Chapitre 42 - Partie 1
Ils chevauchaient dessus depuis deux jours sur la route qui reliait Anbes à Lynn, quand ils virent un groupe de cavaliers, loin devant eux. Ils étaient nombreux, une douzaine environ. Parmi eux, ils pouvaient voir une petite jeune femme aux cheveux blonds. Les renseignements de Banerd étaient de première force. À leur vue, Saalyn devint toute excitée, mais son groupe était trop inférieur en nombre pour les affronter de face. Sans compter la présence d’Hester qui les handicapait. Il allait falloir jouer serré. La guerrière libre passa des consignes pour qu’ils jouent les simples voyageurs qui se rendaient dans les provinces sud du royaume.
Lentement ils les rattrapèrent et les doublèrent. Saalyn en profita pour jeter un coup d’œil à ces étrangers qui les dévisagèrent de même. La joie de la stoltzin se mua en désespoir. Öta qui connaissait bien son maître devina aussitôt son changement de moral. Dès qu’ils eurent suffisamment distancé les autres, il posa la question.
— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.
— Ce n’est pas Deirane, répondit-elle.
— Vous êtes sûr, intervint Banerd, elle correspond à la description dans les moindres détails.
— J’ai vécu avec elle pendant huit mois. Je la connais. Son rubis est incrusté dans sa peau, pas porté par un bijou.
— Parce que c’était sérieux cette histoire de pierres précieuses greffées dans sa peau ?
— Oui.
— Je croyais que c’était juste une image, dit Banerd.
— C’est la réalité, répondit Öta, je l’ai vue. C’est étrange, mais c’est la réalité.
— Si ce n’est pas Deirane, où est-elle ?
— Je me le demande, répondit Saalyn. Nous leur poserons la question ce soir à la veillée.
— Tu penses qu’ils sont liés à cette histoire ?
— C’est une coïncidence étrange je trouve. Nous pistons la mauvaise personne depuis Karghezo. Ça ne peut pas être le fruit du hasard. Ils savent peut-être où est Deirane.
— Je n’en suis pas sûr, intervint Banerd. Si j’avais utilisé un leurre pour brouiller une piste, je ne lui aurais surtout pas dit où j’irais moi-même.
— Je le pense aussi, mais on n’a pas beaucoup d’autres solutions.
— En tout cas, voilà qui explique pourquoi on les a rattrapés si facilement, remarqua Öta. Le séjour chez Sarhol nous avait mis presque une douzaine dans les dents.
Saalyn accéléra le trot pour arriver à la prochaine aire de repos avant la fausse Deirane et son groupe. Mais si les autres choisissaient le refuge qu’ils venaient de croiser, ils ne pourraient rien leur faire. Ces zones étaient sanctuarisées. Tout acte agressif y était interdit, même une opération policière. Et même les hors-la-loi respectaient cette paix. La menace de rester à l’extérieur lors des pluies de feu était suffisante pour brider leur agressivité, surtout en Nayt qui était à la limite du désert empoisonné. Lorsque la nuit tomba, ceux qu’ils poursuivaient n’avaient toujours pas atteint leur campement. À la déception de Saalyn, ils avaient choisi le refuge. Ils organisèrent le bivouac pour la nuit.
L’attaque survint au cœur de la nuit. Öta était de garde. Enveloppé dans son manteau noir, à l’écart du feu, il était totalement invisible. Un craquement attira son attention. Il écouta attentivement, mais le silence était revenu. Quelque chose le mettait mal à l’aise pourtant. Ils étaient trop près du désert pour que les gros animaux puissent vivre. Il y avait bien des lézards ou des insectes, mais trop petits, ils n’écrasaient pas les branches. Fixant le rabat du manteau sur son visage qui seul aurait pu le trahir, il se déplaça plus silencieusement qu’un fantôme jusqu’à Saalyn. Une main sur la bouche pour qu’elle ne crie pas en se réveillant, il la secoua doucement. Elle ouvrit les yeux dès qu’il lui toucha l’épaule. Comme lui, elle ne dormait profondément que quand elle se sentait en sécurité, ce qui n’était pas le cas à la belle étoile sur une route dans un pays étranger. En quelques gestes, il lui expliqua ce qu’il avait entendu. Elle hocha la tête pour manifester sa compréhension. De la tête, elle lui désigna Banerd, allongé juste derrière elle. Puis elle souleva son duvet pour lui montre Hester qui dormait, blotti contre elle. Un problème qu’il allait falloir résoudre.
