Chapitre 6.4 : Astrid
Sans même y faire attention, Astrid avait machinalement coupé sa respiration au moment où la porte s'était à moitié ouverte, laissant entrapercevoir la salle derrière elle. Cette dernière semblait bien plus vaste qu'il n'y paraissait au premier abord : presque entièrement vide, au sol avait été dessiné une sorte d'arène, sans doute pour délimiter un espace bien précis. Thandon lui avait indiqué que cet étage était réservé aux Miliciens, donc, cette salle, s'agissait-il de leur pièce d'entraînement privatisée ? Si oui, alors à quoi servaient toutes les autres portes qui s'alignaient sur tout le corridor ? D'autres pièces comme celle-ci, sans doute, mais la jeune fille n'avait pas vraiment envie de faire du tourisme à l'heure actuelle, et encore moins dans les locaux de leurs ennemis.
Une fois que la porte fut grande ouverte, les deux compagnons d'infortunes remarquèrent, les yeux écarquillés, que quelque chose d'anormal se tramait par ici. Ce qui étonna sans aucun doute le plus la jeune archère mis à part la vacuité de la pièce fut la façon dont les personnes présentes dans la salle était disposées. De plus, il flottait une drôle d'ambiance dans l'air, et Astrid avait été assez en contact avec la magie de Fileya pour affirmer qu'un sort était à l’œuvre ici. Mais rien ne lui indiquait que la jeune Invoqueur en question était la personne responsable du désastre dont était victime la salle d'entraînement.
Sur leur droite, toute une ribambelle d'enfants, sans doute du même âge ou dans les environs de Khomas, s'étaient agglutinés derrière la silhouette guerrière d'une jeune femme. Cette dernière, de dos aux bambins, qui n'était autre que Anthéa en personne, avait un bras tendu en signe de protection, faisant office de barrière avec son propre corps. De son autre main, elle avait porté la garde à son épée. L'expression contrariée et colérique sur son visage trahissait une certaine consternation : elle ne semblait plus avoir de maîtrise sur la situation.
– Bleusaille, arrête ça de suite ! gronda la femme Épéiste en grinçant des dents, ses épaules se crispant davantage tandis que les enfants derrière elle gémissaient de terreur.
Astrid ne saurait dire si le fait qu'elle n'ait pas remarqué ni sa présence, ni celle de Thandon, était un cadeau du ciel ou non. Le regard glacé de la guerrière était fixé sauvagement sur son possible adversaire qui lui faisait affront. Les yeux de la brune s'écarquillèrent de surprise sous son casque d'acier en reconnaissant la silhouette qui faisait courageusement face à Anthéa : Khomas, malgré sa petite taille, défiait sans crainte son opposante.
Les mains levées en direction de la jeune femme, le regard dur du petit garçon aurait pu faire frisonner Astrid de frayeur si elle ne l'avait pas su de son côté. La tête légèrement baissée, une partie de ses cheveux châtains lui retombaient devant le visage, lui assombrissant une large part de son regard émeraude brillant d'ordinaire d'un éclat si pur et innocent. Ce n'était plus le même petit garçon que l'Enfant aux Yeux Rouges avait en face des yeux. On aurait presque pu dire qu'il était comme possédé par une entité antérieure malfaisante et qui réclamait toujours plus de sang pour satisfaire une soif insatiable.
– Je ne te veux aucun mal, renchérit Anthéa, bien que sa paume gantée se posa sur le pommeau de sa rapière, sans doute dans un geste purement préventif. Mais pour ça, il va falloir coopérer.
– Non ! s'exclama courageusement le petit garçon en serrant les poings de rage. Je ne veux pas ! Pas avec vous ! Vous n'êtes que des méchants ! Vous avez tué mon papa !
Accompagné d'un cri de stupéfaction de la part des enfants, Khomas leva toujours plus haut ses petits bras. Astrid sentit tout à coup un drôle de courant électrique parcourir la pièce et, avant de comprendre qu'une magie qui lui était jusqu'alors inconnue se mettait à l’œuvre, deux puis trois enfants décollèrent subitement du sol en criant de plus belle.
– Ca suffit ! rugit Anthéa en balayant brusquement l'air de sa main, sans doute renfrognée à l'idée de ne rien pouvoir faire pour sauver les petits dont elle avait la charge. Je t'ordonne de mettre un terme à cette mascarade sur le champ !
Voyant que Khomas ne réagissait toujours pas, la femme Épéiste décida d'en venir à la manière force. Serrant les dents de rage, elle dégaina sa lame améthyste qui fit reculer les enfants encore au sol d'un pas tout en poussant en hoquet craintif. Astrid aussi recula instinctivement en arrière, avant de se rappeler que, cette fois-ci, cette sublime épée ne lui était pas destinée. Mais Khomas n'en était pas moins en danger !
