Chapitre 1 (Pt.1)

8 minutes de lecture

Une autre dimension, 2144.

 C’est sous un ciel de nuages noirs que l’apocalypse perdure depuis maintenant deux siècles. Un cauchemar du nom de « Capitale », où les flammes dévorent ici et là le métal des constructions novatrices de la ville. Le soleil n’a jamais vraiment brillé dans ces contrées. Ou alors en de rares occasions, quand le crépuscule vient annoncer l’arrivée de la nuit. Sombre et froide, c’est comme si toute lumière était happée par les ténèbres. Les formes de vie ici y sont légion. Pourtant, la Capitale a tout d’une ville fantôme. Si les patrouilles de la dictature surveillent le moindre centimètre carré de la métropole, les survivants, eux, se cachent dans les immeubles délabrés. La végétation n’y trouve pas sa place. Aucun arbre à l’horizon, aucune fleur. Même pas un lopin d’herbe n’a pu résister à l’atmosphère polluée et au goudron fissuré. Quelques squelettes de voitures embouties et retournées bordent les routes. Ces dernières sont barrées par des débris d’édifices qui ont cédé sous les altercations. Les bennes à ordure éventrées sont le refuge de plusieurs rats dont l’existence est sans doute plus paisible que celle des damnés. Les lampadaires à l’ampoule clignotante sont la seule source de lumière perçant l’obscurité des ruelles.

 Une ville qui pourrait ressembler à n’importe laquelle, mais dont le chaos marque sa particularité. Les rails des trams en suspension, serpentant au-dessus des monuments, n’ont plus vu passer le moindre wagon depuis une éternité. Pour la plupart hors d’usage, à cause des effondrements de la structure, certains semblent flotter en l’air grâce à un pouvoir divin. Quelques boutiques abandonnées aux vitres brisées sont encore remplies des produits qu’elles vendaient. Comme des antiquités laissées là et ayant pris la poussière. Elles attendent des jours meilleurs, dans l’espoir de trouver un nouveau propriétaire. Parfois, un vol de corbeau annonce le prochain massacre, mais leur apparition se fait de plus en plus rare. Peu à peu, ils ont été remplacés par des objets volants mécaniques. Des sortes de vaisseaux encadrés de lumières aveuglantes permettant de scruter les recoins obscurs de la ville, à la recherche des déserteurs. Ces embarcations de fer à la carapace indestructible sont les véhicules majeurs transportant les vassaux de la dictature.

 Des tuyauteries courent le long des murs des bâtiments. Des soldats mécaniques arpentent souvent les rues, armes à la main. Bien qu’ils aient l’allure d’un humain enveloppé d’une armure, sous cette cuirasse ne bat aucun cœur. Simples machines suivant les ordres de leur créateur, elles obéissent aux directives. Elles sont programmées pour tirer à vue et sont aussi redoutables que le cerveau qui les a élaborées. Leur artillerie force le respect : des mitraillettes, des fusils ou parfois des lance-roquettes. Toute une panoplie pour dissuader les résistants de faire une tentative d’attaque ou d’évasion.

 Si la grande majorité d’entre eux n’est qu’un enchevêtrement de fils électriques doté d’une intelligence artificielle, une faible partie est bien faite de chair. Pour beaucoup, il s’agit de malheureux enrôlés de force sous la torture. D’autres ont revêtu sciemment l’étendard de la dictature, en quête de liberté. Les commandants de ces escadres, quant à eux, impossible de mettre un nom sur leur véritable nature. Mais une chose est certaine, il ne s’agit ni d’humains ni de robots. Des monstres, des démons à la forme humanoïde, semant la terreur sur leur passage.

 Le dictateur de ces lieux y règne en maître et traque les rebelles ne se soumettant pas à sa suprématie. Les victimes de cet enfer, ce sont les enfants maudits. C’est ainsi qu’ils sont nommés. Les quelques insoumis tentent de rétablir l’équilibre, mais peu parviennent à survivre en liberté très longtemps. Ils sont les martyrs de ces terres, âmes condamnées à errer, prisonnières de cette dimension. Des murs infranchissables de béton entourent la ville et sont surmontés de fils barbelés. Aux quatre coins de la muraille sont installés des postes de surveillance. Des tours gardées par des sentinelles qui ont toujours un œil sur ce qu’il se passe en contrebas.

 Ces damnés sont désormais obligés de se terrer dans l’ombre et par la faute de leurs ancêtres, tous sont devenus les habitants d’une dimension oubliée. Le courage de certaines familles n’a pas suffi. Ce bébé pleurant devant le massacre qui a eu lieu a bien grandi. Comme tant d’autres, il a atteint un âge mature. Le garçon approche des vingt-six ans. Le temps s’écoule différemment ici. Les siècles qui passent ne sont qu’une poignée d’années dans le monde qu’ils ont quitté. Comme si une barrière temporelle les éloignait de la vie sur le globe terrestre.

 Le garçon dort paisiblement, malgré la terreur qui rôde autour. Des mèches de cheveux rose pastel, presque blancs et lisses, retombent devant son visage. Mais son repos est de courte durée, puisqu’un autre homme à peine plus âgé, portant un haut-de-forme Steampunk et des lunettes de soleil rondes vintages, le secoue pour le sortir de son sommeil.

 — Néo, debout, vite !

 Le dénommé Néo fait une grimace de frustration avant d’ouvrir des yeux embués vers son ami.

 — Satoshi, qu’est-ce qui se passe ?

 Il fronce les sourcils en se redressant de ce qui lui fait office de lit : une bâche noircie par la saleté, surélevée par des débris de mousses et d’autres matériaux souples. Néo n’a pas le temps d’émerger complètement de son sommeil, que Satoshi lui prend le bras pour le tirer dans sa direction.

