Chapitre 4 (Pt.1)
L’heure du départ a sonné et Néo a beaucoup de mal à se réveiller. Comme lorsqu’on sort d’un doux songe pour être ramené à la réalité douloureuse de son quotidien. Ce genre de journée où l’on préfère rester endormi pour ne pas affronter la dure épreuve qu’il nous faut franchir. Voilà un moment qu’il n’a pas dormi paisiblement de cette manière. Le tirer de sa rêverie n’est pas une mince affaire pour Satoshi qui redouble d’efforts. Néo finit par grimacer en sentant son meilleur ami le secouer.
— Mon pote ! Tu sais quel jour on est aujourd’hui ?
— Sensiblement le jour suivant celui d’hier. Pousse-toi, idiot, dit-il agacé par ce réveil prématuré.
Néo tourne le regard sur sa droite pour y découvrir deux sacs, remplis de vivres et d’armes qui leur seront utiles durant leur voyage.
— J’aurais préféré rêver encore un peu… avoue l’élu en se redressant.
Kaminari apparaît non loin de là, sortant de la pénombre avec un léger sourire nostalgique sur les lèvres.
— Tout ce dont vous avez besoin se trouve ici. L’essentiel en tout cas. Vous pourrez les fouiller plus amplement durant votre aventure.
L’homme aux cheveux corbeaux regarde l’un, puis l’autre, se sentant coupable et s’efforçant de ne pas penser au pire dénouement.
— Arashi a pris grand soin de remplir vos bagages de tout un matériel de survie. C’est celui qui s’y connaît le mieux dans le domaine, vous pouvez lui faire confiance.
— Où est-il d’ailleurs ? questionne Néo.
— Il est retourné dans les bas quartiers pour passer un message de ma part à tous les résistants. C’est pour la prochaine étape. Tout sera prêt lorsque vous reviendrez.
Tant de mystère tourne autour de cette mission pour laquelle il doit se démener et accomplir. Même s’ils ont eu des explications sur leur rôle à jouer, Néo se sent frustré de ne pas en savoir plus sur ce qui se trame avec la résistance. Kaminari n’est pas non plus entré dans les détails concernant les étapes de leur voyage. Ils allaient devoir se faire leur propre opinion et improviser. Car comme l’a si bien dit Kaminari, le danger qui rôde en dehors de la Capitale est bien différent de celui qui règne ici.
— Il n’y a pas de temps à perdre, vous devez vous mettre en route, les dépêche le prêtre.
Les deux amis prennent leur sac et lèvent des yeux encore embués par le sommeil vers Kaminari qui poursuit :
— N’oubliez pas : où que vous soyez, une aide vous sera toujours apportée. Il suffit juste d’y croire.
Néo a presque l’impression d’entendre un personnage sortit d’un conte de fées. Kaminari a souvent tendance à affabuler les choses. C’est sans doute sa croyance au divin qui lui donne de tels discours. Ce dernier se recule et ouvre la même porte que la veille, à l’endroit où Néo l’a vu disparaître avec Karma. Les deux amis y entrent à leur tour, constatant que cette salle sert de chambre au ténébreux.
Une petite pièce aux allures médiévales, dotée d’un lit à baldaquin en bois de chêne. Dans un coin de la pièce se trouve une table basse, comportant des cierges et des cadres photo. Le regard de Néo ne peut s’empêcher d’analyser l’image qui trône au centre de la table. Elle représente un homme blond, les cheveux en bataille et portant un cache-œil, dissimulant son œil droit, captivant tout de suite l’attention du plus jeune. Ce garçon a beaucoup de style et un sourire éclatant. À ses côtés se tient Arashi, son bras entourant son épaule. Le leader arbore une mine joyeuse lui aussi. Néo n’a pas souvenir de l’avoir vu si heureux un jour. À croire que cette photo a été prise dans une autre dimension, à une autre époque. Pourtant, le décor qui rappelle le massacre de la guerre en fond, donne bel et bien l’indication qu’elle ne date pas d’il y a si longtemps. Près d’eux, c’est une demoiselle qui pose en tirant la langue. Une femme au visage de poupée et à la longue chevelure blonde. Néo ne se souvient pas avoir un jour croisé la route de cette femme. Il s’en serait souvenu. Ni même celle de ce garçon qui pose près d’Arashi. D’autres cadres sont disposés sur la table, mais il n’a pas le temps de les détailler plus longtemps qu’il doit avancer sous la demande de Kaminari.
