Chapitre 6 (Pt.1)
Au cœur d’un bâtiment délabré se joue l’éveil de la rébellion qui ne tardera pas à éclater à la Capitale. Il est temps d’agir. C’est le moment de lever son armée et d’aller au front. Renverser la suprématie ne sera pas chose aisée. D’autant plus que cela comporte des risques pour toutes personnes prenant part à la mutinerie. Quelques courageux agissent pour les plus faibles. Ils endossent le rôle de gardiens de la paix, militant pour un avenir meilleur. Une petite communauté, certes, mais motivée. Tapi dans l’ombre, le meneur de cette révolte a déjà établi tous les plans de sa stratégie. Depuis des années, il a travaillé sur cette attaque. En regroupant des volontaires, en analysant le terrain et surtout en examinant ses adversaires. Arashi les connaît bien. Il sait mieux que quiconque par quels moyens ils agissent, ainsi que les failles qu’il a pu remarquer dans le système.
Posté devant un miroir poussiéreux et fendu par endroits, le blond brun détaille son reflet. Cette fois, il a décidé de ne plus se fondre dans le décor. De porter les habits de la rébellion, montrant avec fierté à quel camp il a toujours appartenu. Vêtu d’une paire de bottes remontant jusqu’à ses genoux et d’un pantalon noir, l’homme referme sa veste militaire, apportant cette touche de supériorité. Un haut cintré comportant des médailles de légion trouvées aux quatre coins de la ville. Des épaulières, rappelant le style de veste des caporales de l’armée militaire et une demi-cape, recouvrant un de ses bras. Ses cheveux sont en bataille et lui donnent un aspect sauvage. Ces derniers sont coiffés d’un couvre-chef de commandant où un aigle argenté est épinglé. Arashi juge son apparence dans son intégralité alors qu’il achève d’enfiler des gants en cuir. Ses yeux saphir croisent leur reflet dans le miroir, méditant silencieusement sur ses erreurs passées.
Une lutte qui s’annonce mortelle. Ce n’est pas seulement soldat qu’il s’apprête à perdre, il s’y prépare déjà moralement. Un voile de tristesse obscurcit ses prunelles alors que ses yeux se baissent sous la honte. Comment peut-il encore se regarder en face après ça ? Il n’a pas seulement perdu un résistant ce jour-là. C’est un ami précieux qui l’a quitté. Tout est entièrement de sa faute. Il ne peut s’empêcher d’être rongé de l’intérieur par la mort de cet homme formidable.
— Ça manque de chaînes si tu veux mon avis, s’immisce une voix féminine venant de derrière lui.
Arashi ne prend pas la peine de se retourner, croisant simplement le regard de la demoiselle dans le miroir.
Celle-ci est installée dans un fauteuil au tissu déchiré où des ressorts crèvent la surface de cuir çà et là. Elle se tient dans une position décontractée, les jambes croisées et posées sur l’un des accoudoirs. Tout comme Arashi, elle est vêtue de noir. Une robe courte où y sont rattachés des voiles déchirés par endroit. Elle possède un véritable visage de poupée, rond et pâle. Coiffée d’une longue chevelure blonde et bouclée s’arrêtant au niveau de sa taille. Une couronne de perles est attaché autour de sa tête. Elle a tout d’une fille très coquette avec sa manucure et ses bijoux tape-à-l’œil. Cependant, la poudre obscure qui est déposée sur l’intégralité de ses paupières, renvoie une image beaucoup plus rock’n’roll à son apparence. Ses lèvres sont couvertes d’un rouge pourpre et un piercing orne le côté de sa narine gauche. Ses bras nus laissent voir quelques tatouages ici et là, soulignant un côté punk très prononcé.
— Ce n’est pas le look qui compte, mais la manière dont je vais me servir de mon flingue, répond Arashi sans quitter les iris de la jeune femme.
— Oh ! Excuse-moi. J’avais oublié que tu avais un petit calibre.
— T’es vraiment insupportable quand tu t’y mets, Olympe. Qu’est-ce que j’ai fait pour hériter d’une sœur pareille ? Franchement…
— Avoue que tu es bien content que je sois là.
Arashi s’apprête à répliquer une fois de plus, mais se ravise. Sans elle, il ne serait plus de ce monde. La dénommée Olympe ne cesse de fixer le reflet de son frère aîné dans le miroir, confuse de l’ambiance qu’elle a créée par ses propos. Ils ont beau se taquiner et se chamailler de temps en temps, il n’y a pas plus fort que leur amour fraternel. La blonde baisse le visage d’un air coupable.