 — Il ne faut pas qu’on reste ici, ils arrivent…

 Néo ouvre des yeux à la teinte bleu électrique et les tourne vers la rue opposée, que des vaisseaux aériens éclairent de leurs projecteurs. Les deux garçons arborent des styles très différents, mais tous deux possèdent des traits asiatiques, caractéristiques de leur nation d’origine. Le plus jeune est vêtu sobrement. Un chemisier pâle, recouvert par une veste cintrée violette, s’harmonisant avec la teinte de sa chevelure rosée. Quant à l’autre, son aspect s’approche de celui des années 70. Il porte un pantalon en patte d’éléphant et des bottes dignes des rocks stars de la même époque.

 L’homme au chapeau presse son ami à sa suite, alors que le vaisseau passe au-dessus de leur tête. Néo est contraint de le suivre dans une course effrénée au milieu des ruelles. Ils font une pause derrière une benne à ordure afin de pouvoir reprendre leur souffle. Changer de cachette même en plein sommeil est habituel pour eux qui n’ont connu que la crainte.

 — Tu crois qu’ils ne feront pas venir d’autres patrouilles par ici ? questionne Néo, le souffle court. C’est la première fois qu’on reste dehors aussi longtemps.

 Il laisse aller sa peur par un rire nerveux.

 — Depuis combien de temps on ne s’est pas reposé correctement déjà ?

 — Depuis qu’on est sorti, je crois, avoue Satoshi avec un sourire exténué.

 Quelques minutes passent durant lesquelles ils reprennent leur respiration.

 — Si on veut échapper à cette prison infernale, on n’est pas près de dormir, conclut l’homme au chapeau.

 — De toute manière, il est hors de question que je retourne là-bas…

 Une tour aux allures de donjon, les cellules abritant les enfants maudits sont plus terribles que la mort. Comme pour tous les prisonniers, leur devoir est de devenir des soldats expérimentés. Il leur est ordonné de tuer pour la dictature, de vivre sous le commandement du créateur ou de périr dans une lente agonie. Avec un tel régime de terreur, ils ont fini par tisser des liens entre eux. Les forces de la milice, constatant cette solidarité qui peut mener à des mutineries en masse, ont tenté de les monter les uns contre les autres ou d’utiliser ces affinités en leur défaveur.

 — Une éternité ici ne nous promet pas un avenir radieux, n’est-ce pas ?

 Satoshi brise le silence le premier, tirant Néo de ses pensées.

 — Tu as encore fait ce rêve ?

 Le soupir de l’autre vient confirmer la réponse qu’il avait en tête.

 — J’ai encore vu les flammes des torches, ce faisceau de lumière aveuglant. Son visage et les larmes dans ses yeux… Je ne lui pardonnerai jamais ce qu’elle a fait.

 Sa mère, malgré l’héroïsme dont elle a fait preuve, n’a rien pu faire pour le sauver. En admettant, bien sûr, que tous ses rêves reflètent la réalité. Elle n’aurait jamais dû faire l’erreur de rejoindre les autres habitants dans cette grotte. Cela fait longtemps que la haine a pris le pas sur la raison. Il fallait bien un fautif et pour le garçon, c’est cette femme, dont le visage revient sans cesse hanter ses cauchemars. Mais maintenant, il est trop tard pour revenir en arrière. La génération maudite doit réparer les erreurs de ses ascendants. Une responsabilité bien trop lourde à porter pour des enfants de leur âge. Cependant, personne n’en sait davantage sur ce qui s’est réellement passé. Cette histoire sonne comme un rêve lointain, que certains acceptent de croire ou non. Les détails n’ont pas d’importance. En réalité, ils connaissent les fautifs. La milice s’est bien chargée de le leur en faire part, ainsi que de leur rappeler tous les jours la peine qu’ils écopent.

 Pour les plus grands d’entre eux, qui pensent avoir gardé des images de ce qu’il s’est produit, il n’en est rien. La seule chose qu’il leur reste c’est un sentiment amer d’abandon. Néo est bien le seul à faire sans cesse ces rêves étranges. En dehors de Satoshi, il n’a jamais osé en parler. On le prendrait pour un fou. Il en vient parfois à penser qu’il s’agit d’un subterfuge de son cerveau pour combler le manque affectif d’une mère qu’il n’a jamais eue. Sa rancœur pour elle n’a fait qu’être alimentée au fil des rêves et des histoires racontées par les propagandistes de la dictature.

 — J’aimerais quitter ce monde. Le seul moyen d’y parvenir, ce serait de mettre fin à mes jours. Seulement, je ne veux pas être lâche comme eux. Je veux me battre. On trouvera une solution pour faire cesser ce désastre, j’en suis sûr.

 — Et tu sais très bien que je ne veux pas que tu t’attires tous les mérites !

 Satoshi lui donne une tape amicale sur l’épaule après sa phrase, qui a pour effet de lui redonner un semblant de joie.

 Depuis leur arrivée, ils se sont très vite retrouvés confrontés à la peur et se sont toujours soutenus. En apprenant à se connaître, en partageant leur souffrance pour que celle-ci soit moins difficile à supporter. Par la suite, ils sont devenus très proches. À tel point qu’ils se considèrent comme des frères nés du néant, en quête de paradis. Pour la plupart, ils sont arrivés aux côtés de membres du même sang. Mais pour les solitaires, ils se sont constitués eux-mêmes une nouvelle famille.

Annotations

Vous aimez lire Psycho Lilith ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0