Avançant de la manière d'une féline en direction de sa petite proie qui refusait d'entendre raison, Thandon, sans doute mu par un instinct de courage et protecteur, fit un bon en avant pour se mettre dans la trajectoire entre Anthéa et son petit frère. Les bras levés entre Khomas et son ennemie, le jeune garçon leva la tête en direction de la jeune femme dans le but de la défier, mais aucun mot ne sortit pour autant de sa bouche. Les deux nouveaux opposants se fixèrent ainsi de nombreuses secondes, une claire surprise se lisant dans les yeux de la guerrière. Puis, cette dernière arqua un sourcil, avant d'ouvrir la bouche pour s'exprimer.
Sentant que la situation virait finalement au vinaigre et que Thandon était sur le point de réduire à néant leur précieuse couverture, Astrid trouva enfin le courage de réagir à son tour. Bondissant en direction de Khomas, elle lui agrippa l'un des bras d'une poigne ferme, tout en déclarant, presque dans un élan de folie, essayant de changer le ton de sa voix pour ne pas se faire reconnaître :
– On s'occupe de lui.
Anthéa, qui dépassait Thandon d'une bonne tête (peut-être même deux), leva son regard de glace en direction d'Astrid. A peine croisa-t-elle ses pupilles turquoises que la jeune fille, malgré son casque d'acier sur la tête, se sentit immédiatement analysée dans les moindres recoins, tant son corps que son âme. Elle sentit un frisson lui parcourir l'entièreté de son échine, à l'image de million de petites fourmis lui grimpant dans le dos.
Ravalant sa salive pour retrouver contenance, la brune opta pour dévisager discrètement son regard de celui d'Anthéa, sachant que cette dernière ne pouvait tout simplement pas la voir et donc ni la reconnaître grâce à son armure. Finalement, ce sac poubelle immonde et insupportable lui aura au moins servi à quelque chose.
– Très bien, accepta finalement la jeune guerrière en effectuant un volte-face majestueux, tout en replaçant droitement sa lame dans son étui originel. Emmenez donc cet inconscient à Teki. Puis exigez qu'il me le renvoie incessamment sous peu. Je décèle en ce jeune garçon un potentiel magique qu'il nous faudra exploiter.
La femme Épéiste marqua un point d'arrêt dans sa tirade, tandis qu'elle fit claquer ses bottes de métal, conçues spécialement pour le combat, contre le carrelage froid de la salle, s'avançant doucement en direction de ses autres recrues.
– La magie des Fées..., reprit-elle à voix haute, semblant oublier pour un temps tout son environnement. Je ne l'avais encore jamais aperçue chez des Humains. Le Grand Supérieur sera sans aucun doute ravi de cette nouvelle.
Thandon effectua un vif volte-face en direction d'Astrid, mais son regard se perdit un temps sur la silhouette de Khomas. La jeune fille perçut les tremblements du pauvre enfant sous le contact ferme de ses doigts sur son bras, et ne put s'empêcher de se mettre à la place du petit garçon : sans doute serait-elle tout aussi apeurée qie lui en sachant que des malfaiteurs comme l’Élite s'intéressaient à elle malgré son jeune âge. De plus, être aux prises de deux hommes masqués n'avaient rien de bien rassurant non plus.
– Nous y allons sur le champ, dans ce cas, affirma Thandon d'une voix incroyablement dure, quoique plus grave que d'ordinaire, mais aussi étrangement déformée par son casque. Excusez-nous pour le dérangement.
Malgré les cris de protestations déchirants de Khomas qui suppliait qu'on le laissât tranquille, le jeune homme n'hésita pas une seule seconde et s'empara d'une poigne ferme le bras encore libre de ce dernier, et usa de la force de ses biceps pour le faire perdre pied. Astrid, qui avait compris les intentions de Thandon sans même avoir besoin d'une concertation au préalable, usa à son tour de la force de ses bras pour soulever Khomas dans les airs, tandis que se dernier battait désormais follement des jambes pour tenter de retrouver contact avec le carrelage désormais quelques centimètres sous lui.
De nouveaux sans se parler, les deux amis d'infortune descendirent les escaliers pour mettre le plus de distance possible entre l'étage des Miliciens et eux-mêmes. S'ils voulaient rassurer Khomas au plus vite, c'était le seul moyen qu'ils avaient trouvé pour ne pas se faire surprendre si rapidement, alors qu'un sauvetage sur trois venait de réussir.
Une fois qu'ils furent certain de ne plus se faire remarquer, Thandon guida sans s'en rendre compte Khomas mais aussi Astrid dans la cour centrale du Quartier Général, celle se trouvant à ciel ouvert. Au-dessus de leurs têtes, les étoiles scintillaient des mille feux, tels des projecteurs naturels éclairant les trois protagonistes. Quelque part, ce ciel nocturne était comme une sorte de dôme protecteur et rassurant : du moment qu'ils parviendraient toujours à l'avoir dans leur champ de vision, alors les astres leur porteraient chance et protection contre leurs adversaires, même s'ils se trouvaient littéralement au cœur même de leur base.
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