— Je suis désolée, j’y suis peut-être allé un peu fort…
— Tu as tout à fait raison. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi.
Le cœur de la blonde manque un battement alors qu’elle détaille son frère, bouche bée. Les moments où il laisse sa fierté de côté sont tellement rares que ça a de quoi la surprendre. Si avec les autres, Arashi ne sait pas faire profil bas et doit constamment avoir le dernier mot, lorsque ça concerne sa sœur, tout est différent. Il lui porte une telle affection qu’il ne peut cacher la compassion qu’il suscite à son égard. Les yeux du jeune homme sont figés sur son propre reflet que lui renvoie le miroir. Son esprit est tourné vers le passé. Vers cette période sombre où il a pourtant tout fait pour le protéger, mais que cela n’a pas suffi…
— Je t’en prie Arashi, cesse de te torturer pour une faute que tu n’as pas commise.
— Si j’avais été plus rapide, il ne serait pas mort.
Tant de détermination dans sa voix et de glace dans son expression que cela décroche un frisson à la demoiselle. La belle quitte son assise pour se mettre debout sur ses bottes à talons d’où cliquettent les chaînes qui y sont accrochées. S’approchant de son aîné, elle se poste dans son dos et entoure ses bras autour de sa taille. Elle pose son menton sur son épaule et colle sa joue contre la sienne, cherchant à capter son regard dans le miroir. Après un instant de lutte, Arashi affronte les orbes de sa sœur pour se replonger dans les souvenirs de ce jour.
— Je sais que tu m’as sans cesse répété depuis qu’on est gosse que tu veilleras toujours sur moi. Mais cette fois, j’aimerais que ce soit mon tour. Je t’ai promis que je serais toujours derrière toi et ça n’a pas changé. Encore maintenant, je te soutiendrais au péril de ma vie.
— Ne parle pas comme ça Olympe…
— Je suis sincère. Tu es tout ce qu’il me reste de plus cher. Mes bras seront toujours les barrières qui t’empêchent de basculer dans le vide.
Sous l’afflux de larmes qui troublent son regard, il ferme les paupières pour les empêcher de couler. Soupirant légèrement, le leader se force à rester digne. Ravalant ses émotions, il fronce les sourcils pour replonger ses iris dans celles d’Olympe. Cette dernière arbore un visage si angélique, si doux, qu’il est sûr de toujours pouvoir y trouver du réconfort. Il ne laisse jamais transparaître ses faiblesses aux yeux de ses alliés ou de ses ennemis. Il n’y a que sa cadette qui a cet honneur. À part elle, personne ne l’a vu pleurer, personne ne l’a vu tanguer au bord du précipice, si proche de la mort. Bercé par la respiration calme de sa cadette, il s’arme de courage et replonge dans les tréfonds de son passé.
À cette époque où il a quitté la milice. Lorsqu’il s’est rebellé contre la suprématie et a érigé sa propre armée de résistants parmi les enfants maudits qui suivaient les mêmes idéaux que lui. Se proclamant leader du mouvement, il a eu la fierté d’être suivi par plusieurs ennemis de la dictature. La guerre les a réunis, renforçant leurs liens dans la misère. Arashi s’est fait de fidèles alliés qu’il a eus la joie de compter parmi ses meilleurs amis.
Zéphyr était l’un d’eux. Un homme courageux, qui ne manquait pas d’ambition et qui pensait toujours plus aux autres qu’à lui-même. Son seul défaut : ne pas avoir assez confiance en lui. C’est sa gentillesse qui l’a conduit à sa perte. Ils ont passé des années à lutter contre la domination. Un duo qui se soutenait dans l’adversité et pour protéger les leurs. Il était rare de ne pas les voir ensemble. Ils faisaient presque penser à un couple tant ils étaient inséparables. Anecdote qui a agacé Arashi et l’a pendant plusieurs années blessé dans sa fierté. Pourtant, il s’y est fait. Zéphyr était un ami cher à ses yeux. Une période qui a duré longtemps, mais pas assez aux yeux de l’ex-milicien qui souffre de l’absence de l’autre garçon. Ils n’ont pas été assez forts pour les repousser. Pas assez prudents pour éviter cet accident qui l’a emporté. Le chagrin qui l’a incité à faire les mauvais choix.
