Chapitre 1.2 : Astrid
Face à l'insistance dont faisait preuve son camarade de voyage, Astrid n'eut d'autres choix que de coopérer. Posant doucement son pied dans la paume de Yume, ce dernier ne la prévint même pas lorsqu'il aspergea la blessure du spray anesthésiant. La brune se mordit la lèvre inférieure tandis qu'elle serra sauvagement les poings pour centrer la douleur autre part. On aurait dit que les picotements avaient redoublé d'intensité, et que ce n'étaient plus des petites aiguilles qu'on lui enfonçait dans la peau, mais bel et bien des clous acérés ! Puis, petit à petit, la douleur commença à s'estomper d'elle-même, l'effet étant accentué par le bandage qui lui enroulait Yume autour du pied.
« Et voilà ! s'exclama ce dernier en se redressant et tout en contemplant son « œuvre ». Ca vaut pas les sorts de Soin de Fileya, mais ça devrait le faire un temps ! »
Le regard bleu lagon du jeune homme se durcit à nouveau. Astrid se pinça la lèvre inférieure tout en déviant ses yeux rouges en direction de l'herbe verte à ses pieds. Elle savait que le sujet Fileya était un sujet sensible pour l'ancien Épéiste. Et elle le comprenait. Elle-même se faisait beaucoup de soucis pour l'Invoqueur, même si elle arrivait à se convaincre, au fond d'elle-même, que rien ne pouvait lui arriver, puisqu'elle avait ses Hybrides pour l'aider en cas de soucis !
« On devrait bientôt arriver à Aristofée. Encore un petit effort, et on pourra souffler pleinement » l'encouragea le jeune homme avec un sourire triste cependant.
Yume lui tendit ensuite la main pour l'aider à se remettre sur ses pieds. Astrid la fixa un instant, une mine légèrement triste tirant les traits de son visage, puis finit par l'accepter avec un timide sourire. Une fois redressée, la jeune fille grimaça de douleur. La sensation de picotement était toujours belle et bien présente, quoique plus diminuée que précédemment. Elle finirait bien par s'y faire. « Allez ! se dit-elle pour se donner un minimum de courage. Comme te l'as dit Yume, tu y es presque ! Un dernier petit effort ! Concentre-toi sur autre chose, la douleur devrait passer ! »
« Encore mal ? intervint Yume en voyant la mine déconfite de son amie.
‑ Ca devrait aller, répondit le brune en feignant une nouvelle grimace. Je pense avoir connu pire. »
Instinctivement, ses mains se posèrent au niveau de ses côtes. Oui, son énorme ampoule au pied n'était rien comparé à la blessure provoquée par le terrible gorille-oiseau, ravivée un peu plus tard par Hachedézo. Quelque chose lui disait que ses côtes resteraient fragilisées pour une bonne partie de sa vie. Elles étaient sans aucun doute devenues son terrible talon d'Achille.
« Focalise ton attention sur autre chose, et la douleur devrait passer d'elle-même, lui conseilla Yume en croisant les bras sur son torse, faisant preuve du plus grand sérieux possible. Ca marche assez bien généralement. »
Astrid en resta totalement interdite. Papillonnant plusieurs fois des paupières en fixant le blond, la jeune fille se demanda comment ils avaient pu avoir des pensées similaires sans même s'être consultés une seule fois !
« On devrait vraiment y aller maintenant, coupa le jeune homme en effectuant un pas en avant.
‑ Ah ! Enfin voilà quelqu'un ! Je commençais à désespérer ! » s'écria soudainement une voix d'homme à l'arrière.
Surpris par cette intervention inattendue car ils se croyaient seuls dans l'immensité des Plaines Séréna, les deux jeunes gens firent volte-face en chœur, analysant chacun de leur côté le nouveau venu.
Il s'agissait d'un homme qui se portait majoritairement bien. Pas très grand, pouvant presque être qualifié de nain, ce dernier arborait une grosse moustache blanche qui faisait office de double sourire, et qui rendait ainsi son personnage plutôt sympathique. Ses petits yeux noirs pétillaient de malice, et les quelques rides au coin de ses paupières et de ses yeux indiquaient qu'il possédait un certain âge désormais. Ses sourcils, épais et légèrement gris, arqués en arc de cercle, lui donnait une allure assez marrante. Astrid, d'un simple coup d’œil, pouvait se laisser tenter par la naïveté et croire que cet homme ne leur voulait aucun mal.
En guise de vêtements, le petit homme portait un long manteau usé sur ses larges épaules, qui touchait presque le sol. Il était également vêtu d'une ample chemise à rayures bleues et blanches, et était nouée autour de sa taille une ceinture dont pendait un petit poignard qui semblait avoir servi il y a peu, à en croire par les tâches de sang qui recouvraient une partie de manche.
Bizarrement, à la vue de l'arme, la jeune fille ne se sentit guère en sécurité. Oubliant momentanément la douleur de son ampoule, Astrid se recula lentement en direction de Yume et, une fois à sa hauteur, lui agrippa la bras, comme cherchant un minimum de réconfort.
« Allons, ahum ! sourit le vieil homme, est-ce moi qui vous ait fait peur, ma petite demoiselle ? Je ne suis qu'un simple, hum marchand des plaines !
