Lâcher prise

3 minutes de lecture

 Aujourd'hui, Lily n'avait pas envie de rentrer, poussée par un besoin urgent de fuir, les poumons lourds, une boule dans la gorge.

 Elle ne voulait pas rentrer dans cet appartement où, pourtant, elle se sentait bien. Elle ne voulait pas rentrer, comme ça, sans raisons. Elle ne pouvait pas rentrer.

 L'anxiété. La solitude.

 Alors, les écouteurs dans les oreilles, la musique à fond, Lily tourna les talons. Elle traversa sa ville, les yeux fixés sur ses baskets blanches qui se mouvaient sur le bitume, malgré elle, presque malgré elles. Elle avançait, sans savoir où elle allait, en pensant à tout. A rien. Elle avançait, elle fuyait. Jusqu'à changer de décor.

« Je m’en vais. »

 Son cœur se serra un peu plus.

 Jamais elle ne courbait le dos, jamais elle ne les combattait. Elle les embrassait jusqu'à les étouffer.

 La solitude, l'anxiété.

« Je m’en vais. »

Le visage de son ami apparut devant les yeux de Lily, comme un flash. Elle papillonna des paupières pour l’en chasser, pour ne plus voir son regard à lui, si noir, si profond. Intense. Elle ne voulait pas s’en souvenir, pourtant tout l’agressait à nouveau : le bleu de son polo, sa peau basanée qui brillait un peu sous le soleil au zénith, le grondement des voitures qui roulaient à toute allure, l’odeur de l’eau, la chaleur qui tout un coup n’était plus agréable du tout, ses ongles qui s’enfonçaient dans la paume de son poing.

Il était sûr de lui, sa voix n’avait pas tremblé. Pourtant, il était resté là, figé, à la regarder. Comme s’il attendait quelque chose. Peut-être qu’il attendait quelque chose ?

 Seule, elle inspirait à pleins poumons le vent qui fouettait son visage et qui déformait la surface de la Seine, pourtant si calme. Elle observait avec attention cette petite araignée qui pendait à son fil, ce chiot qui enroulait sa laisse autour des chevilles de son maître, ce joggeur qui chantait, déjà essoufflé. Elle scrutait pour ne pas penser.

Peut-être qu’il attendait qu’elle lui dise quelque chose ? Qu’elle lui avoue qu’elle ne voulait pas qu’il s’en aille, qu’elle était effrayée à l’idée de le perdre, à l’idée qu’il l’abandonne ? Peut-être qu’il était resté figé en espérant entendre ces mots. Ou pas. Peut-être qu’il ne l’avait fait que pour lui laisser cette chance.

Un chance que peut-être elle aurait dû saisir.

 Elle se surprit à s'arrêter pour observer ces canards avancer, tranquillement, se laissant presque porter par l'eau, alors que son corps brûlait de mouvements deux secondes plus tôt.

Mais Lily n’était pas ce genre de personne qui déballe ses sentiments. Elle ne pouvait pas être égoïste et risquer de dire quelque chose qui ne le retiendrait peut-être pas, mais le ferait souffrir. Elle se refusait d’être ce genre de personne qui emprisonne les autres pour son propre désir, de les voir ainsi, faiblir, s’éteindre. Elle refusait de devenir un ancrage aux peurs des siens.

« Ok ! » avait-elle répondu, sans rien laisser paraître de sa panique.

Il lui avait souri, peut-être bien un peu triste et il avait tourné les talons. Lily l’avait regardé partir, sans jamais détourner le regard, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un point noir au lointain.

« Je t’aime. Ne me laisse pas. Emmène-moi ». Elle ne les avait même pas susurrées, ces complaintes. Elle s’était contentée de les écraser au fond de sa gorge, en resserrant la mâchoire.

 Le soleil la brûlait à travers sa veste noire et elle sentit un sourire niais se dessiner doucement sur le coin de ses lèvres.

Elle l’avait laissé partir. Elle avait tenue, elle n’avait pas craqué. Peut-être qu’il avait voulu qu’elle le fasse mais Lily avait besoin d’être cette force qui l’encourageait à avancer plutôt que celle qui le retenait.

Elle avait besoin de l’aimer.

 Tout était calme, enfin. Elles s'en étaient allées, elles aussi, l’anxiété, la solitude, elles la laissaient de nouveau respirer.

 Comme un signe, sa playlist se fit plus enjouée quand ses pieds retrouvèrent le noir des rues goudronnées. Et elle n'avait plus peur. Et elle n'avait plus mal. Elle était simplement épuisée de cette marche imprévue mais nécessaire.

« Je m’en vais. »

« Ok »

Dix kilomètres et enfin elle rentrait.

« Je m’en vais... »

Cela faisait 31 ans qu'elles marchaient à ses côtés et Lily faisait des progrès. Mais, l'anxiété et la solitude, il lui faudrait toute une vie, encore, pour les appréhender.

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