***
Le ciel, avec son dégradé rouge orangé annonce la fin de la journée. Cela fait penser à l’œuvre d’un artiste, mêlant toutes ces teintes, aussi belles que fascinantes, et donne l’envie d’aller caresser la courbe des nuages jaunis par l’astre de feu qui s’éteint à l’horizon. Une de ces rares journées où quelques rayons de soleil ont réussi à percer l’étendue obscure. Le cycle des planètes est d’une telle merveille. Lorsque l’un prend fin, un autre commence et ainsi va la vie. Vie qui ne tient plus qu’à un fil pour Arashi en cet instant, posté au sommet de ce building. Il admire la cité de cendre sous ses pieds. Pour lui, le cycle prend fin aujourd’hui.
Le regard fixe un point inexistant dans le lointain. Il observe son dernier coucher de soleil au sommet du monde. Les dernières larmes coulent le long de ses joues. La dernière brise de vent agrémentée par la hauteur secoue ce voile fin qui couvre les pourtours de son visage. En baissant les yeux, il peut distinguer ses pieds, si proches du bord. Et après le bord, c’est le vide. La nuée d’oiseaux à l’horizon semble n’être que des petits points minuscules se déplaçant avec lenteur. À moins que ce ne soit le temps qui ait ralenti ? Peut-être s’est-il arrêté pour lui. Pour qu’il puisse penser une dernière fois aux visages des personnes qu’il aime. Une dernière fois songé aux moments heureux de sa vie, avant que d’un mouvement, il se laisse basculer vers l’avant. Laisser l’apesanteur faire le reste. Ne plus avoir à diriger son corps. Le vide l’appelle. Il se sent aspiré, prit par l’envie inexplicable de se laisser tomber.
Le bruit de la guerre en bas semble si lointain qu’il ne l’entend même plus. Comme seul au monde, il savoure les dernières secondes de son existence avant le grand saut. L’homme est planté là depuis déjà une heure. Il souhaite attendre la nuit pour mettre un terme à sa vie. Visualiser les derniers rayons du soleil avant que les ténèbres ne l’envahissent. Avant qu’il ne sombre vers la dernière étape de son périple : le repos éternel. Alors que les corbeaux s’envolent autour de lui, une plume du volatile tombe avec légèreté sur le sol. Les rayons disparaissent, laissant place à ce drap de soie étoilé qui nappe le ciel. Une vision qu’il a pris l’habitude d’affronter depuis des siècles.
C’est l’heure… Une dernière pensée ? À quoi bon ? La mort lui tend les bras et attend sa chute pour le recueillir dans sa cape. Le temps semble s’arrêter, le monde a les yeux rivés sur lui. C’est le bouquet final de son existence, juste avant la fermeture définitive du rideau. Il lève ses bras de chaque côté de son corps, implorant le ciel de lui garder une place lorsqu’il rejoindra un monde meilleur. Visage levé vers le haut, ses paupières se referment, décidant qu’il en avait assez vu pour toute une vie. Seul le vent sur sa peau lui fait réaliser la hauteur à laquelle il se trouve.
Sentant le bout de ses pieds dans le vide, quelques centimètres de semelles le maintiennent encore à la terre ferme. Il se sent basculer vers l’avant. Son cœur se met à battre plus fort. Il perçoit ses vibrations, profitant de cette sensation avant qu’elles ne finissent par se taire à tout jamais. Il ne lui reste qu’un dernier effort à faire, un dernier mouvement pour se projeter dans le vide. Mais celui-ci ne viendra jamais. Du moins, pas ce soir.
Deux bras entourent sa taille. D’une délicatesse infinie, contrastant avec la course de son organe vital dans sa poitrine. Une étreinte silencieuse, si douce. Ses paupières s’ouvrent, son regard perçoit de nouveau l’horizon. Il est toujours vivant et la nuit vient à peine de commencer. Il respire encore. Son cœur continue de pulser et la chaleur des bras qui entourent sa taille lui fait réaliser qu’il est trop tôt pour faire un dernier point sur son existence.
Arashi ne se retourne pas. Il garde le regard planté sur les constellations dont la faible lueur tente de se frayer un chemin à travers les couches de brouillard qui enveloppent la Capitale. Un seul geste suffit. Il pose ses mains sur cette ceinture de survie. Un frisson le parcourt alors qu’une goutte se met à rouler le long de sa joue et cascade jusqu’à ses lèvres. Le sel de ses larmes le ramène à lui alors qu’il s’éloigne du vide pour se retourner et étreindre son sauveur. Ce parfum familier le réconforte. Même les yeux fermés, il est capable de reconnaître cette chaleur qui émane de cet ange. Serrant la chevelure blonde de sa sœur dans sa main, il l’étreint avec plus de puissance afin de pouvoir sentir les battements de son palpitant se mêler aux siens.
— Comment tu as su ?
— Je te connais par cœur, Arashi…
***
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