Öta alla ensuite réveiller Banerd de la même façon. À aucun moment, l’apprenti n’était entré dans la lumière des braises. C’est certainement ce qui retarda les assaillants. Ils voulaient savoir où il se trouvait avant de lancer l’assaut.
L’attaque fut brutale. Les hommes surgirent sur eux, l’épée levée, en hurlant. Ils étaient prêts. Öta rejeta son manteau, leva son arme et para le premier coup. Saalyn était debout, Banerd aussi. Sous la protection du jeune stoltzen et de l’humain, elle enveloppa le bébé dans le duvet en un clin d’œil et le cacha sous un buisson épineux. Aucune chance que le combat s’y déplace. Le geste fut accompli en quelques tösihons. Dos à dos, les trois voyageurs se protégeaient mutuellement. Leur défense était quasiment impossible à passer. Mais ils étaient très inférieurs en nombre. Les assaillants n’avaient pas à s’exposer. Il leur suffisait de se contenter de les fatiguer par des assauts continuels.
Tout en surveillant leurs adversaires, la guerrière libre entendait le Naytain marmonner une imploration adressée à Deimos, le Dieu maléfique de son panthéon.
— Ils sont trop nombreux, cria Saalyn aux deux hommes, on va se faire massacrer.
— Que fait-on ? demanda Banerd qui avait terminé sa requête.
— On concentre nos attaques sur un seul.
— Ils vont nous tomber dessus si on fait ça.
— Öta, tu protèges nos arrières. Banerd, on prend l’homme à la gauche ensemble, il a l’air d’être leur chef.
— Compris, répondit Öta.
— Vous êtes sûre ? demanda Banerd.
— Vous avez une meilleure solution ?
Öta s’élança. Sa taille, son poids, son habileté desserrèrent l’étau qui les emprisonnait. Saalyn en profita pour s’élancer sur leur cible. Mais seule. Banerd ne bougea pas, comme paralysé. Le chef des assaillants para l’attaque de la guerrière libre. Et le combat s’engagea. Mais elle était isolée au milieu d’un groupe d’ennemis.
Öta vit son maître en difficulté. Il se précipita sur elle, bouscula un homme armé d’une hache qui allait la frapper par-derrière et protégea son dos. Ils se retrouvaient à leur point de départ, mais ils n’étaient plus que deux. Il repéra Banerd, non loin, qui avait trouvé refuge contre un arbre et se protégeait du mieux qu’il pouvait. Il savait se servir d’une épée, plutôt bien même, mais ce n’était pas un combattant.
Une épée toucha Saalyn à l’épaule. La blessure était insignifiante, mais pour la guerrière libre, elle marquait la fin. Ils allaient mourir ici.
Des cris retentirent sur la route. Une deuxième troupe arrivait. Saalyn éprouva un moment de découragement. Mais ce n’était pas sur eux que les nouveaux venus s’élancèrent. Ils engagèrent le combat contre leurs agresseurs. Le rapport de force venait de changer, l’issue du combat aussi.
Une personne se glissa contre elle, repoussant un ennemi qui tentait un dernier coup de force.
— Ça va ? demanda-t-il.
— Gervan, s’écria-t-elle en reconnaissant la voix, que faites-vous ici ?
— Je peux repartir si ma présence vous déplaît.
— Non, non, répondit-elle, je suis contente de vous voir.