La pièce n’est pas si grande, à l’exception de trois meubles, elle semble extrêmement vide. À la déception de Néo, Karma est déjà parti. Lui qui espérait pouvoir lui dire au revoir avant son départ… Au moins, cela signifie qu’il s’est remis sur pieds. Un sourire étire ses lèvres en songeant qu’il se trouve en sécurité avec les autres. Une étrange sensation parcourt son corps à mesure qu’il approche du départ. Comme si tous les souvenirs qu’il a eus ici surgissent de sa mémoire afin de lui rappeler ce qu’il laisse derrière lui. Un sentiment de nostalgie s’empare de son cœur, le serrant douloureusement. Il a la sensation qu’il ne reverra plus jamais la cité ni aucun de ses amis. Ces instants sont peut-être les derniers qu’il passe à la Capitale. Si on lui avait dit un jour que cet endroit cauchemardesque lui manquerait, il ne l’aurait pas cru. Pourtant, c’est ici qu’il a grandi. Ici que se massent ses souvenirs les plus désagréables comme les plus joyeux. Ces étapes difficiles qu’ils ont surmontées tous ensemble, les amis qu’il s’y est faits… Néo soupire en retenant les larmes qui se massent dans ses yeux puis pose son attention sur Kaminari qui les guide.
Le plus âgé ouvre la porte d’une grande armoire de bois, éraflée par les coups et le temps. Néo se demande s’il se paie leurs têtes ou s’il est sérieux en leur indiquant le placard. Ne sont-ils pas censés partir pour une grande aventure ? Pourquoi est-ce qu’ils se retrouvent face à une armoire ? Néo s’attendait à quelque chose de plus épique. Avant qu’il n’ouvre la bouche pour exprimer son point de vue sur la question, il est coupé par la démonstration du prêtre qui éclaire le fond de l’armoire. Au lieu d’une simple penderie, les deux amis sont surpris de constater qu’un long couloir plongé dans l’obscurité mène à des cavités souterraines.
— Après un moment de marche, vous tomberez sur l’entrée des tunnels qui vous conduira en dehors des murs de la Capitale.
— On va passer en dessous de la ville ? questionne Néo qui obtient un signe positif de Kaminari. Comment sait-on qu’on aura passé les frontières ?
— Ne vous en faites pas, l’entrée de la caverne aux murmures est reconnaissable entre mille, vous ne pourrez pas la manquer.
Le nom de cette caverne envoie des frissons d’effrois aux deux amis.
— Je ne me suis jamais aventuré plus loin, mais une fois la grotte passée, vous trouverez le chemin qui débouche sur la surface.
Il a eu des visions de ce à quoi ressemble le monde par-delà les frontières. Ces souterrains les conduiront forcément à l’extérieur. Kaminari ne les mettrait jamais en danger. Pourtant son instinct lui murmure que ça n’aura rien d’une croisière tranquille. Qui sait ce qui se cache dans ces tunnels inexplorés ?
— Bonne chance à vous deux, je vous promets de veiller sur les autres en votre absence.
L’homme aux mèches couleur corbeau s’éloigne dans un coin de la pièce, fixant les deux amis qui échangent un regard déterminé. L’angoisse d’échouer est bien présente dans leur esprit, tout comme la probabilité d’y laisser leur vie en ces terres inconnues. Les deux hommes passent les portes de l’armoire et se munissent d’une lampe torche pour s’éclairer dans la pénombre. Kaminari les regarde s’éloigner avant de refermer les portes de l’armoire à leur suite, dissimulant le passage encore inconnu de la milice.
