Là, un étrange phénomène se produisit. Une aura verdâtre, semblable en tout point à celle qu'invoquait Fileya quand elle réalisait ses sorts de Soin, entoura la silhouette de Hachedézo. Puis, ses cheveux ainsi que sa barbe tentaculaires se mirent à frémir drôlement, se soulevant au gré du vortex magique revigorant, tels des serpents. Puis, celles-ci commencèrent à grandir et vinrent se poser avec délicatesse sur les joues de la jeune fille ainsi que sur le haut du crâne de Yume qui eut la drôle d'impression qu'on lui collait des ventouses.

L'Hybride, les yeux clos pour plus de concentration, marmonnait de drôles de paroles dans sa barbe, que Fileya ne parvinrent pas à saisir, mais elle crut comprendre qu'il récitait la formule en ancien Elfique du sort de Soin. Quelques secondes plus tard, la magicienne sentit un courant revigorant parcourir l'entièreté de son corps, comme si un véritable torrent de bien être s'agitait dans tout ses membres. Pour un peu, elle se crut presque capable de faire trois fois le tour de Fikternand en sprintant sans s'arrêter, juste dans le but de tester son nouveau regain d'énergie ! A ses côtés, Yume semblait avoir recouvré lui aussi un peu de ses couleurs faciales. Il n'était pas encore réveillé, mais cela marquait déjà un très bon début de récupération.

L'aura bienfaisante autour de la silhouette de Hachedézo se dissipa brusquement, et l'Hybride se laissa subitement tomber à terre sur le dallage froid et effrayant, tout en lâchant un cri rauque de douleur. Consciente de la souffrance qu'endurait son ami, Fileya, inquiète, se rua à son chevet pour prendre hâtivement de ses nouvelles.

– Tout va bien ? questionna-t-elle en penchant son visage par-dessus l'épaule du grand homme dans le but d'observer son expression faciale, mais cette dernière était minutieusement cachée par la masse de cheveux tentaculaire de la créature.

– Oui, ça ira, affirma-t-il cependant, une main posée près du cœur, tout en se redressant gravement. Occupons-nous de sortir d'ici, maintenant.

Fileya ne dit rien, mais elle avait parfaitement noté la façon dont l'Hybride respirait difficilement. La jeune fille sentait qu'elle avait récupéré une bonne partie de ses pouvoirs psychiques, et elle aurait bien voulu faire une proposition à Hachedézo : invoquer Espaiceghia à sa place, dans le but d'alléger tant sa peine physique que morale. L'Hybride avait mentionné une possible punition et Fileya ne souhaitait pas qu'il subisse un quelconque châtiment divin pour lui être venu en aide sans l'accord de sa propriétaire, ou bien même de la Déesse. Cependant, la jeune Invoqueur s'abstint de toute proposition, voyant que Hachedézo s'était déjà affairé dans la libération de Yume. Par lui-même, l'Hybride avait fait fondre avec sa magie les entraves qui retenaient à la fois les pieds et les jambes de l'ancien Épéiste. Puis, une fois qu'il fut totalement libéré, Hachedézo entreprit de le porter sur son dos.

– Attends, laisse-moi t'apporter mon aide, intervint-elle en se rendant subitement compte qu'elle n'avait pas vraiment été utile depuis la destruction de la porte en Sirivha.

Son Hybride l'avisa rapidement, d'un regard étrange que la jeune fille ne parvint pas à identifier clairement. Ses yeux s'étaient certes subitement assombris, mais il lui sembla déceler une certaine once de reconnaissance dans ce regard si dur. Puis, les épaules du grand homme finirent par s'affaisser, tandis qu'il fit glisser Yume de son dos pour lui faire toucher le sol malgré son inconscience.

Comprenant la demande sourde de Hachedézo, Fileya passa le bras de son meilleur ami autour de ses épaules dans le but de le soulever, tandis que son sauveur en fit de même de l'autre côté. Ensemble, Hybride et Invoqueur supportèrent ainsi l'ancien Épéiste endormi, et ils quittèrent l'horrible salle froide de torture en quête d'une liberté tant méritée.

****

Dans les couloirs, Fileya se fia de nouveau à l'étrange instinct magique de Hachedézo. Comme pour trouver Yume, l'Hybride se servait de ses pouvoirs quasi divins pour les guider tous trois dans les dédales sinistres de Seven, à la recherche de la sortie salvatrice tant espérée vers la liberté. Malgré tout, atteindre la sortie du donjon secret ne serait pas signe de délivrance : il leur faudrait encore trouver Astrid, Thandon et Khomas dans Fikternand, puis s'enfuir tous ensemble de la Capitale, avant de poursuivre leur course jusqu'aux frontières avec Aristofée. Alors seulement ils pourraient se réjouir d'être libres et en sécurité, loin de la menace que représentait l’Élite. Pas avant.

