliothèque. Il suffisait d’y aller et de le lire.

Contrairement au Lumensten, l’Honëga était une province sûre, les infrastructures fonctionnaient bien. Le trajet vers la section locale de la bibliothèque était clairement indiqué. Il n’eut aucun mal à le trouver. Après une brève hésitation, il entra, suivi de toute son escorte invisible. Le bâtiment n’était pas aussi grand que la maison mère à Jimip. Il était moins bien fourni. Cela était sans importance pour Keren, seule la zone d’archivage des documents administratifs l’intéressait.

Un bibliothécaire guida l’espion jusqu’à la section des décisions de justice. Il se garda bien de dire quel jugement il voulait. Mais les documents étant classés par date, il n’eut aucun mal à trouver celui qu’il cherchait. Le texte était très court. Il n’y avait pas eu de jugement. Comme l’Helaria n’appréciait pas que les truands étrangers viennent exercer leurs méfaits sur son territoire, ils n’avaient fait l’objet d’aucune clémence. Dans ce genre de situation, l’Helaria réagissait avec une extrême violence. Alors que des citoyens de la Pentarchie auraient pu bénéficier de multiples appels qui auraient reporté leur jugement voire abouti à leur libération, les deux espions avaient été, sous l’ordre direct d’un pentarque, exécutés. C’est Wuq en personne qui l’avait ordonné. Néanmoins, malgré leur brièveté, les minutes étaient complètes. Tous les détails de l’affaire y figuraient. En quelques stersihons, Keren avait tous les renseignements qu’il désirait.

Il ne fallut que quelques calsihons pour rejoindre le cimetière de la ville. L’Orvbelian était surpris, il ignorait que la Pentarchie en avait aménagé sur son territoire. Généralement, les Helariaseny n’enterraient pas leurs morts. Ils les rendaient à la nature. Selon les régions, les rituels différaient. Sur l’archipel, ils procédaient généralement par immersion dans l’océan. Toutefois, cette pratique n’était pas inscrite dans la loi, c’était juste une coutume. Et quelques Helariaseny avaient immigré d’endroits procédant de façons différentes. Des étrangers aussi pouvaient mourir pendant leur séjour dans le royaume et y être inhumés. Pour eux, il existait donc quelques cimetières. Mais ils étaient petits et peu nombreux. Keren mit peu de temps à l’explorer. Il trouva rapidement la tombe de Ternine.

Ainsi Ternine était mort et enterré. Les deux assassins avaient eu le temps d’accomplir leur mission avant de mourir. Brun serait rassuré. Il n’avait pas pu révéler les secrets de l’Orvbel aux Helariaseny puisque les morts ne peuvent plus parler. Il n’avait plus qu’à rentrer chez lui et à annoncer la bonne nouvelle à son roi.

Un peu plus d’un monsihons plus tard, un des secrétaires de Wotan entra dans le bureau du pentarque.

— J’ai une dépêche télégraphique en provenance d’Honëga, annonça-t-il.

— Alors ?

— L’espion d’Orvbel a bien trouvé la tombe de Ternine. Le rapport arrivera d’ici-après-demain.

Wotan acquiesça du menton.

— Merci, dit-il.

Le secrétaire sortit. Wotan lui emboîta le pas. Mais au lieu de le suivre, il se rendit quelques portes plus loin dans le bureau de que ses sœurs Wuq et Muy partageaient.

— Tu es au courant concernant l’Orvbel ? demanda-t-il.

— J’ai été prévenu oui, répondit Muy.

— Il est donc officiellement mort pour l’Orvbel.

— Si les dirigeants d’Orvbel y croient.

— Ils n’ont aucune raison de ne pas y croire, répondit le pentarque seconde. D’après les témoignages, il s’est envoyé en l’air pendant toute la fête avec une belle stoltzin. Il ne s’est à aucun moment approché d’un bâtiment officiel ni essayé de prendre contact avec nous.

— Ce qui m’inquiète est que le jour où les Orvbelians comprendront que nous détectons leurs espions dès leur entrée sur notre territoire, ils risquent de trouver une autre voie d’accès qui nous aura échappée, ajouta la petite stoltzin rousse. C’est peut-être déjà le cas. Ils pourraient très bien envoyer un leurre par la voie habituelle et un autre par un autre moyen.

— C’est ton travail de faire en sorte que personne ne puisse entrer dans la Pentarchie sans que nous le sachions.

— Nous ne sommes pas une dictature aux frontières fermées. Il y a beaucoup de moyens d’entrer discrètement chez nous.

— C’est pourquoi c’est Littold et pas Peffen qui a abordé Ternine, expliqua Wotan. Elle vit la plupart du temps à Kialtuil. Personne à l’étranger ne connaît son visage. Même si un espion a surpris leur rencontre, il ne pourra rien en déduire.

— Le meilleur plan est celui qui, quel que soit les chemins empruntés, mène à la victoire, intervint Wuq.

— Tu vas peux être devenir diplomate un jour, plaisanta Wotan.

— Il m’est arrivé de faire ce cauchemar parfois, répondit Wuq. Une des armes feythas que nous entreposons au sous-sol explose, détruisant l’île et me laisse seule aux commandes de la Pentarchie en compagnie de Littold.

— J’espère que ce n’est pas un rêve prémonitoire, remarqua Wotan.

— J’en doute, dans mon rêve, nous venions juste de vaincre les feythas. Kushan était encore un royaume étranger.

Wotan était plus troublé qu’il ne le montrait. Il en avait fait un semblable, ainsi que Vespef et Littold mais qui finissait quand il mourrait à la suite de l’explosion. Peut-être était-ce normal de partager des rêves dans une famille de télépathes. Mais dans ce cas, pourquoi cette fin personnalisée, différente pour tous ? Il préféra revenir à leur discussion initiale.

— Ce plan a été mis au point par un ancien apprenti de Saalyn. Il n’est peut-être pas aussi parfait que ceux qu’elle établit, mais je pense qu’il fera l’affaire.

Wotan quitta le bureau de ses sœurs pour rejoindre le sien.

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