Plus ils s’enfoncent dans les tunnels sombres, plus la température baisse. L’humidité y est de plus en plus forte, les amenant à penser qu’ils sont aux environs d’un point d’eau. Des nuages de fumée commencent à s’échapper de leur bouche, créant cette ambiance spectrale qui les enveloppe. Au loin, ils peuvent entendre la tonalité métronome des gouttes d’eau s’écrasant sur le sol. Les lampes ont beau avoir une puissante intensité lumineuse, elles ne parviennent pas à percer les ténèbres qui s’étendent à perte de vue. S’ils doivent décrire l’étape de la mort, ce serait certainement l’une des représentations les plus claires qu’ils s’en feraient.
Une étrange atmosphère les saisit, comme quelque chose de mystique qui déclenche des frissons le long de leur échine. Cela n’est pas dû au froid, mais bien à l’ambiance qui se transforme en un mauvais rêve. Leur respiration de plus en plus irrégulière accentue l’amas de fumée de condensation qui filtre par leurs lèvres. Les deux amis restent silencieux sur un bout du chemin, comme si le fait de parler pouvait provoquer une catastrophe. Néo a l’impression que les couloirs rétrécissent à mesure qu’ils s’enfoncent, les forçant à se baisser durant leur progression.
— C’est moi ou il fait froid d’un coup ? demande Satoshi.
— Non ce n’est pas toi. Je ne suis pas croyant, mais cette ambiance ne me plaît pas du tout, avoue Néo en pointant sa lampe sur le moindre recoin de la caverne.
Les clapotis de l’eau se font de plus en plus distincts et une odeur de mort plane autour d’eux, leur arrachant des mines dégoûtées. La nausée qui les assaille leur retourne l’estomac et dans un geste instinctif, ils se recouvrent la bouche et les narines pour ne pas rendre le repas qu’ils ont ingurgité avant de partir.
— Mais c’est quoi cette odeur ?
Ils finissent par en trouver la source lorsqu’un courant d’eau se révèle dans la pénombre, passant sous leurs pieds et dévalant les rigoles pour s’écouler en contrebas.
— On est dans les égouts.
— T’es bien gentil, mais je croyais déjà l’avoir remarqué à l’odeur, annonce Satoshi qui se couvre le bas du visage à l’aide de son châle.
Quelque chose flottant à la surface de l’eau attire leur attention. En se penchant pour analyser leur trouvaille, les deux amis ont un vif mouvement de recul. Néo se retient de vomir avant de détourner les yeux vers son meilleur ami.
— Je n’ai pas rêvé c’était bien une…
— Je t’en prie Satoshi, arrête tout de suite ta phrase, le coupe son ami au bord du malaise. On sait pourquoi ça sent si mauvais maintenant…
Munis d’une curiosité inappropriée, Néo risque un nouveau regard en direction du cours d’eau. À la surface de l’étendue liquide flotte une tête humaine, certainement détachée de son corps étant donné l’état de décomposition avancée. Les globes oculaires ont été retirés et c’est deux trous béants qui les remplacent. Il aurait préféré oublier la vision des petites larves blanches s’agitant sur les surfaces de chair qu’il restait. L’élu arrête là son analyse et détourne les yeux de ce tableau macabre. Les égouts ne sont pas qu’une simple évacuation d’eau, c’est également un réseau facile pour transporter clandestinement des résidus indésirables, tels que des membres ou des cadavres. Le reste du corps mutilé et en morceau remonte à la surface, suivant le cours de l’eau.
— Viens, je ne peux pas rester là plus longtemps.
Néo part le premier en s’enfonçant dans les tunnels humides.
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