Tout à coup, Fileya se figea. S'arrêtant brusquement dans sa marche rapide vers la délivrance, la jeune fille se redressa, ses sens magiques à l’affût. Quelque chose, ou plutôt quelqu'un, une aura familière, semblait l'appeler discrètement. Elle le ressentait jusque dans les profondeurs de son âme : une sensation familière, comme la présence d'un être cher, bouillonnait dans tout son être. Mais le pire dans tout cela... C'est que cette présence, cette aura, l'appelait à l'aide. Quelqu'un était en détresse, et tout proche d'elle.

Surpris, Hachedézo se stoppa net à son tour, et lança un regard curieux en direction de sa maîtresse. On aurait dit que lui n'entendait pas cet appel au secours.

– J'ai senti quelque chose, informa la jeune Invoqueur en plantant ses yeux de nouveaux vairon dans le regard inquiet et interrogateur de son protecteur. Non, plutôt quelqu'un. Et il m'appelle à l'aide.

– Comment ?

– Là, il est tout proche ! s'emporta la jeune fille tandis que la sensation grandissait de plus en plus, à tel point que cela en devint oppressant, lui coupant presque la respiration. Je dois aller le voir !

– Fileya, attendez ! tenta de raisonner l'Hybride en tendant une main veine en direction de sa maîtresse dans le but de la retenir dans son élan de chevalerie.

Mais il était déjà trop tard. N'écoutant que ce que lui dictait son cœur, Fileya s'engagea sans prévenir dans l'un des couloirs adjacent du dédale sanglant. Elle se demanda, l'espace d'un instant, si l'instinct magique de Hachedézo qui les guidait vers la sortie du donjon était similaire à cette drôle de sensation qu'elle ressentait, cette aura qui lui dictait le chemin jusqu'à la personne en détresse qui s'efforçait de l'appeler de toute son âme. Qui que cela soit, elle se trouvait dans un danger certain, et la jeune fille ne pouvait pas faire la sourde oreille devant cet appel déchirant qui suppliait qu'on lui vienne en aide.

La jeune Invoqueur déboucha dans une salle plus grande que les autres, et ce qu'elle vit la glaça littéralement sur place. S'alignaient sur les murs qui composaient la salle tels des trophées particulièrement funèbres des cadavres en état de décomposition. Attachés aux pierres sanglantes par les poignets, aucun des corps cernant la pièce ne touchaient pieds à terre. Tous avaient une particularité bien morbide : du sang et des ecchymoses s'échappaient encore de leurs plaies béantes, pour certaines encore fraîches. Mais le pire dans tout cela, c'était sans aucun doute que, malgré l'état déplorable dans lequel ils étaient, Fileya ressentait qu'ils vivaient encore. Les pauvres âmes déchues pleuraient qu'on les sorte de cet enfer sur terre, qu'on les achevât pour ne plus subir la moindre petite douleur. Certains des corps avaient viré au vert ou au violet, mais cela n'avait rien à voir avec leur couloir de peau originel suivant le peuple dont ils étaient issu. Il y avait de toutes les races ici : des Elfes, des Fées, des Dragumans, des Falkies, des Sirènes, des Humains, des peuples que Fileya n'avait pas encore eu la chance de rencontrer et même... des Invoqueurs.

Cette salle, c'était elle. Celle dont Yume lui avait parlé il y avait maintenant quelques semaines, mais Fileya était loin de se douter qu'elle la verrait un jour de ses propres yeux. Elle aurait préféré ne jamais la contempler.

Les jambes flageolantes par l'effroi, la jeune fille, malgré les soins revigorants apportés par Hachedézo quelques minutes plus tôt, se sentit faiblir et s'écroula à terre comme si toute énergie l'avait finalement quittée pour de bon. Les pavées de pierre sous ses pieds étaient recouverts de sang – frais ou non – mais elle n'en n'avait plus rien à faire. Sa propre robe, désormais en lambeau, se trouvait déjà dans un triste état, salie par son propre sang.

Ne supportant plus la vue de tout ses cadavres qui criaient à l'aide muettement dans son esprit, Fileya sentit son estomac se retourner. Elle l'avait déjà vidé de nombreuses fois lorsqu'elle s'était retrouvée seule dans sa cellule, à se ressasser les nombreuses minutes – ou heure, elle avait perdu toute notion du temps – passées sous les mains angoissantes et cruelles de son tortionnaire. La vue de tout ces cadavres alignés lui renvoyait en pleine figure tout ce qu'elle avait juré d'oublier en sortant de sa cellule miteuse.

Portant une main à sa bouche, la jeune fille ravala comme elle le put un début de régurgitation, tandis que des larmes commençaient à se former aux coins de ses pauvres yeux fatigués.

– Je vous promets..., dit-elle entre deux sanglots à peine maîtrisés, que je vous ferai sortir de là. Je vous sauverai. L’Élite va payer. Je la détruirai. De mes propres mains s'il le faut. Je tuerai Seven de la manière la plus cruelle qui soit, même si l'envoyer dans le Royaume Cauchemardesque est une punition bien trop douce pour tout ce qu'il vous a fait. Pour tout ce qu'il m'a fait...