Chapitre 4.3 : Astrid
Par une incroyable chance, les ruines d'argiles avaient été construites sur la base d'une oasis, point extrêmement stratégique pour les habitants car l'eau, source de toute vie, se trouvait manifestement tout près des demeures. Cependant, celle-ci n'avait apparemment pas été suffisante pour alimenter toute la ville, ou plutôt village ou hameau au vu de sa petite taille, car elle était aujourd'hui en ruines. A l'instar d'Aneco, les bâtiments étaient pour la plupart tous détruits : des murs s'étaient effondrés, des toits envolés, des portes arrachées… Les habitants semblaient avoir fui d'eux-même les lieux ; l'on pouvait apercevoir la vaisselle encore sur une table en bois dans la maison la plus proche, le linge était encore suspendu entre plusieurs charpentes, calcinés à certains endroits. C'était comme si le temps ici s'était inexorablement arrêté, mais que cet endroit avait été vidé de ses habitants.
Même si elle aurait aimé explorer les lieux plus amplement, Astrid se rua presque en rampant en direction de l'étendue d'eau, abandonnant les bras réconfortants de son ami dans le but de boire à plein poumons la source même de la vie. Prenant l'eau à deux pleines mains, la jeune fille but goulûment tout ce que son estomac parviendrait à supporter, avant de s'asperger le visage du liquide frais, qui aura tôt fait de sécher sous ce soleil de plomb.
Yume, lui aussi en proie à la déshydratation, se détacha enfin de l'analyse de ce village d'argile désert, se rappelant que son corps désirait ardemment boire lui aussi. Il imita Astrid dans ses moindre faits et gestes, avant que son regard ne se porta à nouveau sur les bâtiments de sable, comme s'il était hypnotisé par ceux-ci, sans mot dire.
Captant enfin le drôle de comportement de son ami aux cheveux blonds, Astrid balaya à son tour la zone circulairement, tout en s'affaissant sur l'herbe humide autour du point d'eau, tâchant de comprendre ce qui pouvait retenir ainsi son attention aussi longtemps.
« Quelque chose ne va pas ? » questionna alors la jeune fille après quelques minutes d'observation, lançant ses iris rubis sur son camarade.
Ce dernier ne lui répondit pas de suite, le regard toujours rivé avec contemplation sur les maisons d'argile.
Réalisant que Yume ne l'avait sans doute pas entendue, Astrid passa sa main devant le visage ahuri de son compagnon de voyage dans un mouvement de va-et-vient dans le but de la ramener à la réalité.
« Tu es toujours avec moi ? » fit-elle sur le ton de la plaisanterie, bien que les traits de son visage étaient tirés en une expression de légère inquiétude.
Le jeune homme sembla subitement se reprendre. Sursautant légèrement, Yume dévia un instant son regard des bâtiments d'argile, pour planter son iris lagon dans les pupilles rubis et inquiètes de sa nouvelle amie. Laissant un soupir exaspéré sortir de ses lèvres, le meilleur ami de Fileya finit par avouer, en se passant une main confuse dans les cheveux :
« Non, c'est rien… C'est juste… »
L'ancien Épéiste s'arrêta subitement dans sa phrase, au beau milieu de ses explications, pour se relever d'un bond. Astrid finit par l'imiter, en se redressant bien plus basiquement, mais ne lâchant pas une seule fois son compagnon de voyage des yeux, littéralement suspendue à ses lèvres dans l'espoir de connaître un jour la fin de sa phrase.
« Oublie ça, finit-il par dire d'un ton sec. Le soleil doit juste me taper sur la tête. »
Astrid soupira d'exaspération, tandis qu'elle mouilla à nouveau son visage d'eau fraîche, car elle se sentait à nouveau nauséeuse. Et elle qui pensait que Yume lui faisait enfin confiance au point de se confier à elle sur les doutes que comportaient son cœur… Elle se trompait lourdement. Enfin, elle finirait bien par lui sortir les vers du nez, à un moment donné. Après tout, suivant le plan qu'ils avaient mis en place hier soir avant d'aller dormir, les deux jeunes gens s'étaient mis d'accord pour atteindre la frontière, qui se trouvait pile au centre du village, et attendre Fileya là-bas. Yume avait la ferme attention de continuer ses pérégrinations en compagnie de son amie de toujours, car il trouvait cela inconcevable d'atteindre le cœur même d'Aristofée sans l'Invoqueur, qui faisait partie intégrante de cette quête pour la paix.
« Dans ce cas, on devrait se mettre en route, conseilla Astrid en s'avançant en direction des ruines, les mains sur les hanches. Aristofée ne doit plus être bien loin, non ?
‑ Je crois…, débuta Yume en plissant drôlement des yeux, qu'il y a une fontaine qui fait office de séparation entre les deux Royaumes. On devrait y aller et atteindre Fileya là-bas, histoire qu'on ait un point d'eau à proximité. Cette chaleur est véritablement insupportable. »
Astrid fit subitement volte-face pour dévisager un instant son ami, qui arqua un sourcil d'incompréhension. N'aimant visiblement pas être analysé de la sorte, le jeune homme finit par croiser ses bras sur son torse, comme vexé.
« Quoi ? fit-il d'un ton étonnement sec. J'ai dit quelque chose de mal ?
‑ Comment tu sais qu'il y a une fontaine dans ce village, alors que tu prétends ne jamais y avoir mis les pieds ? »
Remarquant à son tour l'anomalie de la chose, Yume se passa une nouvelle fois une main distraite dans les cheveux, avant de couper court à la conversation, comme ne souhaitant pas aborder le sujet :
« J'ai dû lire quelque chose à ce sujet, c'est tout. Ou Fileya m'en a parlé une fois.