‑ Que pouvons-nous faire pour vous ? questionna Yume pour changer de conversation, car il n'aimait visiblement pas le ton que prenait leur visiteur imprévu. Vous avez dit être à la recherche de quelqu'un. »
Les deux jeunes gens virent le petit homme remonter sa ceinture sur son ventre rondelet, tandis qu'une étincelle maligne brilla un instant dans ses yeux d'ébène.
« Oui, je, hum, c'est un peu embarrassant…
‑ On a pas toute la journée, expliqua le jeune Épéiste tout en restant vague intentionnellement sur la raison de leur propre voyage. Si on peut vous être d'une quelconque aide, dites-le nous le plus vite possible.
‑ Eh bien, voyez-vous, je me, hum, promenais à travers les plaines, quand, ahum, une, euh, comment dire cela, bête féroce m'a foncé dessus…
‑ Êtes-vous blessé ? intervint soudainement Astrid restée muette jusqu'alors.
‑ Blessé ? répéta le nain en haussant davantage ses sourcils déjà hauts sur son front, venant par la même occasion renforcer ses rides. Non, du tout, détrompez-vous ! Détroussé, plutôt, je dirai !
‑ Détroussé ? fit Yume en fronçant les sourcils. Mais vous avez dit avoir été attaqué par une bête féroce !
‑ Je, ahum, oui, c'est bien cela.
‑ Est-ce que je suis la seule à ne rien comprendre à la situation ?
‑ En me battant contre la bête pour défendre ma, hum, vie, j'ai perdu ma marchandise la plus précieuse » précisa enfin le vieil homme.
Les pupilles rouges d'Astrid se posèrent immédiatement sur la dague pendant à la ceinture de leur interlocuteur. Elle comprenait désormais d'où venait le sang, et n'avait par conséquent plus aucune raison de s'en faire quant aux intentions de ce marchand ambulant. Il n'était pas ici pour les agresser. Du moins, le pensait-elle.
« Laissez-moi deviner, intervint Yume en croisant les bras sur son torse, vous voulez qu'on retrouve cette bête féroce et que l'on récupère votre bien.
‑ Vous devinez vachement bien, jeune homme ! Ca oui, ahum !
‑ Je marche, accepta la jeune homme à la surprise générale.
‑ Quoi ?! s'étrangla Astrid en lâchant ses bras le long de son corps de dépit. Mais pourquoi ? »
Elle vit Yume hausser doucement les épaules, tandis qu'un sourire gêné, mais incroyablement séduisant, se dessina aux coins de ses lèvres.
« Parce que je suis trop gentil ? expliqua l’Épéiste. Je suis comme ça : dès que je vois quelqu'un dans le besoin, je me dois de l'aider.
‑ Vous devez être un ange ! s'extasia le petit homme en souriant de toutes ses dents. Accepter d'aider un pauvre homme comme moi, sans rien demander en retour si ce n'est une profonde gratitude ! »
Astrid leva les yeux au ciel, n'en croyant presque pas ses oreilles. Ils devaient impérativement fuir le Royaume, faire le moins de pauses et détours possibles, et voilà que Yume s'amusait à jouer les altruistes ! Mais à quoi pensait-il exactement ?!
Prenant son ami par le bras, la jeune fille planta son regard rouge sévère dans les yeux lagons de son ami. Elle avait besoin de réponses.
« Mais pourquoi tu as accepté ? lui demanda-t-elle tout bas pour ne pas se faire entendre. On doit atteindre Aristofée le plus vite possible, est-ce que tu aurais oublié ?
‑ Je te promets que je sais ce que je fais. Fais-moi confiance, je t'en dirai plus une fois sur le chemin pour dégommer ce monstre de malheur, je t'en fais le serment ! » lui assura-t-il simplement en lui agrippant fermement les épaules.
Leur regard se croisèrent quelques secondes, Astrid cherchant à comprendre les drôles d'intentions de son ami, mais fini par abandonner. Elle en vint à la conclusion qu'elle ne le comprendrait décidément jamais.
Soupirant de résignation, la brune se tourna vers le marchand.
« D'accord, on va vous aider, affirma-t-elle à son tour avec un sourire timide cependant.
‑ Ahum, si ce n'est pas merveilleux ! Plus de doutes possible : vous êtes tous deux deux anges tombés du ciel pour me venir en aide, hum, j'en suis certain !
‑ Mais dites-nous, que sommes-nous censés chercher exactement ? »
Les bras croisés contre sa poitrine et une moue contrariée, pire que boudeuse, dessinée sur son visage rond, Astrid se demandait pourquoi elle avait accepté d'aider le nain avant de savoir ce pourquoi ils risquaient ainsi leurs vies.
« Sérieusement ? fit-elle, fortement agacée au bout d'un certain temps. On fait réellement ça pour trouver un œil ?! »
Yume s'arrêta soudain de marcher, tandis qu'il parcourut l'immense plaine d'un simple regard circulaire. Ne pipant mot, le jeune homme posa subitement un index sur sa bouche, tandis qu'il se tourna lentement vers son amie, lui intimant ainsi de se taire. Puis, il s'accroupit mystérieusement, tandis qu'il se dirigea à pas de loup en direction de l'ombre d'un gros rocher. Intriguée, et les sourcils froncés d'incompréhension, Astrid le suivit silencieusement, même si une question lui brûlait dangereusement les lèvres.
« On fait réellement ça pour un œil ? » reprit la brune une fois aux côtés de l’Épéiste, qui semblait fixer un point précis droit devant lui.
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