Le combat fut vite terminé. Au cinquième mort dans leurs rangs, les ennemis se rendirent. Les hommes de la troupe de Gervan s’occupèrent des prisonniers. L’un d’eux amena la jeune fille blonde qui se cachait à un quart de longes de là. Saalyn la dévisagea. Elle ressemblait à Deirane, même corpulence, visage similaire, même couleur de cheveux. Mais ce n’était pas elle. Elle était notamment beaucoup moins jolie. Mais Deirane avait été particulièrement gâtée par la nature de ce côté-là. À son sosie, on avait fixé des éclats de verre sur les joues pour donner le change, mais nulle magie gems ne les maintenait en place, juste quelques points de colle. Elle devait certainement passer son temps à les remettre en place. Deirane était si unique qu’un tel déguisement ne pouvait qu’entraîner la confusion. Un appât parfait pour attirer une guerrière libre dont l’esprit fonctionnait au ralenti.
— Je suis Saalyn, guerrière libre d’Helaria, et toi ?
Des expressions variées traversèrent le visage de la jeune femme. De la peur, non de la terreur. Mais aussi de l’espoir quand la stoltzin se présenta. Une esclave, pensa Saalyn. Et pour beaucoup d’esclave, guerrier libre était synonyme de liberté. Cet espoir était souvent déçu, les guerriers libres devant respecter les lois du pays où ils opéraient. Mais Saalyn avait bien l’intention de retourner vers l’Yrian avec elle.
La stoltzin reposa sa question. Elle ne répondit pas davantage, mais elle poussa quelques borborygmes incompréhensibles. Prise d’un soupçon soudain elle lui demanda d’ouvrir la bouche. Habituée à obéir, elle s’exécuta. Saalyn éprouva de la colère en découvrant qu’elle n’avait plus de langue.
— Les humains sont des barbares, maugréa-t-elle.
Elle enveloppa les épaules de la jeune fille d’un bras protecteur et l’entraîna près du feu qu’un mercenaire venait de ranimer. Quelqu’un lui passa une boisson chaude. Elle hésita avant de l’accepter. Les gens ne devaient pas souvent être gentils avec elle. Elle se demandait certainement ce qu’on allait lui demander en échange.
L’esclave en sécurité, Saalyn chercha Öta. Il avait déjà pris Hester en charge. Parfait. Il restait un point à régler. Elle chercha Banerd autour d’elle. Quand elle le repéra, elle fonça vers lui.
— Mercenaire ! Mon cul ! cria-t-elle.
Prudemment, ceux qui étaient près de lui s’écartèrent, le laissant isolé.
— Comment un type aussi nul à l’épée a pu être engagé dans une troupe de mercenaire ?
Elle allait le frapper au visage, mais il intercepta le poignet en plein vol, l’écartant de son visage. Il attrapa la deuxième main de la même façon, bloquant les deux bras de la guerrière. Elle attaqua avec le genou. Il parvint à dévier le coup vers la cuisse. Il lui fit un croc-en-jambe pour la faire basculer en arrière et se laissa tomber sur elle pour l’immobiliser. Plus fort et plus lourd qu’elle, elle ne parvenait pas à se dégager. Il lui plaqua les poignets au-dessus de la tête.
— Je n’ai jamais dit que j’étais mercenaire, juste que j’étais chargé de protéger une femme. Et je m’acquitte très bien de cette tâche.
— Cette femme, elle est où ? cria Saalyn, tu en parles beaucoup, mais on ne la voit jamais.
Elle se tortilla pour échapper à Banerd, mais en vain. À ce stade, Öta se crut obliger d’intervenir. Il passa Hester à la jeune esclave et se leva pour les rejoindre. Sauf qu’il n’aida pas Saalyn comme elle s’y attendait.
— Je peux émettre une hypothèse ? demanda-t-il.
— Quoi ! lâcha Saalyn.
Sous la surprise, elle cessa de se débattre. Banerd en profita pour raffermir sa prise.
— Je pense que la femme que Banerd doit protéger n’est pas loin, allongée juste en dessous de lui en fait.
Les yeux agrandis sous la surprise, elle regarda le faux mercenaire. Il hocha la tête.
— Mais comment as-tu…
— C’était logique, répondit Öta.
— Mais il avait parlé d’une gems ?
— Moi non, c’est vous qui en avez parlé, remarqua Banerd, moi je n’ai rien précisé.
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