‑ Et donc ton inconscient s'en serrait souvenu à ta place, approuva la brune avec une moue insatisfaite cependant. Mouais, ça peut tenir la route. »
Sans un mot de plus, Yume récupéra sa place de meneur, et s'enfonça le premier dans les ruines silencieuses, suivit de près par Astrid. Pour le moment, la jeune fille allait le laisser un peu tranquille et stopper ses questions, bien qu'elle voyait à l'attitude de son ami que quelque chose le tracassait. Cela avait commencé en débarquant dans cette ville. Yume prétendait ne pas la connaître, mais l'archère en doutait fortement. Sinon, comment aurait-il put savoir autant de choses à son sujet, comme par exemple l'emplacement exact de la fontaine ? Sans parler du fait que, finalement, ils n'avaient pas passé autant de temps que cela dans le désert à chercher ce village, comme si le jeune homme connaissait parfaitement son emplacement dans l'étendue de sable ? Astrid ne savait presque rien du passé de son compagnon de voyage, tout comme lui ne savait rien d'elle par ailleurs. Mais une intuition lui criait fortement, au fond d'elle-même, que Yume avait un lien avec ce village, un lien dont elle ignorait la nature.
Ralentissant légèrement le pas, la jeune fille se surprit à dévisager de bas en haut son partenaire, tandis qu'une drôle de pensée s'insinua doucement mais cruellement dans son esprit. Analysant méticuleusement les alentours, Astrid tenta de comprendre pourquoi ce village était ainsi désert, avant de se rappeler les trois drôles de rêves qu'elle avait fait avant d'arriver sur Onyrik. Un village en ruines, Yume en sang… Se pourrait-il que… ?
Son cœur s'accéléra soudainement, tandis qu'elle pensa avoir enfin mis le doigt sur la vérité. Écarquillant les yeux de peur, la brune regarda avec crainte Yume qui avançait toujours à travers les allées fantômes sans un mot. Et si… Non, Yume n'était pas comme ça… N'est-ce pas… ? Il ne pouvait pas être… Le responsable de l'état déplorable de ce village d'argile, n'est-ce pas ?
Ses yeux se posèrent alors pensivement sur une poupée de chiffon, la tête pendante vers le bas et à moitié calcinée, posée sur une fenêtre toute proche. Son cœur se serra à la pensée qu'elle se trouvait peut-être en la compagnie du monstre qui avait ravagé cette ville et fait fuir ses habitants.
Yume répétait sans cesse qu'il détestait faire du mal à autrui, mais si cette résolution ne venait-elle pas en réalité des horreurs qu'il avait commises par le passé ? Et si, après avoir vandalisé comme un malpropre cette ville, l’Épéiste s'était promis de ne jamais plus lever la main sur quiconque ?
Tout cela n'était que des théories, mais Astrid était persuadée qu'elle avait réellement mis le doigt sur la fatale et terrifiante réalité, et qu'elle voyageait réellement en compagnie d'un monstre, qui aimait se faire passer pour un héros au grand cœur. Et si Yume lui avait menti, concernant le fameux secret de Seven ? Et s'il avait réellement tenté de l'assassiner, dans le but de lui faire regretter les ordres qu'il lui avait jadis ordonné d'accomplir ?
Subitement, le cours de ses pensées furent interrompues lorsque la jeune fille se cogna avec violence dans quelque chose de mou. Réalisant qu'il s'agissait du dos de Yume, d'un possible assassin, la brune s'empressa d'effectuer un pas en arrière en bafouillant une excuse, agrippant ses bras avec fermeté dans l'espoir de se rassurer par ses maigres moyens. Pinçant sa lèvre inférieure pour l'empêcher de trembler, Astrid fixa son regard sur le sable rouge à ses pieds, qui crissaient avec douceur sous ses nouvelles bottes.
« Pourquoi on s'arrête ? » demanda-telle au bout de quelques secondes de silence, désireuse de comprendre pourquoi cette pause soudaine.
Yume fixait un point précis sur sa droite, étrangement sérieux. Peut-être était-ce à cause de ses théories inquiétantes sur son ami, mais Astrid ne pouvait s'empêcher de trouver son regard étrange, presque démentiel et froid. Pourquoi, en cet instant précis, elle craignait indéniablement pour sa vie ? Et s'il décidait de la tuer, là, maintenant, de suite, au beau milieu de ce village sans vie, pour être certain de n'avoir aucun témoin suite à son acte barbare ?
Par précaution, Astrid leva lentement sa main en direction de son arc et des ses flèches, au cas où elle devrait s'en servir contre son soit-disant ami, avant de se raviser en chassant ses mauvaises pensées d'un signe de tête. Non. Si Yume avait eut réellement l'intention de la tuer, il l'aurait fait depuis longtemps, vu le nombre de fois où ils s'étaient retrouvés seuls en beau milieu d'une étendue déserte, que ce soit dans les Plaines Séréna, ou encore le Désert Gummi.
« J'ai entendu du bruit, dit-il au bout d'un certain temps, avant de s'avancer, sans aucune explication supplémentaire, en direction d'une maison proche.
‑ Tu es sûr que ce n'était pas simplement ton imagination ? questionna Astrid, qui n'appréciait pas particulièrement l'idée qu'ils étaient peut-être espionnés depuis un certain temps, ou pire, que ce village était réellement hanté. Tu sais, des fois, la chaleur fait croire à de drôles de choses… »
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